Elisabeth aux yeux de source
Des sources vagabondes semblaient jaillir des yeux
d’Elisabeth et cette caractéristique lui donna une aura virgilienne.
Lorsqu’elle emmenait son troupeau de chèvres dans les
alpages, tout le monde admirait son savoir-faire.
Elle était une magnifique chevrière et les amoureux de
Marcel Pagnol voyaient en elle la petite fée qui succédait à Paul, le petit
frère de Marcel qui n’avait jamais voulu quitter les collines du Garlaban.
Parvenue à l’estive avec son magnifique troupeau de chèvres
emmenées par de fiers béliers, Elisabeth s’installa dans la bergerie qui
comprenait un four à pain et une cuisine bien équipée car la jeune fille avait
l’intention de transformer les fruits de la nature en préparations gourmandes
dont elle pourrait consommer une partie et réserver les bocaux stérilisés en
plus grand nombre pour la vente.
La traite des chèvres lui offrit son lait du soir et la
matière première pour les premiers fromages dont elle se régalerait.
Le lendemain, elle se leva de bonne heure, fit le pain et
l’enfourna à l’aube en façonnant par ailleurs de belles brioches qu’elle orna
de fruits confits.
Toutes ses journées se passèrent de manière rythmée.
Aidée par les chiens Magnus et Milord, elle fit régner
l’ordre dans le troupeau.
Les coquines qui aimaient fuguer étaient vite ramenées
triomphalement par ces chiens de berger et les fugueuses comprenaient la leçon
et ne récidivaient nullement.
Les jours passèrent paisiblement et les allées et venues de
Pascalet, jeune berger resté dans la vallée, apportaient à la jeune fille les
échos du village.
Pascalet lui offrait des provisions nécessaires à son
confort, de la farine de blé, de seigle, de châtaigne, de l’huile d’olive, de
la viande séchée et du matériel destiné à la couture et à la broderie pour
agrémenter les après-midi passés dans l’estive en compagnie du troupeau.
Les jeunes gens passèrent des soirées ensemble. Elisabeth
réalisait de belles omelettes mousseuses faites avec les œufs apportés par le
jeune homme.
Une fiole de vin rosé agrémentait les repas et Pascalet fit
honneur à la brioche du matin et au bon fromage de chèvre, joliment moulé en
faisselle.
Le lendemain de ces soirées festives, il reprenait le chemin
du retour avec un chargement de fromages et de petites brioches individuelles
que l’on s’arrachait au village car Elisabeth n’avait pas sa pareille dans cet
art culinaire.
Pour lutter contre l’ennui et un endormissement possible,
installée à l’ombre d’un peuplier, près d’une source qui rappelait la vivacité
de son regard, la jeune fille brodait des pièces ajourées et elle réussit même
à reproduire un joli cabri, à l’image de celui qu’elle s’était juré d’adopter
au retour de l’estive.
Sur le chemin de table orné du chevreau, elle laissa libre
court à son imagination créative, brodant fleurs, rochers et ruisseau.
Outre les visites de Pascalet, elle reçut un jour un
poète-peintre qui s’était installé sur l’autre face du Garlaban.
Prénommé Cyril, il lui demanda l’autorisation de lui tenir
compagnie avant de rejoindre son abri à la belle étoile qui lui donnait
l’impression d’être un nouveau Rimbaud.
Il écrivait un recueil de poèmes et au vu des jolis yeux
d’Elisabeth, il décida d’intituler son ouvrage La source de tes yeux.
Il engrangea mille et une émotions auprès de la jeune fille,
mangea un délicieux souper fait des produits de l’estive, dormit dans un enclos
destiné aux visiteurs et prit congé le lendemain en traitant Elisabeth comme si
elle eût été une princesse.
C’était bien la princesse de son cœur et il reprit la plume
avec enthousiasme, décrivant sa beauté et l’émoi qu’elle suscitait, imitant
ainsi le poète Ronsard qui traçait de sa plume les traits évocateurs de sa
reine de beauté, Cassandre, Hélène ou Marie.
Comme il était également un peintre talentueux, il compléta
la palette amoureuse de son ode à Elisabeth en dessinant et en peignant la
jeune fille avec une telle intensité que le regard peint semblait dominer la
vallée.
Lorsque l’heure vint de regagner le hameau avec un troupeau
agrémenté des chevreaux nés durant l’estive, Elisabeth quitta son modeste logis
avec émotion et ce fut un retour triomphal au village.
Une grande fête était organisée pour ces retrouvailles avec
la vie courante si pratique, par ailleurs, pour toutes les étapes usuelles.
Elisabeth retrouva sa maison, dormit dans un lit douillet et
au petit matin, elle eut le bonheur de voir les rues ornées de reproductions de
tableaux à son effigie.
La bibliothécaire reçut un bel ouvrage intitulé La source de
tes yeux et chacun mit un point d’honneur à se rendre en ville pour acheter un
exemplaire du livre qui célébrait la beauté de leur Elisabeth.
Nul ne s’étonna lorsque l’on vit arriver le jeune poète.
Cyril de Provence venait demander la main de la belle
Elisabeth dont il avait si bien chanté les charmes.
Elisabeth mit sa jolie tête sur l’épaule du jeune artiste et
le petit chevreau Blanchet gambada à leurs côtés en signe d’assentiment !
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