jeudi 25 décembre 2025

Frissons de soie

 

 

 


«  J’écarte la soie de tes cheveux, ô ma Fleur de Lune, pour parvenir à la source enchantée qui jaillit de ton corps courbé en offrande sous l’arc de mes désirs »…

Clément divagua encore sur ce thème qui visiblement l’enchantait. Les mots coulaient de sa plume comme autant de pépites d’or gisant depuis des années dans le cours des rivières, mises au jour par les orpailleurs.

Devenu chercheur d’or sur l’autel du corps féminin sublimé par son désir, il écrivit longuement, éprouvant un bonheur intense à décrire par le menu ce phantasme d’amour.

Eprouvant alors le besoin de toucher de ses mains un nirvana quotidien, il se lança ensuite dans la préparation de son plat-phare, la langue façon grand-mère, cuite à la perfection, découpée savamment en fines tranches et accompagnées de plusieurs sauces aromatisées soit au madère soit au piment d’Espelette.

Ce travail achevé, il se réserva deux parts et répartit le reste dans des barquettes alimentaires, prit des clichés et mit en ligne sa proposition de vente à prix modéré.

Le téléphone retentit à plusieurs reprises : Mathilde, Clotilde et Victor retinrent fermement le plat et convinrent d’une heure précise pour venir chercher la barquette réservée.

Victor se présenta le premier. C’était un informaticien de haut vol, il aimait la gastronomie, savait cuisiner mais ne disposait pas du temps nécessaire à la réalisation de plats recherchés.

Il goûta la coupelle présentée par Clément, se déclara satisfait, paya sa barquette et partit en laissant un petit cadeau, le livre de sa grand-mère qu’il avait confectionné au fil des années à partir de ses notes.

Clément promit d’exploiter ce filon sacré et il feuilleta le livre, cherchant une recette de pâtisserie qu’il réservait à sa Fleur de Lune tant chérie et déflorée mille et une fois en rêve. Il retint le puits d’amour et se promit d’en faire l’essai.

Il attendit la venue de Mathilde et de Clotilde dont les prénoms résonnaient dans son cœur comme un tambour fleurdelisé aux armes de Psyché, un long voile d’or brodé Fleur de Lune.

Mathilde, une bonne trentaine pétillante, couturière de son état, acheta sa barquette au pas de course car une robe de mariée l’attendait et elle laissa un petit cadeau à son image, un coussinet violine portant quelques épingles à tête d’argent : «  On a toujours besoin d’une épingle » dit-elle en partant, laissant derrière elle un nuage de bonne humeur.

Clotilde portait des tresses blondes et semblait être le reflet de l’épouse royale de Clovis. Elle paraissait fatiguée et demanda la permission de s’asseoir après avoir marché une bonne heure.

Clément espéra trouver une âme-sœur. Il concocta un smoothie vitaminé et l’offrit à la jeune femme qui retrouva des couleurs. Visiblement enchantée heureuse de cet accueil chaleureux, Clotilde ferma un instant les yeux puis retrouvant sa vitalité initiale, goûta le plat, émit un soupir de satisfaction, paya la barquette qu’elle enfouit dans son sac à bento et s’apprêta à repartir dans son foyer.

En guise d’adieu et de remerciement, elle offrit à Clément une poupée de porcelaine costumée à l’ancienne par ses soins. Elle ajouta sa carte professionnelle Poupée Clotilde, création en biscuit, vêtue de manière différente, chaque modèle étant unique. La soie, la dentelle, le satin , le velours étaient à la base des costumes ; des cheveux naturels étaient coiffés avec art, tresses, anglaises ou coupes modernes variées.

La poupée Clotilde fit battre le cœur de Clément : en lui donnant une taille humaine, il identifiait sa Fleur de Lune désirable, connaissant une vive émotion voisine des transes de la Pythie.

Il promit à Clotilde de venir la voir dans son atelier et pour exprimer sa gratitude, il lui offrit des palets bretons nommés Traou Mad qu’il gardait pour les grandes occasions.

Clotilde le remercia et partit d’un pas ferme, laissant derrière elle une partie de sa personne puisque le visage de la poupée était modelé à son image.

Brisé par l’émotion, Clément s’allongea et laissa libre cours à sa rêverie qui le ramena tout naturellement à sa Fleur de Lune chérie.

 

La poupée en robe de gitane

 


Dans un carton relégué sur une étagère contenant les invendus, une poupée de porcelaine en robe de gitane rêvait de s’évader et de se réfugier auprès de ses semblables, les gens du voyage comme on aimait les nommer.

L’opportunité de vivre une aventure lui fut donnée : Gipsy, stagiaire d’un jour dans un cadre scolaire, fit tomber la boite par mégarde.

Le couvercle s’ouvrit pour révéler la beauté inouïe d’une poupée richement vêtue de satin et de dentelles.

La poupée prit l’apparence de Gipsy, referma la boite, désormais vide et rangea le coffret sur son étagère après l’avoir époussetée.

Le soir venu, le cœur battant, elle partit chez elle après avoir noté soigneusement l’adresse qui figurait sur sa fiche.

Elle ne vivait pas dans une roulotte mais dans une maison cossue où l’attendait une maman affectueuse.

Gipsy en déduisit qu’elle avait certainement été adoptée, sa mère, blonde aux yeux bleus ne répondant pas aux critères habituels des gens du voyage.

Elle se comporta en fille aimante puis se dirigea vers sa chambre, guidée par un parfum d’enfance et d’innocence qui émanait de la pièce.

L’univers de Gipsy était conforme à celui qu’affectionnaient les adolescents de son âge.

Beaucoup de confort, des objets précieux, des livres et un bureau consacré au numérique.

Le dressing contenait des vêtements de marque et permettait d’affronter les intempéries ; la participation à des événements particuliers, anniversaires, bals costumés, soirées élégantes était possible grâce à un éventail de tenues les plus diverses et adaptées avec goût à chaque situation.

Les toilettes du quotidien, les tenues sportives n’étaient pas oubliées, bref c’était une penderie digne d’une princesse.

Gipsy-poupée prit un bain dans une salle réservée à son usage, choisit une robe habillée pour se présenter dans la salle à manger et dans l’attente du souper, s’allongea sur son lit et rêva.

Bercée par le trot des chevaux qui emmenaient sa roulotte sur les chemins sinueux de la route de la soie, Gipsy s’endormit pour s’éveiller sous la pression d’une main chaleureuse sur son épaule.

Un baiser sur le front lui fit prendre conscience qu’il était temps de réagir et de se comporter en fille obéissante : un bel homme brun, son père vraisemblablement, lui enjoignit gentiment de se rendre à la salle à manger pour le repas du soir.

Un goulasch délicieusement épicé la précipita à nouveau sur les routes de sa Hongrie natale et elle sourit en pensant que ce menu lui permettait de réaliser son rêve, retrouver les gitans de son enfance.

Des airs de Django Reinhardt étaient diffusés dans la pièce qui devint ainsi le cadre inespéré de son voyage intérieur.

Au dessert on servit des pâtisseries orientales et elle s’en régala sans retenue.

La conversation était réduite à son strict minimum : on n’éprouve pas le besoin de parler quand on est heureux et tel était le cas.

Le lendemain, Gipsy prit le chemin de l’école mais au détour du chemin, un nuage semblable à celui qu’affectionnait Django l’enveloppa et c’est avec surprise qu’elle se retrouva à nouveau enfermée dans une boite au fond d’un placard.

« Soit, se dit-elle, il me faudra attendre le prochain passage d’une écolière pour opérer un petit voyage et cette fois, j’espère qu’il me conduira en roulotte vers les routes de mes origines ».

La poupée se résigna à cette attente et depuis, elle attend qu’on vienne lui offrir une balade du souvenir.

 

 

La fée du bois d'amour

 



Dans sa robe gorge de pigeon, la fée Rubis du bois d’amour rama sur l’étang des chimères afin de proclamer à tous les riverains un concours de poésie à la gloire de l’automne.

Au son du tambour, les crieurs lancèrent un appel à la candidature moyennant des trésors d’automne pour financer la participation, gelée et pâte de coings, gâteau aux noix, confiture de lait, flan de butternut et autres préparations gourmandes.

Marion hésita à se lancer dans la compétition mais le challenge l’intéressait. Elle venait justement de confire des pastèques et elle avait l’appoint nécessaire pour concourir.

Côté poésie, un thème était imposé, celui du bois d’amour.

La jeune fille s’installa à son écritoire et chercha l’inspiration en puisant dans ses souvenirs littéraires, L’Astrée notamment, et ses promenades dans les bois.

«  Au bois d’amour, la muse de la poésie danse, drapée dans ses voiles de soie, espérant toucher le cœur du dieu Apollon ou d’un mortel aux yeux d’azur.

Henri de Châteauneuf-du-Faou se promenait justement dans le bois et il était si beau que les pervenches se hissaient sur leur tige dans l’espoir de se faire remarquer par le prince des bois charmants.

Mais il n’eut d’yeux que pour la muse et se saisissant de sa lyre, il interpréta un air médiéval qui fit jaillir une fontaine d’amour.

Ils burent de l’eau fraîche qui les galvanisa, agissant sur leurs corps en mal d’amour comme un vin de Champagne.

Henri enlaça la muse et ils dansèrent une valse lente sur la mousse du bois.

Le bois d’amour était illuminé de lampions orientaux et des vagues de parfums de lys, de roses et de jasmin se mêlaient aux senteurs fauves du bois.

Une bulle de cristal abrita leurs amours et au petit matin, ils furent réveillés par des écureuils joueurs et des lapins malicieux.

Les amants se séparèrent, enrichis par leur passion fugitive et quittèrent le bois qui vit fleurir une rose nouvelle si délicate et si parfumée qu’on la nomma rose d’amour ».

Marion posa son stylo et décida de lancer ce brûlot d’amour dans la compétition.

Peut-être serait-elle détrônée par un poète classique, maître du sonnet !

Son cri d’amour navigua sur une barque fleurie et elle attendit patiemment le verdict de la fée Rubis.

La reine des pavots

 

 


Dans un royaume insulaire où poussaient des pavots multicolores vivait une reine, Féodora, à la beauté byzantine.

Elle aimait se promener dans son royaume, sous bonne escorte. Son grand plaisir consistait à dessiner, peindre et décrire dans des odes à la beauté son île sous toutes les formes.

Un jour, alors qu’elle s’appliquait à reproduire sur son carnet à dessins une ronde de dauphins, une escouade de dragons fondit sur elle, neutralisant son escorte dévouée qui tenta, en vain, de jouer du poignard. Les écailles des dragons étaient si épaisses que la pointe des poignards s’émoussait et perdait toute efficacité. En représailles, les  dragons infligèrent des brûlures aux serviteurs de la reine qui ne purent empêcher le chef ennemi, Drogon, qui portait un énorme rubis sur le front, d’emporter leur reine.

Désespérés de n’avoir pu lui venir en aide, ils revinrent au palais rendre compte de la situation au grand chambellan Armel. Cet homme de confiance fit étendre des filets dans l’environnement royal afin d’empêcher une invasion possible de dragons.

Ensuite, il dirigea un conseil pour concevoir un plan destiné à la délivrance de leur reine.

Pendant ce temps, Féodora découvrait le décor dans lequel elle allait devoir vivre.

C’était un royaume granitique où poussaient de rares fleurs. Le palais en cristal de roche s’avéra être d’un confort étonnant. Les appartements mis à sa disposition étaient dignes de son rang.

Drogon eut le bon goût de ne pas se montrer et délégua à des dames d’honneur le soin de tout mettre en œuvre pour que la reine se plaise en son palais. De fait, mise à part sa captivité implicite, Féodora avait tout pour être heureuse. Néanmoins, elle pensait à son royaume avec nostalgie et elle se demandait ce qu’il était advenu de la sérénité des habitants. Ses pavots lui manquaient et elle demanda l’autorisation de peindre sur les murs de sa chambre ces fleurs fragiles symbolisant le soleil.

Drogon consentit à ces embellissements et il fit préparer la pièce pour qu’elle devienne un atelier de peinture.

Tous les meubles furent placés dans une chambre proche de la sienne.

Du fait de cette connivence artistique, il eut l’impression d’avoir fait un pas vers la séduction de Féodora qui s’avérait difficile de par son apparence mais possible grâce à une union des âmes transformant les écailles en symboles d’amour.