Le prince aux yeux pers
En observant son reflet dans le miroir, le prince Florian
dont chacun admirait le regard qui rappelait celui de la déesse Athéna, la
déesse aux yeux pers, trouva que sa tenue, pourtant élégante, ne mettait pas en
valeur la limpidité persane du miroir de son âme.
Des paillettes d’or sublimaient l’iris de sa parure
naturelle, mettant l’accent sur la paradoxale retenue de sa mise.
Chez les Etrusques et à Florence, à l’époque de la
Renaissance, en Italie et en France, les hommes portaient des tenues raffinées,
correspondant à l’harmonie de leur couple ou au désir de se distinguer par la
magnificence de leurs vêtements.
Lors de la Renaissance, velours, dentelles, soieries venues
de la lointaine Chine, rubans, perles, diamants et pierreries du plus bel effet
s’ajustaient pour créer d’incroyables tenues destinées à émouvoir le cœur des
belles dont on cherchait la clef d’amour.
Le prince se rendit compte, à ce moment de la réflexion, qu’il
n’aimait personne.
« Voilà où le bât blesse » énonça-t-il clairement
et ces paroles retentirent avec un écho sous la haute voûte de sa chambre.
« Il me faut trouver ma dame d’amour » conclut-il
résolument et délaissant son miroir qui ne lui apprendrait rien de plus, il entreprit
un voyage, escorté par ses plus fidèles soutiens, fines lames et experts en
arts martiaux.
Des poètes et des musiciens figuraient parmi la fine fleur
de la noblesse, portant haut et fort la bannière princière.
Comme le voyage risquait d’être long, le prince prit la
précaution d’engager du personnel prompt au service et à la cuisine ainsi que
des hommes habiles à manier la hache, capables de construire un camp retranché
si besoin était.
« Qu’elle montre ses jolis yeux pour être à la hauteur
de notre prince, cette dame d’amour et nous pourrons la ramener dans notre
palais » murmurait-on, le soir, lors des haltes qui nécessitaient un
bivouac.
Laurent de Médicis ne sera plus le dernier gentilhomme connu
pour sa magnificence se jurait par ailleurs le prince, se donnant ainsi des
raisons d’aller de l’avant dans cette périlleuse entreprise.
Lors de la traversée d’un torrent dont les eaux gonflèrent
au milieu du gué, le prince se trouva coupé du plus gros de sa troupe et
gardant seulement à ses côtés cinq hommes, certes les plus hardis et les plus
valeureux, jouant de leur corps et d’instruments de musique tels que la vielle
et le biniou avec souplesse et talent, il dut revoir ses plans.
Parvenus sur l’autre rive, ils convinrent de ne pas prendre le
risque d’attendre le reste de l’escorte et ils entreprirent la poursuite du
voyage.
Ils eurent la chance de voir se profiler les hautes tours d’un
château de belle facture à la tombée du soir.
On leur offrit l’hospitalité. C’est un chambellan qui dirigea
la manœuvre et après un excellent repas précédé par un accès à une salle d’eau
pour leurs ablutions, ils se virent proposer une veillée autour d’un grand feu
de cheminée.
Des conteurs, des jongleurs et des troubadours se
succédaient puis, à la clôture de la veillée, la dame des lieux se montra.
C’était une très belle femme et ce qui frappa le prince et
ses suivants fut la grande beauté, la fulgurance même de son regard.
Le prince Florian se sentit inondé par une émotion si forte
que la pourpre envahit son visage.
Dame Guylène fit preuve de retenue en ignorant ce détail,
troublant pour son invité.
Ne voulant pas révéler le but secret de son voyage, le
prince prétexta un frénétique besoin d’aventure et fort heureux d’avoir trouvé
un thème de conversation, il évoqua son amour pour la mythologie et l’Italie de
la Renaissance.
« Nous avons donc un point commun » révéla la
duchesse et elle fut heureuse d’apprendre au prince que sa famille était
originaire de Florence. Une aïeule était si belle qu’un prince voulut s’emparer
de sa personne et Dame Luisa dut se résigner à fuir en compagnie de son époux
qu’elle aimait tendrement.
« Vous avez sans nul doute hérité de cette grande
beauté » dit le prince et cette fois, ce fut au tour de Dame Guylène de
piquer un fard.
Un ange passa et pour que l’atmosphère ne soit pas alourdie,
le comte Aymeri qui était l’un des plus fidèles amis du prince, chanta une
mélodie d’amour si belle et si poétique que chacun se sentit ému jusqu’au
tréfonds de l’âme.
Pour féliciter ses hôtes de la beauté de l’aubade, Dame
Guylène fit servir des coupes de sorbet au vin d’Asti, assorties de religieuses
et de tartelettes aux amandes.
Ensuite, le prince et ses amis furent conduits dans leurs
appartements et chacun prit du repos jusqu’au lendemain.
Une bonne nouvelle parvint au prince à son réveil : le
reste de son escorte était arrivé au château et tous attendaient le bon vouloir
de leur seigneur.
Florian trouva les mots pour faire comprendre que l’aventure
était achevée en ce qui le concernait et lorsqu’ils virent apparaître Dame
Guylène, chacun pensa que le prince avait trouvé sa dame d’amour.
« Quelle est la couleur de ses yeux » ? lui
demanda le comte Roland, autre proche, connu pour son art de manier le sabre.
« Mon cher ami, répondit le prince, j’ai toute la vie
pour la découvrir » !
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