Dans le cœur féerique d’une pivoine
Dans le cœur d’une pivoine, une petite fée, semblable à la
fée Clochette, surveillait les abords de l’étal d’une fleuriste, tâchant de
deviner si aux alentours il n’y avait pas une âme en peine.
Or il arriva qu’une jolie fille éplorée trébuche sur les
pavés, ses beaux yeux emplis de larmes.
Elle venait d’apprendre que son gentil fiancé l’avait
quittée pour une duchesse, prêt à renouer avec une intrigue chère à Agatha
Christie dans Mort sur le Nil.
« Des violettes, Mademoiselle » ? lui
suggéra la fleuriste.
Afin de se distraire de son chagrin, Flora sortit quelques
pièces de son réticule et emporta un beau bouquet de ces fleurs printanières
qui embaumèrent bientôt le salon de son appartement.
Elle lut et relut les strophes amoureuses d’un poète ancien
et soupira en se disant qu’il avait peut-être brisé un cœur après avoir si bien
brodé des stances passionnées.
Minuit sonna mais il n’y eut aucun miracle. Benjamin ne lui
reviendrait jamais.
C’est alors que la petite fée Camélia profita d’un rayon de
lune et d’une fenêtre à demi-fermée pour s’introduire chez la douce Flora car
elle avait décidé de lui porter secours.
Elle attendit le lendemain pour mettre son plan à exécution.
Elle se servit de sa pivoine et d’une flûte en guise de
baguette magique pour la draper dans une robe de mousseline rose ornée de chrysanthèmes
et de paons brodés.
D’une perle qu’elle gardait d’un collier de la petite
sirène, elle fit jaillir et cascader des perles irisées qui devinrent colliers,
bracelets et bagues sans oublier des anneaux de cheville qui lui donnaient des
allures de Salomé.
Elle effleura ses longs cheveux cendrés et la transforma en
diva avec boucles, chignon de danseuse étoile et parures parsemées en rosaces.
Des chaussures élégantes et confortables mi- espadrilles, mi-
chaussures de verre comme celles de Cendrillon complétèrent la toilette de la
nouvelle Flora.
Camélia s’éclipsa et s’installa dans un mini palais de
cristal, observant de loin la métamorphose de sa filleule.
De son côté, Flora se reconnaissait à peine dans le miroir
tant sa physionomie respirait le bonheur.
Elle affronta ainsi l’épreuve de la rue, un léger sourire
aux lèvres car elle ne voulait surtout pas attirer le regard des voyous qui
avaient la fâcheuse manie de la désirer.
Elle ne rencontra personne, s’acheta une paire de gants en
dentelle de Caudry pour parachever sa toilette et s’installa dans un salon de
thé où elle commanda un tourment d’amour et du thé au jasmin.
C’est alors qu’il apparut, celui qui lui était destiné, à
coup sûr.
Svelte et charmant, il portait une bague en onyx, semblable
à celle d’un poète breton qu’elle aimait, Eugène Guillevic. De plus, il
arborait une pochette en dentelle, similaire à la sienne.
Il prit place à la table voisine, commanda du thé à la rose
et un assortiment de macarons.
Ils échangèrent quelques mots entre deux gorgées de ce thé
délicieux et parfumé.
Le jeune homme se prénommait Julien, comme Julien Doré, son
artiste préféré pensa Flora, et il était joaillier.
Il complimenta la jeune fille sur le choix des bijoux qu’elle
portait avec beaucoup d’élégance et de naturel et lui présenta une de ses
créations.
C’était une bague en platine coiffée d’une couronne de
diamants, portant en son cœur une perle océane qui captait la lumière.
« C’est un bijou digne d’une reine » lui dit Flora
et comme ils étaient seuls dans le salon de thé, la patronne les observant à
distance par discrétion, le jeune homme mit un genou à terre et lui demanda si
elle acceptait d’être sa reine.
Flora lui donna la main, lui enjoignit de se relever et ils
quittèrent ensemble le salon de thé en se jurant d’y revenir pour célébrer
leurs fiançailles.
Satisfaite de la réussite de la métamorphose de sa filleule
et de l’agréable tournure des événements, Camélia prit un peu de repos afin d’être
active si un autre chagrin d’amour survenait dans sa sphère d’activité.
Bercée par les parfums des pivoines de son jardin, elle rêva
qu’une envolée de tourterelles la conduisait dans le céleste terroir de l’enfance,
ce qui lui parut, au réveil, comme le signe annonciateur de la lignée prochaine
de la belle Flora, désormais guérie d’un chagrin d’amour qui lui avait permis
de rencontrer celui qui lui était destiné !
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