Gardant le fol espoir de trouver la fortune au fond d’un torrent, Thomas marchait sans relâche, sous couvert d’un prétendu statut de botaniste.
S’arrêtant dans les villages pour reposer ses pieds fatigués et couverts d’ampoules, il jouait du violon à la demande, interprétant csardas et valses avec brio. Le responsable de la commune lui glissait discrètement une enveloppe à la fin de sa prestation. Thomas pouvait ainsi se reposer dans une bonne auberge, recourant aux soins infirmiers pour la rénovation de sa voute plantaire.
Thomas était diplômé du conservatoire de sa région et ses professeurs lui prédisaient un bel avenir. Malheureusement, le jeune homme s’était laissé séduire par des jeux d’argent et un soir, il avait perdu au poker un Stradivarius qu’il tenait de son grand-père, venu de Hongrie lors d’un pogrom.
Zoltan, son aïeul, était un virtuose et l’on s’arrachait ses prestations. Il aimait beaucoup son petit-fils, apaisant ses angoisses enfantines en lui jouant une berceuse. Il lui avait légué son précieux Stradivarius et Thomas ne décolérait pas d’avoir, dans un moment d’égarement, misé l’irremplaçable instrument. C’est la raison pour laquelle Thomas voulait faire fortune : il souhaitait ardemment racheter le divin instrument habité par l’âme de Zoltan.
Un jour, son opiniâtreté fut enfin récompensée. Au fond d’un vallon où flottait un voile d’or, la marque de Zoltan, un torrent aux reflets bleus faisait entendre une musique quasi céleste.
Thomas jeta sa pièce d’argent dans le courant et vit apparaître une fée bleue qui lui parla ainsi :
« T’es-tu suffisamment repenti ? Tu as jeté aux orties l’âme de ton grand-père qui a rejoint le paradis des artistes. Il verse des larmes de sang depuis que tu as perdu au jeu son merveilleux Stradivarius. Jure que tu ne fréquenteras plus jamais le moindre cercle de jeu et je te donnerai le moyen de te racheter ».
Thomas se mit à genoux, pria, pleura et jura qu’il ne se laisserait plus prendre par le démon du jeu.
Un éclair bleu zébra le ciel et lorsque le jeune homme ouvrit les yeux, ce n’est pas un coffret empli de pièces d’or qui se trouvait dans l’herbe à ses côtés mais le précieux violon de son grand-père.
Heureux et tremblant, craignant de voir disparaître le Stradivarius devenu son obsession, Thomas embrassa l’instrument, le rangea soigneusement et prit le chemin du retour.
Son arrivée à Fontaine aux Perles fut spectaculaire !
Des habitants lui demandèrent des nouvelles de son trésor. Il répondit qu’il avait été comblé au-delà de ses espérances et pour remercier Rosine, il interpréta, à la tombée du soir, un air qu’il adorait Les Yeux Noirs.
Le Stradivarius transfigurait la mémorable composition et en l’écoutant, Rosine sentit des larmes couler sur ses joues.
Ces larmes devinrent des perles et Rosine eut alors la certitude que sa prophétie s’était réalisée.
Un voile bleu enveloppa le village et chacun songea que leur Rosine aux ailes d’ange était l’âme de leur cité.

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