Jehan d’Armagnac
Traçant sa route à la manière d’un sioux, enveloppé dans une
cape brune, les sabots de son cheval couverts de feutrine pour étouffer le
bruit de ses pas, Jehan d’ Armagnac suivait, à distance maîtrisée, les deux
amants, tout à leur passion.
Ils entrèrent dans le palais dont la magnificence attisa la
jalousie qui emplissait le cœur du nobliau.
Mon seul tort est de ne pas être prince se disait-il sans se
rendre compte que cet argument n’avait rien de rationnel.
Il attacha sa monture dans les écuries, flatta son encolure
puis il explora les alentours. Il n’était pas possible d’entrer subrepticement
dans le palais tant les ouvertures semblaient imprenables.
Mais la chance fut de son côté car les deux amants
réapparurent, en tenue d’intérieur et ils se dirigèrent vers le jardin d’amour,
épicentre de leur passion.
Ils s’assirent sur le banc et le prince chanta une romance
en s’accompagnant d’un instrument à cordes venu d’orient et qui s’apparentait
au luth.
« Douce dame, toute de soie vêtue, votre blonde
chevelure ferait de la déesse des moissons votre servante. Une rivière d’argent
coule en vous et je m’y abreuve à longs traits, chantant ensuite votre
inaltérable beauté. Je vous redis que le cours du temps n’y changera rien :
Belle vous êtes, belle vous resterez !
Laissez-moi, ô ma mie, honorer à nouveau cette beauté qui
vous a été conférée , à la naissance, par le choix de votre prénom.
Blanchefleur, ô ma reine, je vous aime à la folie et tant
que je vivrai, ma voix, mes mains, mes lèvres et mon corps tout entier seront à
vous pour que je vous honore de toutes les façons » .
Le prince rangea son luth et joignant le geste à la parole,
il enlaça sa belle, caressa son corps en écartant la barrière légère de
mousselines qui l’enveloppaient et lui donna un baiser si long, si passionné,
si ardent que les colombes présentes, assoupies dans les branches d’un arbre,
entonnèrent un chant d’amour, roucoulant à la manière féerique du printemps des
amants.
Eperdu d’amour frustré, Jehan d’ Armagnac assistait,
impuissant, à ces ébats intenses.
Que ne suis-je à la place du prince se disait-il en serrant
fortement la poignée de sa dague dont il brulait de faire usage.
Mais alors qu’il s’apprêtait à passer à l’acte, les amants
partirent dans le pavillon où ils se livrèrent avec passion aux jeux de l’amour
dont ils connaissaient à présent tous les passages obligés.
Pantelant et désorienté, Jehan d’ Armagnac s’assit sur le
banc, ferma les yeux et crut percevoir une présence féminine qui s’ancrait dans
les fragrances de la rose.
Il enlaça cette compagne féerique, l’embrassa fougueusement
et sentit, sous ses doigts experts, se cambrer un corps qui attendait l’étreinte
suprême.
Cette divine beauté s’échappa, d’un pied léger et mutin, aux
premières lueurs de l’aube, laissant le chevalier curieusement apaisé.
Il se dirigea vers les écuries, sella sa monture et repartit
vers le château, soulagé de s’être
repris à temps et de ne pas avoir accompli de geste criminel, ce qui l’aurait,
à tout jamais, chassé du monde glorieux de la chevalerie où il était entré en
prêtant serment de droiture exemplaire.
Ange ou fée, ou même villageoise en mal d’amant, cette
apparition nocturne, si présente dans les jeux fougueux de l’amour, avait
parachevé sa stature de chevalier et lorsqu’il regagna le château, ce fut, avec
la ferme volonté de se choisir une épouse digne de son rang. Il se promit de la
chérir de mille et une façons afin de remplir son devoir d’époux honorable.
Le jour même, il devint, ce que toutes les dames libres
attendaient de lui, un damoiseau plaisant, prêt à danser et à créer des sonnets
pour célébrer les beautés de ces dames.
Ainsi, une fois de plus, l’amour l’emporta sur la haine et
dans le domaine qui était encore celui de Blanchefleur, en attendant son départ
pour l’orient, un arc-en-ciel ardent signala la constance des compagnons de la
tulipe d’or et de leurs compagnes, de rendre présent le bonheur qui épousait le
cours du temps et la fluidité des rivières, brassant les paillettes d’or de la
paix.
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