La terre des dieux
Afin de parfaire l’éducation chevaleresque du prince Flor,
Kylian l’emmena vivre une saison en terre de Brocéliande, celle des dieux lui
dit-il mystérieusement.
Avec une solide escorte de chevaliers aguerris, ils
traversèrent monts et vallées, s’arrêtant parfois dans des monastères où on
leur proposait souvent l’hospitalité.
Kylian lui raconta des légendes celtiques, privilégiant les
plus insolites et les plus éloignées du monde plein de charme qui était
familier au jeune prince.
Près du château de Trecesson, il fit allusion à l’histoire
de la dame blanche : un braconnier, un soir, au clair de lune, avait vu
arriver un carrosse entouré par des cavaliers. Ces hommes creusèrent une fosse
puis ils extirpèrent du carrosse une jeune femme en robe de mariée, portant une
couronne d’oranger sur sa blonde chevelure. Ils l’emmenèrent auprès de la fosse
et avec une certaine délicatesse, l’aidèrent à s’y allonger.
La jeune femme ne fit aucun geste pour s’opposer à cette
criminelle action et les jeunes gens jetèrent des pelletées de terre sur la
malheureuse sans qu’elle pousse un cri.
L’opération macabre terminée, les assassins redevinrent
cavaliers et ils repartirent en escortant un carrosse apparemment vide.
Le braconnier hésita longtemps avant d’alerter le châtelain
car il craignait des représailles pour s’être ainsi approché du château, de
nuit.
Mais il finit tout de même par sonner la cloche et raconter
l’horrible drame dont il avait été le témoin.
On se précipita, on ouvrit la fosse, la malheureuse respirait
encore mais elle mourut sans pouvoir dire un mot.
On garda sa couronne d’oranger et on la mit sous cloche.
Le seigneur se renseigna activement et un dessinateur
talentueux reproduisit au fusain le visage et la silhouette de la jeune femme.
Des lingères expertes reconstituèrent la robe de mariée de manière similaire
car on n’eut pas le cœur de dévêtir la morte avant de l’ensevelir
religieusement.
L’exposition des dessins et la création de la robe de mariée
à l’identique restèrent sans résultat.
Parfois, ajouta Kylian, on croit voir une silhouette blanche
errer près du château mais celui qui
pense pouvoir lui prendre la main ne rencontre que le vent.
On la nomme désormais la dame blanche et chacun retient son
souffle en espérant ne pas la rencontrer.
Fuyons vite ce lieu, s’écria Flor car j’avoue que je trouve
cette légende terrifiante. Nous ferons porter des fleurs sur la tombe de cette
malheureuse en espérant que ses tortionnaires soient un jour punis.
Allons prendre un peu de repos dans l’abbaye de Paimpont et
nous y trouverons un accueil charmant et un gîte chaleureux.
En ce qui concerne les fleurs, c’est une délicate attention
et j’ajouterai aux bouquets de roses et de fleurs traditionnelles, des jonchées
de bruyère qui passe pour favoriser la transition vers les royaumes divins.
Ainsi fut fait et le séjour dans l’abbaye fut si agréable
que Flor en oublia la légende de la dame blanche.
Comme il était agréable de voir la brume déchirer ses
voiles, un à un, sur la surface du lac avoisinant le majestueux corps de l’abbaye !
Flor avait l’impression de plonger au cœur de cette terre de
Brocéliande dont Kylian ne lui avait pas chanté en vain les beautés.
Les galettes de sarrasin et les crêpes accompagnées de lait
ribot donnaient un coup de fouet aux jeunes gens avides d’explorations de cette
terre si généreuse et si simple à la fois.
Des lits clos parachevaient l’impression de mystère et sous
les cils des chevaliers, des êtres féeriques entreprenaient de les charmer.
Ils allèrent se recueillir auprès de la fontaine de
Barenton.
Sur une grosse pierre, il y avait un gobelet d’or mais
Kylian dissuada son ami d’en faire usage car à la moindre goutte d’eau répandue
sur la margelle, un chevalier noir apparaissait dans un déluge assombri par le
silence des oiseaux.
La légende rapporte que des éclairs foudroyants zébraient le
ciel tandis que le chevalier défiait de sa lance celui qui avait osé troubler
la sérénité des lieux.
Enfin le malheureux audacieux payait de sa vie l’étourderie
de son geste.
C’est ici ajouta Kylian que Viviane serait apparue la
première fois à l’enchanteur Merlin et que cette créature sage et un peu folle
en serait tombée amoureuse jusqu’à en perdre tous ses secrets.
Nous n’irons pas voir le tombeau de Merlin ajouta-t-il car c’est
une supercherie.
Merlin a été envoûté par la fée Viviane, succombant à son
dernier secret pour la charmer, croyait-il : comment enchaîner un être
humain de manière irréfutable ? Le tombeau où il a été enfermé par celle
qu’il aimait est immatériel !
Ces histoires sont passionnantes dit Flor et je regrette que
ma sœur ne soit pas là pour les entendre.
Afin de rompre avec les charmes, ils prirent place à une
table dans une taverne et burent de la cervoise avec délectation.
Puis ils prirent les chemins du val-sans-retour où les fées
retenaient parfois les chevaliers en leur faisant perdre la mémoire.
Ils évitèrent le ruisseau où des lavandières lavaient du
linge qui s’avérait pouvoir être votre linceul.
Je viens de voir bouger des feuilles dit Flor !
Alors sois heureux, cher ami, ce sont les korrigans qui t’adressent
un signe d’amitié.
Bienvenue en terre celtique !
Nous sommes dans un terroir où sans nul doute, les dieux ont
laissé leur empreinte !
Nous y reviendrons avec la princesse Nour si elle le
souhaite !
A présent, je propose que nous repartions au château car les
nouvelles se font rares. En ces temps troublés, une guerre peut surgir à tout
moment.
Notre concours peut être précieux et nécessaire.
Les deux amis reprirent le chemin du retour, ressourcés par
ce séjour revigorant dans le pays des légendes et ils présentèrent, à leur
arrivée, leurs hommages appuyés à leur suzerain.
Leurs bagages recelaient des trésors, de la bonne farine de
sarrasin pour faire des galettes, des biscuits au beurre, la recette du
fabuleux Kouign Aman ou gâteau de
beurre, de la cervoise et des robes brodées pour les dames.
Très impressionné par la légende de la dame blanche, Flor
avait commandé et fait réalisé une copie de la fameuse robe de mariage, linceul
de la malheureuse sans nom.
Cette histoire plaira beaucoup à ma mère, la belle
Blanchefleur, si douce et si bonne ! Je lui offrirai la robe pour qu’elle
s’en inspire et reproduise les motifs de broderie qui sont incomparables.
L’évocation du retour possible en orient du prince Flor et
de sa sœur, la divine Nour eut un effet choc sur Kylian qui envisagea d’accomplir
le voyage sous un prétexte plausible qu’il
se devait de présenter !
C’est en méditant ainsi qu’il rejoignit sa chambre où il s’endormit
en rêvant que la fée Viviane cherchait en vain à l’ensorceler et que, par
vengeance, elle faisait naître l’amour pour un autre que lui dans le cœur de la
lumineuse Nour, ensorcelée à son tour par le chevalier noir qui gardait la
fontaine de Barenton !
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