Les grandes manœuvres
Campé sur son véhicule militaire, à la manière d'un Jules César, le
jour de son triomphe à Rome, entouré par la garde républicaine à cheval dont il
percevait le martèlement des sabots sur les pavés et le bruissement des
uniformes rutilants, le président allait vers son destin.
Quelques heures auparavant, il avait assisté au départ de son
prédécesseur puis il avait salué une assistance venue le congratuler.
Il serrait les mains avec chaleur, embrassait des citoyennes et il lui
arrivait d'avoir un geste affectueux vis à vis de tel ou tel fidèle.
Ce geste n'était pas sans rappeler celui que Napoléon réservait à ses
grognards en leur tirant l'oreille.
Il y avait, bien sûr, les "Marcheurs" de la première heure,
notamment le connétable de Lugdunum, ville qui plut aux Romains et dont
l'histoire fut glorieuse et industrielle, mêlant la soie et les plaisirs
gourmands.
Ayant eu pour théâtre principal la même capitale des Gaules jusqu’à la
mort tragique de Max, alias Jean Moulin, l’extraordinaire Daniel Cordier qui
fut son secrétaire, avait foulé le tapis rouge qui menait au château,
magnifique et élégant en dépit de son âge sans que les commentateurs ne citent
son nom. Sans doute ne le connaissaient-ils pas et préféraient-ils disserter
sur des sujets anodins, tels que les toilettes de ces dames ou des comparaisons
avec les quinquennats précédents.
Le Président manifesta son émotion en serrant ce brave des braves sur
son cœur.
Daniel Cordier, échaudé par les péripéties politiciennes des
lendemains de la Libération, avait souhaité rester dans l’ombre, celle qui lui
avait permis de rester en vie durant l’occupation, de sinistre mémoire.
Il était si jeune alors, si « bon chic bon genre » durant
les tristes jours de la collaboration qu’il passait inaperçu. Sans doute
portait-il encore en lui les stigmates des penchants de sa famille pour la
droite politicienne, dans son berceau palois, idéologie à laquelle il avait
adhéré.
Il avait révélé ces penchants à Max lors de leur première entrevue et
le chef de la Résistance s’était montré amusé et imperturbable. Sans lui donner
le moindre cours de morale, il avait décidé de faire de lui son bras droit,
pensant certainement que le visage et l’allure de ce tout jeune homme, façonnés
par les coutumes de la haute bourgeoisie béarnaise étaient idéaux pour un
passeport sans faille.
On le suit, pas à pas, dans un livre qu’il a écrit, Alias Caracalla,
où l’on mesure l’extrême dangerosité de la tâche qui lui fut confiée.
Le maquis des personnalités de la Résistance, souvent en compétition
et songeant surtout à soutirer des subsides conséquents pour s’imposer en
leader incontesté était aussi dangereux que la forêt où se cachaient les
combattants de l’ombre.
Dans ce livre précieux et documenté, on peut découvrir les arcanes de
la reconquête politique d’un pays désemparé par la trahison d’un maréchal,
adulé par une grande partie de la population, volontairement aveugle et
amnésique.
Mais pour le Président, c’était jour de fête et le dernier air joué
par l’orchestre de la garde républicaine fut un extrait d’un opéra de Mozart.
Sa foulée juvénile le propulsa au pupitre où il fit un discours qui
entra dans l’Histoire.
Le soir de son élection, il avait offert au monde l’image d’un pays
réconcilié avec son passé, marchant gravement et triomphalement sur l’esplanade
de la pyramide du Louvre, aux accents de la neuvième symphonie de Beethoven.
Héros stendhalien, il était l’incarnation d’un Julien Sorel qui aurait
réussi sa vie en politique et en amour.
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