Le
Prince qui venait du Nord
Dans un royaume protégé par des
barrières rocheuses aux neiges éternelles, vivait un prince dont l’édelweiss
était l’emblème. Il aimait poursuivre les chamois et s’extasiait devant des
edelweiss car ces fleurs étoilées, aux pétales de velours, le mettaient en
émoi. Il aimait les dessiner sur place pour les peindre ensuite au
palais : il ne voulait pas les arracher à la vie, au cœur de leur écrin de
mousses et de rochers.
Aucune jeune fille ne lui
paraissait avoir une beauté comparable et lorsqu’il effleurait la joue d’une
personne fraîche et avenante, il regrettait de ne pas ressentir une émotion
identique à celle qu’il éprouvait au toucher de cette fleur merveilleuse.
Poussé par son entourage inquiet de
le voir s’enfoncer dans un mortel célibat, il suivit les conseils des notables
du royaume et prit la route du sud afin de rencontrer la princesse ou la jeune
roturière qui lui ferait oublier les edelweiss.
Après avoir fait garnir les fontes
de son cheval Topaze, ainsi nommé pour la couleur feu de sa crinière, de mille
et un objets utiles pour un voyageur et des bijoux destinés à sa belle, le
prince Amédée jeta un dernier regard sur ses belles montagnes et partit, un edelweiss
à la boutonnière, pour l’aventure.
Il traversa ainsi mille et une
contrées aussi différentes et belles, les unes que les autres, et au terme
d’une longue chevauchée comprenant des haltes chez l’habitant, il décida de
s’arrêter dans un lieu qui lui parut avenant.
Il frappa à la porte d’un manoir
joliment fleuri en actionnant un heurtoir ciselé en bouton de rose.
La porte s’ouvrit et il découvrit
un hôte étrange : élégamment vêtu, il arborait une chevelure bouclée et un
sourire félin.
Amédée se présenta et prétendit
vouloir aller à la rencontre de mondes différents du sien.
Son hôte l’invita à prendre place
dans une pièce meublée avec goût et il s’assit dans un fauteuil profond.
On leur servit un agréable
repas : galettes de sarrasin garnies de fromage et de salaisons, pichet de
cidre et enfin une tarte aux fruits.
Amédée voulait converser pour
remercier son hôte d’un accueil aussi agréable mais ce dernier invoqua une
fatigue subite et le fit conduire à ses appartements.
Charme campagnard et confort étaient
de mise dans une jolie chambre où trônait un grand lit aux voilages brodés. Il
y avait un piano, un secrétaire et naturellement dans une pièce adjacente, tout
ce qui servait à la toilette.
Après avoir pris un bain parfumé à
la lavande, le prince revêtit une longue chemise et il ne tarda pas à
s’endormir.
Le lendemain, il n’eut affaire
qu’aux serviteurs, le maître des lieux ayant dû partir régler des problèmes
dans ses domaines étendus.
Le prince songeait à partir mais le
personnel le supplia de n’en rien faire : le maître leur avait bien
recommandé de garder son hôte et de lui faire connaître toutes les beautés de
son domaine.
Par courtoisie, Amédée accepta de
rester et il se fit conduire dans un lieu que chacun trouvait merveilleux.
Elie, le majordome se fit un point d’honneur à l’accompagner.
Le cocher s’arrêta devant une
grotte de quartz rose, baignée de lumière.
Les deux hommes progressèrent à
l’intérieur, allant de sculptures en fresques murales.
Une ravissante créature, vêtue de
soie couleur lilas, aux mains décorées d’arabesques grâce au henné, façonnait
un miroir en le plongeant dans un bain groseille.
Le résultat fut des plus réussis.
Amédée songea que des edelweiss
finaliseraient la parure. Il formula sa demande en suggérant d’ajouter à ce chef
d’œuvre les fleurs magiques de son pays.
La créatrice s’émerveilla de la
beauté de la fleur qu’il portait toujours à la boutonnière.
De retour au manoir, il entreprit
de styliser la fleur de mille et une manières et fut étonné de constater que la
journée passait comme un rêve.
Au souper, il y avait une
surprise : un petit orchestre avec pianiste, violoniste et joueuse de
flûte interpréta une charmante sonate tandis que des plats exquis étaient
servis par des jeunes femmes en robe longue.
Au dessert, la créatrice de miroirs
fit une apparition. Vêtue d’une tenue de soirée vaporeuse, turquoise filée or,
elle fit honneur aux îles flottantes sur coulis de caramel et pavés de
myrtilles.
Elle donna rendez-vous au prince le
lendemain afin d’orner ses miroirs de ces fleurs de neige qui offriraient des
rêves à mainte princesse en mal d’amour.
Le lendemain et les jours suivants
passèrent à la vitesse impulsée par la création.
Amédée et Oriane, l’artiste aux
mains d’or, étaient au diapason.
Une fois façonné, le miroir s’ornait
de fleurs neigeuses et aucun objet ne ressemblait à un autre, le dessin de la
fleur épousant à chaque fois la forme initiale du conseiller des grâces.
Un jour, une princesse joliment
nommée Fleur de Lin fit une apparition remarquée.
Elle allait, d’un miroir à un
autre, ne sachant lequel prendre et c’est Oriane qui lui suggéra de s’en
remettre au choix du rossignol. C’est un stratagème qu’elle avait mis au point
pour départager les acheteuses qui se disputaient parfois la même création.
Elle sifflait un rossignol qu’elle avait apprivoisé et le charmant volatile se
posait finalement sur une œuvre d’art, ce qui charmait tout le monde.
Cette fois, le rossignol opta pour
un miroir particulièrement élégant car on discernait une silhouette bleutée sur
l’étoile des neiges.
La princesse partit en laissant des
pièces d’or et elle offrit au prince l’une de ses bagues en gage d’amitié.
Par la suite, Oriane dut recruter
deux jeunes apprenties car les commandes affluaient.
Elle invita Amédée à faire de même
et bientôt l’atelier retentit de rires, de chants et de silences sacrés au
moment du dernier bain d’un miroir ou du dernier coup de pinceau fin qui devait
offrir à l’objet son âme ciselée.
De jolies dames se pressaient à
heure fixe et bientôt le choix du rossignol ne devint plus nécessaire car
chacune trouvait sans hésiter le miroir de ses rêves.
Sur ces entrefaites, le maître du
domaine revint en son manoir.
Le prince prit congé de son aimable
collaboratrice et s’en fut au logis prendre un repos bien mérité.
Stanislas, son hôte, fut heureux
d’apprendre que le prince avait occupé ses journées à façonner des objets d’art
en leur donnant la touche finale.
Pour récompenser Amédée de tous ses
efforts, il décida d’organiser une fête dont chacun se souviendrait avec délices.
Parties de chasse, recrutement de
personnel pour s’affairer à la cuisine ou décorer une immense salle de bal fut
à l’ordre du jour.
Stanislas tenait à ce que le prince
soit somptueusement vêtu et il fit venir un tailleur accompagné par ses petites
mains pour confectionner une garde-robe royale.
« Vous voulez me
marier » dit le prince en souriant,
ce à quoi son hôte rétorqua qu’il était temps, pour lui, de songer à cet
événement capital dans la vie d’un homme.
Il ajouta qu’en ce qui le
concernait, il n’était plus question de songer à prendre une nouvelle épouse
dans la mesure où la seule femme de sa vie avait malheureusement péri dans un
accident, au cœur de la forêt.
Depuis, il se consacrait à
l’entretien de son domaine et il prenait plaisir à accueillir des hôtes de
passage, se faisant une joie de pouvoir leur donner un peu de bonheur.
Attristé par cet état de fait, le
prince eut à cœur de participer aux préparatifs de la fête qui se donnait en
son honneur. A la demande de son hôte, il calligraphia de nombreux edelweiss
sur des cartes d’invitation et composa un joli texte destiné à susciter le
désir d’assister à une élégante soirée :
« Vous qui rêvez, dans un
château ou une simple demeure, rejoignez, pour son plus grand bonheur, le comte
Stanislas qui organise une belle fête où les musiciens seront à votre service
pour vous faire danser. Préparez-vous, en famille ou avec des amis et sachez
que le buffet sera bien garni ».
Le jour de la fête arriva enfin et
ce fut une succession d’attelages pimpants, ornés de roses et de rubans.
Vêtus avec élégance, les invités
s’empressèrent de gagner la salle de bal et l’orchestre attaqua avec brio une
valse entraînante.
Les couples se formèrent.
Le comte Stanislas ouvrit le bal
avec une beauté qui déclinait toutes les nuances de mauve et le prince invita
une charmante jeune fille vêtue de rose, si timide que cette couleur lui
montait aux joues, lui donnant un charme supplémentaire.
Toute la soirée se déroula sans
incident et chacun fit honneur au buffet.
La jeune fille timide se prénommait
Bella, ce qui lui convenait à merveille.
Le lendemain, le comte apprit au
prince que cette jeune beauté était orpheline et qu’un lien de parenté lui
avait conféré le bonheur d’être son tuteur.
Il ajouta que sa fortune était considérable
et que si des liens amoureux devaient se tisser entre son hôte et sa pupille,
il verrait cette union d’un bon œil car il tenait le prince en haute estime.
Le prince n’osa pas l’informer de
son rêve, à savoir épouser celle qui lui ferait oublier les edelweiss, tant
cette idée lui semblait absurde à présent.
Pour ne pas froisser un hôte aussi
prévenant, il le remercia chaleureusement, invoqua le jeune âge de la jolie
Bella et prit la décision de retourner dans son palais des neiges.
Il invita fermement le comte à
venir chez lui, aux premiers rayons du soleil printanier et insista sur le fait
que son hôte pourrait venir en compagnie de personnes choisies pour leur charme
ou leur efficacité.
« Naturellement, si votre
pupille n’a pas rencontré son prince charmant, je me ferai un devoir et le
plaisir de l’accueillir avec tout l’éclat qu’elle mérite ».
Après ces belles paroles, Amédée
regagna sa chambre et connut une nuit étoilée d’edelweiss.
Le lendemain, il quitta son hôte,
le remercia avec effusion et prit la route du retour sur son cheval Topaze.
Il fit une halte chez son amie, lui
offrit des rubis et des pièces d’or en échange de quelques miroirs, siffla le
rossignol magique, baisa la main d’Oriane avec infiniment de délicatesse et
l’invita à venir le voir au printemps.
Il chevaucha allègrement, songeant
aux fêtes qu’il donnerait pour remercier ses amis de l’avoir si bien accueilli.
Il fit halte chez les personnes qui
l’avaient reçu lors de l’aller et lorsque les tours de son palais se
profilèrent à l’horizon, une nuée d’oiseaux noirs s’abattit sur lui et il eut
fort à faire pour protéger ses yeux.
Malgré la bravoure de Topaze qui
faisait front avec courage, il fut désarçonné, perdit connaissance et quand il
retrouva ses esprits, il gisait au fond d’une grotte.
Les oiseaux noirs avaient disparu
et des brigades de petites fées et de lutins s’affairaient autour de lui.
C’était une grotte marine en forme
de coquillage et le roulis de la mer se faisait entendre.
Il était encore faible, c’est
pourquoi il se laissa dorloter par ces esprits mutins qui lui apportèrent des
plateaux de fruits de mer savoureux.
Ses forces revinrent grâce à ce
régime iodé et il prit la direction de la grève.
Il apprécia les bains de mer et plongea
avec délice dans ces eaux turquoise, rivalisant avec les dauphins.
Ses souvenirs avaient disparu et
lorsqu’il trouva dans l’une de ses poches, un edelweiss, il fut surpris par la
blancheur nacrée et veloutée de la fleur.
Pendant ce temps, l’arrivée de
Topaze, sans son cavalier, stupéfia l’entourage du palais.
On examina les fontes et chacun fut
ravi d’y trouver de merveilleux miroirs, décorés avec tant de délicatesse qu’on
y vit la main du maître.
On fit des battues.
Topaze conduisit les notables jusqu’à
l’endroit où les oiseaux funestes les avaient aveuglés mais il n’y avait plus
de trace de leur passage, si ce n’est un piétinement évident, l’empreinte des
sabots s’étant ancrée dans la terre meuble.
Au printemps, les invités
arrivèrent et c’est avec consternation qu’ils apprirent l’étrange disparition
du prince.
Oriane fut la seule personne qui
put monter Topaze.
Tous deux firent de longues
promenades dans les alentours et lorsque le moment du départ fut proche, le
majordome prit l’initiative d’offrir le cheval du prince à celle qui l’avait
sauvé du désespoir : Topaze était arrivé au palais en hennissant de douleur
et depuis, il dépérissait !
Oriane fit provision d’edelweiss
avant de partir, se promettant de reprendre les motifs floraux du prince.
Quant à Bella, elle chassa sa
mélancolie en écrivant de jolis poèmes qu’elle réunit en un livre, enluminé par
des chamois et des roses.
« Si d’aventure, tu reviens,
prince de mon cœur, n’oublie pas que la petite Bella ne laisse pas s’effacer ta
belle image de prince charmant.
Amédée, je te réserve un amour
immense si tu parviens à revenir en ce monde de neige et de glace, nacré de ces
beaux edelweiss que tu aimes tant ».
Elle écrivit ces mots à l’encre
sympathique car elle craignait que l’on se moque d’elle en ce palais éloigné de
son royaume.
Loin de se douter de tous ces
événements, le prince qui ignorait jusqu’à son nom, se laissait bercer par le
roulis des vagues.
Un jour, il aperçut, au loin, un
voilier qui se dirigeait vers son paradis.
Les voiles arboraient des fleurs
brodées qui firent battre son cœur. « Des edelweiss » balbutia-t-il
et soudain, la mémoire lui revint.
Des images se bousculèrent dans son
cerveau, son palais nordique, les chamois et les edelweiss, l’atelier d’Oriane
et ses miroirs, son hôte et surtout, Bella dont la beauté était gravée au plus
profond de son cœur.
Le voilier s’arrêta à bonne
distance et une chaloupe se dirigea vers le rivage.
Une jeune femme, à la blondeur
parfaite, illuminée par les edelweiss qu’elle portait par brassées, Bella elle-même,
mit le pied sur la plage et courut se réfugier dans les bras de son fiancé.
Fées et lutins s’activèrent dans la
grotte et préparèrent un véritable festin de fiançailles.
Un gâteau cuit à la broche aux
senteurs de vanille clôtura ce repas digne d’un roi.
Bella et Amédée firent honneur à
toutes ces merveilles et l’équipage y alla de si bon cœur qu’il n’en resta pas
une miette.
Bella confia à son compagnon qu’elle
n’avait jamais perdu l’espoir de le retrouver et qu’elle s’était servie des
edelweiss comme d’un talisman et d’une boussole.
C’est ainsi que je suis venue jusqu’à
vous, conclut-elle avec un charmant sourire et Amédée lui répondit par un
baiser passionné.
La suite, vous la devinez, ce fut
un retour triomphal au palais et le couple se maria en grandes pompes.
Ils décidèrent de rester au palais
jusqu’à la naissance de leur premier enfant et lorsque la venue du prince
Victor-Jean survint, les heureux parents se firent annoncer pour le printemps
suivant dans les domaines de Bella et de son tuteur, à l’origine de leur
rencontre.
Quant au souhait d’épouser la jeune
fille qui lui ferait oublier l’incomparable beauté des edelweiss, il était
réalisé puisque Bella incarnait à elle seule, cette divine splendeur en
déclinant toutes les nuances de blancheur nacrée, voilée de rose, aux couleurs
de l’aurore de la fleur unique des cimes.
Ainsi finit l’histoire du prince
qui venait du nord et de sa quête éperdue du bonheur, à l’image veloutée des
edelweiss qu’il portait en son cœur.
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