lundi 17 septembre 2018

La terre des dieux


La terre des dieux
Afin de parfaire l’éducation chevaleresque du prince Flor, Kylian l’emmena vivre une saison en terre de Brocéliande, celle des dieux lui dit-il mystérieusement.
Avec une solide escorte de chevaliers aguerris, ils traversèrent monts et vallées, s’arrêtant parfois dans des monastères où on leur proposait souvent l’hospitalité.
Kylian lui raconta des légendes celtiques, privilégiant les plus insolites et les plus éloignées du monde plein de charme qui était familier au jeune prince.
Près du château de Trecesson, il fit allusion à l’histoire de la dame blanche : un braconnier, un soir, au clair de lune, avait vu arriver un carrosse entouré par des cavaliers. Ces hommes creusèrent une fosse puis ils extirpèrent du carrosse une jeune femme en robe de mariée, portant une couronne d’oranger sur sa blonde chevelure. Ils l’emmenèrent auprès de la fosse et avec une certaine délicatesse, l’aidèrent à s’y allonger.
La jeune femme ne fit aucun geste pour s’opposer à cette criminelle action et les jeunes gens jetèrent des pelletées de terre sur la malheureuse sans qu’elle pousse un cri.
L’opération macabre terminée, les assassins redevinrent cavaliers et ils repartirent en escortant un carrosse apparemment vide.
Le braconnier hésita longtemps avant d’alerter le châtelain car il craignait des représailles pour s’être ainsi approché du château, de nuit.
Mais il finit tout de même par sonner la cloche et raconter l’horrible drame dont il avait été le témoin.
On se précipita, on ouvrit la fosse, la malheureuse respirait encore mais elle mourut sans pouvoir dire un mot.
On garda sa couronne d’oranger et on la mit sous cloche.
Le seigneur se renseigna activement et un dessinateur talentueux reproduisit au fusain le visage et la silhouette de la jeune femme. Des lingères expertes reconstituèrent la robe de mariée de manière similaire car on n’eut pas le cœur de dévêtir la morte avant de l’ensevelir religieusement.
L’exposition des dessins et la création de la robe de mariée à l’identique restèrent sans résultat.
Parfois, ajouta Kylian, on croit voir une silhouette blanche errer près  du château mais celui qui pense pouvoir lui prendre la main ne rencontre que le vent.
On la nomme désormais la dame blanche et chacun retient son souffle en espérant ne pas la rencontrer.
Fuyons vite ce lieu, s’écria Flor car j’avoue que je trouve cette légende terrifiante. Nous ferons porter des fleurs sur la tombe de cette malheureuse en espérant que ses tortionnaires soient un jour punis.
Allons prendre un peu de repos dans l’abbaye de Paimpont et nous y trouverons un accueil charmant et un gîte chaleureux.
En ce qui concerne les fleurs, c’est une délicate attention et j’ajouterai aux bouquets de roses et de fleurs traditionnelles, des jonchées de bruyère qui passe pour favoriser la transition vers les royaumes divins.
Ainsi fut fait et le séjour dans l’abbaye fut si agréable que Flor en oublia la légende de la dame blanche.
Comme il était agréable de voir la brume déchirer ses voiles, un à un, sur la surface du lac avoisinant le majestueux corps de l’abbaye !
Flor avait l’impression de plonger au cœur de cette terre de Brocéliande dont Kylian ne lui avait pas chanté en vain les beautés.
Les galettes de sarrasin et les crêpes accompagnées de lait ribot donnaient un coup de fouet aux jeunes gens avides d’explorations de cette terre si généreuse et si simple à la fois.
Des lits clos parachevaient l’impression de mystère et sous les cils des chevaliers, des êtres féeriques entreprenaient de les charmer.
Ils allèrent se recueillir auprès de la fontaine de Barenton.
Sur une grosse pierre, il y avait un gobelet d’or mais Kylian dissuada son ami d’en faire usage car à la moindre goutte d’eau répandue sur la margelle, un chevalier noir apparaissait dans un déluge assombri par le silence des oiseaux.
La légende rapporte que des éclairs foudroyants zébraient le ciel tandis que le chevalier défiait de sa lance celui qui avait osé troubler la sérénité des lieux.
Enfin le malheureux audacieux payait de sa vie l’étourderie de son geste.
C’est ici ajouta Kylian que Viviane serait apparue la première fois à l’enchanteur Merlin et que cette créature sage et un peu folle en serait tombée amoureuse jusqu’à en perdre tous ses secrets.
Nous n’irons pas voir le tombeau de Merlin ajouta-t-il car c’est une supercherie.
Merlin a été envoûté par la fée Viviane, succombant à son dernier secret pour la charmer, croyait-il : comment enchaîner un être humain de manière irréfutable ? Le tombeau où il a été enfermé par celle qu’il aimait est immatériel !
Ces histoires sont passionnantes dit Flor et je regrette que ma sœur ne soit pas là pour les entendre.
Afin de rompre avec les charmes, ils prirent place à une table dans une taverne et burent de la cervoise avec délectation.
Puis ils prirent les chemins du val-sans-retour où les fées retenaient parfois les chevaliers en leur faisant perdre la mémoire.
Ils évitèrent le ruisseau où des lavandières lavaient du linge qui s’avérait pouvoir être votre linceul.
Je viens de voir bouger des feuilles dit Flor !
Alors sois heureux, cher ami, ce sont les korrigans qui t’adressent un signe d’amitié.
Bienvenue en terre celtique !
Nous sommes dans un terroir où sans nul doute, les dieux ont laissé leur empreinte !
Nous y reviendrons avec la princesse Nour si elle le souhaite !
A présent, je propose que nous repartions au château car les nouvelles se font rares. En ces temps troublés, une guerre peut surgir à tout moment.
Notre concours peut être précieux et nécessaire.
Les deux amis reprirent le chemin du retour, ressourcés par ce séjour revigorant dans le pays des légendes et ils présentèrent, à leur arrivée, leurs hommages appuyés à leur suzerain.
Leurs bagages recelaient des trésors, de la bonne farine de sarrasin pour faire des galettes, des biscuits au beurre, la recette du fabuleux Kouign Aman  ou gâteau de beurre, de la cervoise et des robes brodées pour les dames.
Très impressionné par la légende de la dame blanche, Flor avait commandé et fait réalisé une copie de la fameuse robe de mariage, linceul de la malheureuse sans nom.
Cette histoire plaira beaucoup à ma mère, la belle Blanchefleur, si douce et si bonne ! Je lui offrirai la robe pour qu’elle s’en inspire et reproduise les motifs de broderie qui sont incomparables.
L’évocation du retour possible en orient du prince Flor et de sa sœur, la divine Nour eut un effet choc sur Kylian qui envisagea d’accomplir le voyage  sous un prétexte plausible qu’il se devait de présenter !
C’est en méditant ainsi qu’il rejoignit sa chambre où il s’endormit en rêvant que la fée Viviane cherchait en vain à l’ensorceler et que, par vengeance, elle faisait naître l’amour pour un autre que lui dans le cœur de la lumineuse Nour, ensorcelée à son tour par le chevalier noir qui gardait la fontaine de Barenton !

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