Dans sa jolie robe de fête, Aliénor marchait à petits pas sur
les berges d’une rivière où voguaient des
nymphéas.
Cueillant des fleurs de mauve, du serpolet et dénichant des œufs
de cailles dans les buissons, Aliénor se félicitait à la perspective de
cuisiner un plat aux parfums printaniers.
Un jeune homme assis sur un rocher dessinait le contour de la
rivière, la peuplant de sarcelles et de cygnes.
Rodrigue présenta ses hommages à la jeune fille et la
félicita de sa récolte qui débordait d’un panier. Il lui demanda l’autorisation
de croquer sa silhouette sur son carnet d’ébauches artistiques, se promettant
de réaliser un portrait qui lui vaudrait, s’il savait s’y prendre, un prix lors
des prochains salons des artistes.
Aliénor consentit à prendre la pose et lorsque le jeune homme
eut terminé ses esquisses, elle lui proposa de goûter à sa récolte du bord de l’eau.
Sa cuisine était spacieuse. Des bocaux de conserves diverses,
d’épices et de champignons séchés garnissaient une étagère et un jambon fumé
prêt à être découpé pendait aux solives.
La jeune femme s’éclipsa dans sa chambre pour se changer
après avoir installé Rodrigue près de la cheminée.
Vêtue d’une robe en coton et d’un tablier, elle se mit en
devoir de préparer l’un des plats délicieux dont elle avait le secret.
Pendant ce temps, le jeune artiste dessinait le décor qui lui
servirait à composer le fond de son tableau. Il voulait peindre Aliénor dans sa
robe féerique, celle qui avait fait d’elle la représentation symbolique de la
rivière aux fleurs et de ses nymphéas impressionnistes.
Lorsque tout fut prêt, Aliénor convia son hôte à prendre
place à la table qu’elle avait dressée à l’aide d’un service en porcelaine, de
couverts en argenterie, de verres en cristal de baccarat.
Des chandeliers éclairaient la pièce et Rodrigue se félicita
de la couleur obtenue qu’il reproduirait dans son tableau en un jeu de
clair-obscur qu’il affectionnait.
Puis il oublia la peinture et son projet pour savourer un
plat parfumé merveilleusement cuisiné par une experte en gastronomie.
Le repas achevé, il accepta la proposition d’ Aliénor
consistant à occuper la chambre d’ami de sa demeure.
« Vous me rendrez la pareille plus tard lorsque je me
rendrai dans votre atelier pour la réalisation de ce portrait qui m’honore »
dit-elle au jeune homme.
Rodrigue s’installa chez sa muse et dormit en rêvant qu’elle
se livrait à un numéro artistique, changeant de tenue comme si elle
détenait le pouvoir d’une baguette
magique.
Aliénor remit de l’ordre dans sa cuisine et la salle à manger
puis elle dormit sans nuage en imaginant le tableau de nymphéas serpentant dans
la toile de fond de son portrait.