lundi 8 décembre 2025

Parenthèse florale

 



Mamie déclara qu’elle ne souhaitait plus s’exprimer au sujet de la guerre, arguant du fait que son enfance et son adolescence avaient été assombries par les récits qui circulaient dans sa famille.

Tous les hommes, côté paternel, avaient été impliqués dans des conflits. Ils en étaient sortis vivants mais meurtris. Son grand-père avait été rappelé sous les drapeaux lors de la Première Guerre Mondiale sans que l’on ait tenu compte du fait qu’il était père de trois enfants. Fait prisonnier à Maubeuge, il avait laissé ma grand-mère dans le besoin. Cette femme courageuse avait quitté sa région natale pour s’établir à Auxerre ; elle avait travaillé dans une usine d’armement dite « de camouflage » pour élever ses enfants : « on mangeait des fruits » se souvenait son père qui du haut de ses 5 ans avait une vision propre à son jeune âge.

Libéré au bout de cinq ans, son grand-père avait peiné à retrouver son emploi de tulliste à Caudry, la dentelle paraissant un produit peu nécessaire dans un pays dévasté par la guerre. De plus, il avait dû reconstruire sa maison détruite dans un bombardement.

Le père de Mamie avait été mobilisé pour la seconde guerre mondiale et un hasard administratif, son premier poste de secrétaire de Mairie se situant en Haute Savoie , lui avait octroyé son incorporation loin des sites proches du front. Il avait ainsi échappé à la défaite par les armes et évité l’emprisonnement qui avait frappé ses beaux-frères.

Le frère de Mamie, Daniel, avait participé à ce que l’on nommait pudiquement «  les événements » à savoir la guerre d’Algérie.

Enfin côté maternel, un cousin, Maurice, voulant offrir à sa mère un débit de tabac et un manteau de fourrure pour l’aider à surmonter l’abandon sec d’un mari volage, s’était porté volontaire pour Dien Bien Phu dont il n’était jamais revenu. Porté disparu, il avait finalement été déclaré décédé après une longue bataille administrative, l’ennemi outragé n’ayant pas relevé l’identité de mourants laissés sur le bord de la route avec une poignée de riz cru.

Bref, sa vie avait été jalonnée par des récits qui lui avaient occasionné une sainte horreur de la guerre, amplifiée par le fait que son nom de baptême était Marguerite-Marie, en hommage à la sainte à qui le Christ avait offert son cœur, Cœur Sacré de Jésus, en échange d’un militantisme ardent contre la guerre qui battait son plein sous Louis XIV surnommé le Roi Soleil pour son amour de la danse et de la gloire sublimée par Versailles.

«  Je ne veux pas en parler et pourtant j’en parle puisque je suis le témoignage vivant et répulsif de la lutte morale que nous devons entreprendre pour combattre ce fléau.

Alors tournons la page et parlons de fleurs qui devraient être le centre d’intérêt de tous.

Je vous recommande la lecture d’un roman de Balzac dont on parle peu et qui est admirable, Le lys dans la vallée. Il contient les plus belles pages d’amour qu’un homme puisse adresser à une femme.

Amoureux d’une mère de famille, un adolescent compose une lettre passionnée en présence du mari, en choisissant des fleurs symboliques pour les réunir en un bouquet où palpitait son cœur.

Balzac dont on loue surtout le côté sombre avec La peau de chagrin, Le Père Goriot, Les Illusions Perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, a néanmoins un côté fleur bleue indéniable.

Ce n’est pas un hasard si le recueil de Lucien de Rubempré, l’un de ses héros, poète à ses débuts puis journaliste à la botte de rédacteurs sans scrupules, s’intitule Les Marguerites.

Ce recueil fictif, objet de quolibets à son arrivée à Paris «  Qui lit encore des poèmes » ? est finalement édité à la suite d’une trahison littéraire imposée à son malheureux auteur.

Nous sommes déjà dans la lignée des Fleurs du Mal de Charles Baudelaire ; ces fleurs vénéneuses d’une étrange beauté ont valu à son auteur une condamnation au nom de la morale bourgeoise.

Mais laissons-là ces fleurs ténébreuses Dame aux Camélias etc pour revenir au Roman de la Rose médiéval que je porte en mon cœur ».

Fidèle à ses habitudes, Mamie se tut brusquement, visiblement troublée par les vicissitudes de son âge.

Poucette rangea son matériel et diffusa un Nocturne de Chopin avant de cuisiner un plat léger à base d’œufs et de légumes du potager.

samedi 6 décembre 2025

Ginette Super Star

 

 

 


L’épreuve du Bac Blanc terminée, les amis de Watteau éprouvèrent le besoin de trouver un nouveau souffle.

La solution miracle s’avéra être la venue au lycée de Ginette Kolinka, rescapée du camp de concentration et d’extermination d’ Auschwitz-Birkenau.

Cette femme énergique, au parler franc, avait à cœur de témoigner de l’absurdité et des atrocités de guerres menées au nom d’une idéologie meurtrière et totale.

Mamie se félicita de l’engouement qui s’ensuivit après la conférence-dialogue d’un témoin si attachant.

«  Tout ce que je pourrai dire sera vain car je ne porte pas sur ma chair les errements d’une période tragique. Comme tous les déportés, Ginette porte toujours le numéro qui avait rayé son identité jugée ignoble tatoué sur le bras. Simone Veil, rescapée du même camp, portait toujours des hauts à manches longues pour ne pas révéler la marque d’infamie. Un jour, un coup de vent dévoila son bras et un collègue lui dit avec désinvolture : Vous craignez d’oublier le numéro de votre casier ? Innocente ou volontaire, cette remarque blessa la grande dame qui préféra garder le silence.

N'oublions pas les erreurs commises et veillons ardemment à ce qu’elles ne se renouvellent pas » !

Ce prologue achevé, Mamie Marguerite se concentra pour aborder un thème et tout naturellement, elle proposa une réflexion autour du mot guerre.

«  Chers lycéens, avant de développer un propos, je vous suggère de relire les pages édifiantes de Voltaire, l’article Guerre de son Dictionnaire Philosophique et son conte philosophique Candide.

Dans ce conte, il y a une présentation édifiante de ce fléau : deux armées dites ennemies s’apprêtent à s’affronter et avant que le signal du combat ne soit donné, des prêtres invoquent le nom de Dieu et font retentir un Te Deum martial sans relever le moins du monde que la divinité ne se partage pas et qu’elle ne peut pas être d’un côté et de l’autre, à l’opposé,  en même temps.

Grâce à cet exemple, on voit que la raison est bannie de tout justificatif logique de cette trouée humaine.

Aujourd’hui, les tambours de guerre retentissent tandis que de beaux esprits qui ont passé l’âge de guerroyer galvanisent les populations en se référant à Dieu, à la justice immanente en s’appuyant sur des adages romains tels que Si tu veux la paix, prépare la guerre ou encore en rappelant une triste évidence : la guerre est meurtrière et il faut se préparer au deuil de ses enfants.

Tout le monde oublie que la guerre ne fait pas partie de la panoplie ordinaire du genre humain, le jardin restant la symbolique qui le rattache à Dieu ».

Mamie ferma les yeux et Poucette mit un terme à l’enregistrement, remettant à plus tard la poursuite d’un thème cruel et inflexible.

Pause Tilleul

 




Les jours suivants, Poucette dut renoncer à ses enregistrements, les épreuves du Bac Blanc sonnant le glas de la rêverie.

L’épreuve de Philosophie donna à réfléchir : «  Vous ne voyez que la seule vérité donc vous êtes injuste » ; ce commentaire d’une phrase de Fédor Dostoïevski plongea les lycéens dans une profonde réflexion.

Pendant ce temps, Mamie Marguerite trompait son ennui en enchaînant les tasses de tilleul. Elle eut à cœur de bichonner sa petite fille. Jadis, elle avait cuisiné maint plat de bonne facture, quiche lorraine, champignons à la crème, chou rouge aux lardons fumés à la mode du Nord, paupiettes de veau aux laitues braisées, filet mignon caramélisé, salades composées, tartes au citron, charlotte à la crème de rose, choux en pyramides et mousse au chocolat légère. Aujourd’hui, elle craignait les fourneaux car il lui arrivait d’avoir quelques absences et elle redoutait de commettre une bévue dommageable pour la réussite du plat voire dangereuse : une explosion au gaz pouvait se produire à la suite d’un fâcheux oubli.

Elle s’en remit donc au boucher-charcutier et au boulanger-pâtissier du village pour concocter un menu équilibré et gourmand.

L’intitulé du commentaire philosophique la laissa rêveuse. Elle avait lu tous les romans de Dostoïevski et cette phrase illustrait à merveille le fondement de son œuvre.

Dans Les Frères Karamazov, l’auteur avait réussi une prouesse : écrire deux plaidoiries, l’une pour prouver la culpabilité de Dimitri, l’un des fils du père assassiné et l’autre pour démontrer son innocence ; les plaidoyers étaient si convaincants que le lecteur ignorant le nom du criminel passait alternativement du «  c’est lui » au « il est innocent ».

Mamie s’avoua vaincue par la dialectique du sujet. Sa connaissance de l’auteur l’aurait empêchée d’avoir un point de vue philosophique tel qu’il était requis. Elle misa sur l’exploitation des cours de philosophie de Poucette et ses amis pour mener à bien la réflexion demandée.

Estimant que Poucette avait eu sa dose de réflexion, Mamie parla peu et évoqua les petits plaisirs de la journée, un rouge-gorge picorant sur la pelouse, des ibis en vol et plus prosaïquement elle loua l’excellence des capsules qui l’aidaient à concocter une tisane parfaite sans passer par la gazinière.

On se souhaita une bonne nuit car le lendemain, Poucette devrait se pencher sur l’épreuve de Mathématiques. La clarté du raisonnement serait exigée pour résoudre une énigme chiffrée !