Ses voiles gonflées par le vent, le San Cristobal, traçait son sillon d’écume en direction de Saint-Jacques-de-Compostelle, suivi par des albatros et des dauphins.
Priant pour que le voyage se déroule sans incident, les pèlerins égrenaient leur chapelet avec ferveur.
Cependant on retrouva le timonier évanoui sur le plancher. Pour une raison inconnue, il avait lâché la barre !
Le capitaine prit sa place, décidé à affronter le danger pour mener sa tâche à bien.
Les matelots ne quittaient pas le gouvernail de l’œil et se relayaient pour protéger leur capitaine, mangeant et buvant sur le pouce à tour de rôle.
Tout aussi vigilants, les pèlerins observaient la mer, guettant le moindre incident.
Soudain, alors que la côte se profilait à l’horizon et que l’on apercevait la cité sacrée, des chants venus de la mer ensorcelèrent l’équipage.
Madeleine et Flore, moins réceptives que les messieurs, découvrirent la cause de ce désordre : les sirènes, colliers de fleurs autour du cou, chantaient des mélopées qui se transformaient en berceuses envoûtantes.
Les sirènes franchirent les anneaux de résistance de tous les hommes, les endormant sans avoir besoin de les charmer par leur sculpturale beauté.
Flore poussa le capitaine qui souriait béatement, prêt à s’effondrer et à lâcher la barre et prit résolument sa place. Elle remercia mentalement son père qui lui avait donné une éducation mixte. Elle savait cuisiner, coudre, broder mais, son père ayant vécu dans un milieu maritime, elle avait appris toutes les manœuvres nécessaires à la conduite d’un voilier.
Madeleine, de son côté, tenta de ranimer tous les messieurs qui présentaient des symptômes proches du coma en leur frictionnant les tempes avec un linge imbibé d’essences florales de sa composition.
Dès qu’un envouté reprenait ses sens, elle l’empêchait d’entendre le chant ensorcelant des sirènes en lui mettant des bouchons de coton dans les oreilles. De plus, elle ordonna à un matelot resté dans la cale pour surveiller les provisions de mettre en perce un tonnelet de rhum ; elle ranima chaque convalescent en le réveillant d’une rasade de cet alcool puissant que l’on offrait parfois, en ultime ressource , aux blessés sur les champs de bataille.
Ancien grognard de Napoléon, Pierre d’Armagnac, le matelot de garde de la cale, l’aida à desserrer les mâchoires crispées des sinistrés.
Voyant leur emprise se déliter, les sirènes se débarrassèrent de leurs colliers de fleurs qui s’éparpillèrent dans l’écume des vagues et plongèrent pour disparaître définitivement.
Confus de s’être laissé envouter aussi facilement, tous les hommes reprirent leur activité, redoublant de célérité pour faire oublier leur défaillance.
Le timonier reprit la barre et le San Cristobal finit par arriver à bon port.

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