La cantilène des amants
« Blanche comme le lys, fleur royale qui s’épanouit en
mon cœur pour prendre l’apparence d’un nénuphar qui vogue sur les lacs de ma
mémoire, tu es en moi, ma reine, ma Dame d’amour.
Les faucons de ma volière, mes rapaces fidèles ont remarqué
ton absence et ils semblent inquiets.
Nous formons un rempart et, s’il le faut, nous volerons à
ton secours.
Si tu m’apparais, ne serait-ce qu’en rêve, en fâcheuse
posture ou simplement menacée par une ombre, je me mettrai en route et je
galoperai jusqu’à toi, mon amour, avec , comme d’habitude, des chevaliers
fougueux et ardents, des soldats aguerris pour encadrer un carrosse empli de
coffres précieux, et un autre attelage, confortable pour abriter des dames d’honneur
et des bacheliers pour veiller à ton bien-être, dès mon arrivée, mon ange.
Mon amour aux lèvres douces comme la soie, à la chevelure
ensoleillée et au corps de reine, je te parfumerai de santal et de myrte et je
t’adorerai, comme toujours, à genoux.
Ton amant fidèle et époux ».
Le parchemin était lesté par des marguerites en diamant,
montées sur un bijou en forme de fleur d’amour et c’est naturellement une
colombe qui déposa le précieux message, noué d’une faveur rose, aux pieds de la
reine.
Picorant quelques grains de millet et buvant de l’eau
fraîche servie dans une coupelle de nacre, la colombe attendait patiemment le
message du retour.
Vêtue d’une simple mousseline de soie rose, drapée sur l’épaule
et épinglée par une fibule en or, Blanchefleur se rendit dans le patio afin d’y
trouver l’inspiration.
« Mon bien-aimé, sache que je me meurs loin de toi et
que j’ai hâte de retrouver la chaleur de tes étreintes.
Je ne peux en dire plus, de crainte d’accentuer mon désir et
mon besoin d’aimer.
Je t’écris de notre patio d’amour et je joins à ma lettre un
mouchoir que j’ai brodé pour toi.
J’ai pris pour modèle les roses d’amour qui ont fleuri au
bord du lac de Comper où vit la fée Viviane, dans son palais de cristal.
J’y ajoute aussi une pierre de lune que j’ai trouvée dans
notre jardin.
Amoureusement à toi !
Blanchefleur ».
La colombe partit à tire d’aile et la dame d’amour, soudain
prise d’un accès de langueur inexplicable, s’allongea sur des coussins et
somnola dans un état second.
C’est dans cette position que la trouva Jehan d’ Armagnac.
Se méprenant sur sa posture et sur ses paupières mi-closes,
il y vit une invitation à l’amour et il eut vite fait de franchir la barrière
de mousseline et d’accéder ainsi au jardin d’amour de celle qu’il n’avait
jamais cessé d’aimer.
Ses effusions tendres et passionnées atteignirent sa dame
dans ce qu’elle avait de plus noble et de plus secret. Dans une sorte de rêve,
elle répondit de tout son corps à cet amour illicite.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, ce fut pour apercevoir dans un
rideau de brume, non pas le prince qu’elle aimait mais le chevalier d’ Armagnac
qui s’apprêtait , à nouveau, à honorer sa dame d’amour.
« Ne craignez rien, ma bien-aimée, ce secret restera
entre nous. Je vais boire à longs traits le calice d’amour qui réside en vous
et qui contient des sucs si délicats que je ne pourrai plus désormais m’en
priver.
Je suis plus jeune que votre époux et pourrai vous aimer
jusqu’à ce que l’ardeur et la force d’aimer se perdent en moi, comme des
sources taries qui cherchent une nouvelle vigueur.
Mais en attendant, ma douce toute en soie, je veux vous
aimer encore et toujours si vous acceptez de vous abandonner comme vous le
fîtes, dans mes bras vigoureux.
Je vous aime à la folie et s’il vous plaît d’être ma
Guenièvre, je serai votre Lancelot ».
Puis le comte enlaça à nouveau sa belle, baisa profondément
ses lèvres palpitantes de désir et ils s’aimèrent passionnément tandis que les
paons faisaient la roue dans ce jardin d’amour si joliment nommé.
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