Le chevalier sans armes
De retour de croisade, le chevalier Godefroy de
Mortefontaine décida, sur le chemin du retour, de déposer ses armes dans le
premier monastère venu : la guerre à présent lui faisait horreur et il
croyait entendre le tumulte des batailles et le cri des innocents égorgés ou
passés au fil de l’épée.
Le râle des mourants l’empêchait d’entendre le chant des
oiseaux et ces cris persistants provoquaient en lui une forme de folie.
Pour la première fois, il perçut le calme du silence à l’intérieur
du monastère et lorsqu’il sortit, il avait l’impression d’être un autre homme,
un peu comme s’il avait reçu une seconde fois l’onction du baptême.
Il offrit son cheval à un homme qui lui semblait de bonne
foi et se débarrassa de sa cuirasse et de tout l’équipement qui faisaient de
lui un chevalier du Roi.
Il ne garda que son bouclier car cet élément de combat
servait essentiellement à la défense. De plus, ce bouclier n’avait rien
d’anodin : il avait été conçu dans les forges de Brocéliande par un maître
forgeron qui avait lu tous les romans de chevalerie de l’époque et qui
attendait avec espoir le retour du Roi Arthur, seul capable, selon lui, de
résoudre les problèmes de l’époque.
Le bouclier portait en son centre un œil ouvert sur le monde
et il était décoré à la périphérie de douze cabochons précieux qui
représentaient les chevaliers de la Table Ronde.
Seul, à pied et vêtu d’une tenue qui portait encore la
marque chevaleresque, Godefroy cheminait, concentré sur les perspectives de son
destin.
En observant le vol d’un oiseau ou la course des nuages, le
chevalier associait ces beautés au souvenir de sa dame qui l’attendait
certainement dans son jardin d’amour, un livre ou un ouvrage de broderie à la
main.
La belle et digne Aude avait brodé la chemise qu’il portait
sous sa cotte de mailles et qui était apparente depuis qu’il s’était défait de
son armement.
La chemise de lin s’étoilait de roses et de jasmin et
imitait en son centre la couronne d’épines achetée à prix d’or par Saint Louis.
Le souvenir de la belle Aude apporta un peu de douceur au
pèlerin mais il se dit qu’il n’avait plus le droit d’aimer après tous les
combats qu’il avait menés au nom de Dieu qui ne demandait certainement pas tant
d’horreurs.
Un lac se profila au loin, portant en son cœur un îlot qui
affichait fièrement la croix qui ornait un monastère.
Godefroy pensa que son voyage portait une étape en ce lieu
et il s’embarqua sur un esquif qui le conduisit en ce lieu.
Le monastère était inoccupé et il se fit un plaisir de s’installer
dans une chambre monacale où il s’endormit sans plus de façons.
Au réveil, il se crut au paradis car des anges ou des êtres
qui s’y apparentaient chantaient des cantiques avec ferveur et talent.
Il rajusta sa tenue et se fondit dans la salle principale en
se dissimulant derrière un pilier.
La journée passa comme un rêve et les jours suivants, il en
fut de même.
Un jour, Godefroy entendit une voix qui s’adressait à lui en
affirmant que son temps de pénitence était terminé et qu’il lui fallait
retrouver son aimée qui se mourait de chagrin.
Il reprit donc la route après avoir abordé sur le rivage et
lorsqu’il vit les tourelles de son château, il sentit son cœur se gonfler dans
sa poitrine.
Sur le chemin de ronde de la plus haute tour, Dame Aude,
vêtue de bleu Roy , agitait son étole en signe de bienvenue.
Le chevalier la serra tendrement dans ses bras et pour la
première fois depuis tant de jours, le tumulte des combats passés fit place à
la musique céleste de l’amour.
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