mardi 16 décembre 2025

La ducasse des enfants

 

  


Le garde-champêtre de Fleur-Lez-Lys fit savoir à grands coups de roulement de tambour que la ducasse des enfants aurait lieu plus tôt que prévu et il ajouta en frisant sa moustache qu’il y aurait une surprise.
Les cuisinières se mirent au travail pour préparer les plats de circonstance, langue de bœuf à la sauce piquante, tête de veau vinaigrette, tartes au maroilles, andouille de Cambrai et sa farandole de légumes.
Quant aux pâtisseries, on laissait libre cours à la fantaisie de chacune mais on comptait absolument sur des financiers aux amandes, des tartes à la crème et aux pruneaux, des tartes traditionnelles à la cassonade, du pain d’épices et des gelées de fruits.
Toute innovation serait la bienvenue !
Angelina dont on vantait toujours les mérites prépara des babas au rhum, des diplomates à la crème pâtissière et à la gelée de cassis, des tourments d’amour et des pâtisseries d’inspiration orientale dont les recettes lui avaient été offertes par un « tourlourou » qui avait été militaire en Algérie.
De la bière légère, de la cervoise seraient servies à la table des adultes.
Il y aurait, pour les enfants, des carafes de limonade au sirop d’orgeat, de violette ou de cerise.
Un manège de chevaux de bois s’installa sur la Grand-Place et l’on disposa également des jeux de fléchettes et d’anneaux avec des lots de poupées, de vaisselle et de nougats.
Le grand jour arriva et l’on vit, pour la première fois dans le village, le marquis des aulnes.
Il donnait le bras à une adorable petite fille vêtue d’organdi, de satin et de soie.
On ne la reconnut pas tout de suite car on ne lui connaissait pas de telles tenues mais un cri finit par jaillir dans la foule : « Camélia, mon enfant » !
Amélia lui ouvrit grand les bras ; Camélia se blottit contre elle en versant des larmes de joie.
Le marquis s’éclipsa et disparut dans sa Rolls, distribuant des dragées et des bonbons acidulés aux enfants qui passaient.
« Mais que t’est-il arrivé, mon enfant, mon cœur, mon aimée » ? disait Amélia, balbutiant sous le choc de l’émotion.
« Le marquis t’expliquera lui-même les raisons de mon enlèvement, il me l’a promis mais en attendant, Maman, profitons de la fête. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut se régaler et s’amuser à la ducasse des enfants ».
Et chacun suivit ce conseil en profitant des merveilles d’un jour qui ne reviendraient que l’année suivante.
Tout le monde se félicita du retour de Camélia et l’on remit au lendemain le temps des explications.

lundi 15 décembre 2025

Aymeric le roi de la chasse

 

 

 


On dit qu’une laie veilla sur le berceau d’Aymeric, la nourrice ayant déserté son poste tandis que le seigneur et sa dame festoyaient à la cour.

On ne refuse pas une invitation royale et la duchesse Alix se résigna à quitter son premier né.

«  Nounou Faustine veillera sur lui nuit et jour dit son époux Aubin et vous le retrouverez grandi et heureux de se lover sur votre belle poitrine, ma mie ».

Or ce que le duc ignorait c’est que Faustine avait succombé aux charmes d’un félon qui voulut profiter de l’aubaine en s’emparant de l’héritier.

Il versa un narcotique dans le hanap de vin chaud qu’il offrit à la nourrice en conclusion d’une cour habilement menée.

Cependant, lorsqu’il voulut s’emparer du bébé, il recula face à l’hostilité manifeste d’une laie au regard fauve impitoyable.

De retour en son manoir, il fomenta un complot destiné à destituer son suzerain.

Une fois dégrisée, la nounou dépêcha un courrier à la cour pour dénoncer la tentative de rapt. Elle ne quitta plus la chambre du nourrisson, se faisant porter ses repas.

La laie avait mystérieusement disparu et personne ne put dire ce qui s’était réellement passé. On releva des empreintes de sanglier près du berceau, ce qui parut pour le moins étonnant.

De retour au château, le duc et la duchesse redoublèrent de vigilance.

La duchesse décida d’allaiter son bel enfant. On renvoya la nourrice en la dotant d’un beau pécule.

Alix recruta une dame d’atour pour la seconder dans les tâches quotidiennes. Isabeau avait fière allure avec son hennin aux longs voiles brodés et plus d’un gentilhomme demanda sa main ; ils furent tous éconduits avec le sourire et un unique motif : elle se voulait à sa tâche jour et nuit et pour ce faire, elle devait rester célibataire.

On relevait parfois des empreintes des empreintes de sanglier sous les fenêtres d’Aymeric et une légende se forgea selon laquelle l’enfant avait été choisi par une horde pour être leur prince.

«  Ce sera certainement un grand chasseur de sangliers dit son père. Il a été reconnu pour être l’élu et il aura la force et le courage de ces animaux qui ne reculent devant aucun obstacle ».

Le temps passa. Aymeric devint un beau jeune homme et chassa le cerf.

Curieusement, il évitait les sangliers comme s’il savait qu’une mère nourricière avait remplacé la dame préposée à son allaitement.

Cependant, un jour, il se trouva face à face avec une énorme laie qu’il se crut obligé de tuer, son écuyer l’y incitant fortement.

Au moment où il décocha sa flèche, la laie se fendit dans un nuage, faisant pleuvoir une portée de marcassins.

Fortement ému, Aymeric ordonna à ses piqueurs de s’emparer des marcassins et de les ramener au château.

Certain de la véracité de la légende répandue dans le fief à son sujet, Aymeric rentra chez lui et fit savoir à la ronde que le futur seigneur ne tuerait jamais un sanglier, vu que dans son enfance une laie l’avait nourri comme la louve de Rémus et Romulus.

On déclara l’animal sacré et il vécut en sécurité dans le fief seigneurial.

Aymeric apposa une laie sur son blason et sa devise fut D’azur, au sanglier d’or, surmonté de trois roses d’argent.

 

Les lutins de Brocéliande

 

 



Dans la forêt légendaire de Brocéliande, des lutins se décidèrent à passer à l’action pour sauvegarder cet endroit mythique et le préserver d’une destruction inévitable.

Feux de forêt, souvent d’origine incendiaire, symbolisés par l’arbre d’or, chêne calciné recouvert de feuilles d’or par un artiste qui souhaitait pérenniser la forêt, petites parcelles entretenues avec plus ou moins de soin par des propriétaires peu enclins à considérer l’aura légendaire de leur bien, afflux de touristes parfois peu délicats, le paroxysme consistant en un bain pris en plein jour dans la fontaine de Barenton , haut lieu sacré qui vit la rencontre de la fée Viviane et de l’enchanteur Merlin, par une écervelée prête à braver les interdits tacites, à la mode celtique, tous ces événements fâcheux dévastateurs à de multiples degrés furent les détonateurs de cette réunion, un soir, au clair de lune, de toutes les personnalités féeriques encore présentes dans la forêt, à commencer par les lutins qui étaient les plus nombreux.

Céleste, la petite fée qui était reconnue pour être une parfaite organisatrice, avait préparé un banquet digne des réunions de solstice d’été, à l’abri d’une tente de style médiéval avec la modernité d’un laboratoire culinaire adjacent pour mettre en œuvre des mets et préparations du terroir.

Pas de vin mais du cidre ainsi que des jus de fruits aideraient les esprits à se délier.

«  J’espère qu’il y aura tout de même un peu d’hydromel en fin de banquet » dit un lutin qui était féru de cette boisson quasi divine.

Céleste accepta cette entorse à ses principes, d’autant plus volontiers qu’elle n’était pas insensible au charme de Séverin, le lutin amateur d’hydromel.

Elle prépara de la pâte à galettes et aux crêpes et fit graisser les galétières qui seraient actionnées en temps voulu pour que les galettes soient servies chaudes et moelleuses à souhait, garnies de fromage, d’œufs et d’andouille de Guémené ou de viande séchée.

Des fromages en provenance d’un monastère voisin assortis de confitures artisanales et de pâtes de fruits du verger formeraient l’essentiel du dessert, des plats sucrés sous forme de crèmes au caramel et de millefeuilles pâtissiers formant le ban.

Satisfaite par l’organisation de tous ces préparatifs, Céleste mit ensuite l’accent sur la décoration de la table.

Des ornements floraux formant l’essentiel esthétique, la vaisselle provenant de Quimper, parachevant l’harmonie celtique du lieu destiné en avant-première à la réflexion furent le point d’orgue de la beauté singulière de la terre de légende.

Or, lorsqu’ils virent la jolie table de fête qui leur était destinée, les lutins et personnalités féeriques de haut vol, suggérèrent qu’ils pourraient cumuler la réflexion et le déroulé du repas qui semblait être de bon augure.

Céleste céda à cet empressement, secrètement flattée par ce désir de savourer ses préparations.

Une brigade de petites fées et de lutins s’affaira pour que l’enchaînement du repas soit parfait.

Une consigne fut donnée notamment au sujet du cidre qui serait servi avec parcimonie pour que les penseurs et les débatteurs gardent toute leur lucidité.

Des amuse-bouche furent servis en toute hâte et on laissa les langues se délier.

Il fut décidé par l’assemblée que l’on mettrait les propriétaires face à leurs responsabilités en leur envoyant des rêves évoquant le triste état des parcelles avec les incendiaires en embuscade.

Des rondes seraient organisées dans la forêt pour sensibiliser les touristes à la beauté légendaire de Brocéliande et l’on choisit des conteurs de qualité pour éviter que les dérives du bain dans la fontaine ne se reproduisent plus.

Une tournée de cervoise Lancelot clôtura cette avancée dans le projet du sauvetage de la forêt et Céleste donna le signal du lancement de la cuisson des galettes pour que chaque convive soit servi avec célérité.

Un barde donna un concert à la fin du repas et l’on se sépara en félicitant Céleste et tous les participants au festin, cuisiniers et serveurs qui avaient donné de leur personne pour assurer l’excellence de la réunion festive.

Des pièces d’or circulèrent à la ronde et chaque lutin se jura d’observer une rigoureuse assistance pour que perdure la plus belle des forêts puisqu’elle abritait en plusieurs lieux, les souvenirs de la légende

.

 

Adieu Lycée !

 

 

 


De même que Mamie, en changeant de tenue, modifiait son humeur et modulait sa pensée, de même Poucette en décrochant son Baccalauréat avec la mention Très Bien, rangea définitivement son enfance liée au pseudonyme féerique de Poucette pour devenir Emmanuelle.

Peu importait sa petite taille ! Grandie par le savoir et l’amour de la rhétorique, Emmanuelle opta pour l’étude de Philosophie, marchant ainsi sur les brisées des auteurs favoris de Mamie.

Le lycée l’avait protégée des agressions extérieures à l’aide de ses grands murs et des hautes fenêtres doublées de grillage.

La jeune fille quitta ce lieu privilégié dédié au savoir pour se lancer dans l’aventure en s’inscrivant dans l’université de la tête de région, Lille.

Une question cruciale se posait : que deviendrait Mamie en son absence vouée à la conquête du savoir des temps nouveaux ?

Pas question de l’envoyer dans un EPHAD où elle serait bien traitée mais où elle risquait de se perdre moralement dans un anonymat éloigné de sa personnalité !

Mamie avait travaillé dans sa jeunesse au Maroc et elle avait gardé un souvenir ému de ce beau pays de contrastes et d’amour.

Une amie de lycée, Myriam qui aimait particulièrement les causeries de Mamie, suggéra qu’elle pourrait vivre à Rabat chez sa tante Fadela qui se ferait un plaisir d’accueillir la vieille dame en la traitant comme une parente.

«  Ma tante veillera à ce qu’elle ne manque de rien. Les femmes de la maison se chargeront de sa toilette, de son entretien et de sa prise en charge par le médecin de la famille. Puisqu’elle aime les caftans, elle aura une garde-robe élégante et pratique.

Elle participera aux activités de la maison par le seul regard si elle ne se sent pas apte à apporter son aide.

Nous faisons le pain à l’ancienne. Nos tajines, couscous, bouillons, gâteaux au miel et aux amandes sont notre lot quotidien.

Elle entendra des chants au rythme du pétrissage de la pâte et des autres activités culinaires. Nous l’écouterons égrener ses souvenirs et nous l’entourerons d’affection et d’amour ».

Mamie accueillit cette proposition avec reconnaissance, souhaitant seulement qu’ Emmanuelle et Myriam entreprennent le voyage à ses côtés.

Ainsi fut fait. Une jolie paire de babouches en cuir souple surbrodé de perles chaussa les pieds de Mamie qui revêtit le caftan brodé de ses rêves.

Une semaine de festivités s’ensuivit et lorsque les deux universitaires quittèrent la capitale, elles surent que Mamie Marguerite rebaptisée Latifa serait heureuse dans le royaume chérifien où elle aurait pu naître.

Elles promirent de venir passer des vacances à ses côtés et s’envolèrent vers Lille où elles ouvrirent les ouvrages philosophiques de Kant, Kierkegaard, Descartes, Bergson, Rousseau cher à Mamie, André Comte Sponville qui étaient au programme.

Adieu lycée de notre jeunesse insouciante et bonjour université au magnifique éventail de savoirs qui nous attend !

Nous n’oublierons jamais Mamie Marguerite dit Myriam car elle nous a tous aidés à pousser les murailles de notre lycée et ouvrir les fenêtres pour appréhender le monde.

Les deux amies se promirent de réussir pour apporter leur diplôme à la chère vieille dame qui coulait des jours heureux dans un univers protégé par un nuage d’amour.