mercredi 5 novembre 2025

Mérovée du Hainaut

 



Le duc du Hainaut était un homme actif : pêche, chasse, rimes en chambre et écriture romanesque étaient son quotidien.

Un jour, dans un bois domanial, il aperçut une fée dansant avec une telle grâce qu’il en tomba amoureux. Il voulut lui présenter ses hommages mais la fée s’évapora, laissant derrière elle un parfum de rose et de jasmin.

Imprégné par ces fragrances féeriques, Mérovée du Hainaut rentra dans son château, relut La Grande Encyclopédie des fées de Pierre Dubois, espérant trouver la trace de sa dame d’amour. Ne voyant rien qui s’apparente à sa vision, il se laissa aller à la rêverie, ne se nourrissant que des produits de la forêt, poêlée de cèpes et autres champignons, bécasses rôties, rayons de miel sauvage et tartes aux fruits rouges.

L’annonce du concours de poésie lui rendit son allant.

Il écrivit son texte avec ferveur, commanda un gâteau cuit à la broche à son chef cuisinier et expédia le tout à l’adresse donnée par la fée Rubis.

Apprenant qu’il faisait partie des « nominés », il se prépara méticuleusement pour paraître à son avantage : tenues d’apparat mettant en valeur sa silhouette virile, manteau de zibeline et toque assortie, bottes en cuir de Russie furent entreposés dans une malle contenant des chemises de soie, des pulls de laine mohair et du linge de corps ainsi que des produits d’hygiène et de parfumerie.

Il apportait un cadeau, robe vaporeuse couleur safran et parures précieuses à base d’or, d’ivoire, diamants et pierreries lumineuses.

Son carrosse s’ébranla et lorsqu’il arriva dans le domaine de la fée Rubis, il ne passa pas inaperçu.

Plus d’une belle sentit son cœur battre dans sa poitrine à sa vue mais il ne répondit à des avances muettes que par un sourire convenu.

Il rêvait de voir apparaître l’objet de ses pensées et de ses désirs, la fée Rubis pour qui il éprouvait une dévorante passion.

mardi 4 novembre 2025

La fée Rubis

 

 



Secondée par les lutins, les elfes et les petites fées de la forêt, les dryades, la fée Rubis procéda à un tri des préparations culinaires des concurrents au titre poétique.

«  Nous pourrons réaliser un magnifique banquet gourmand avec toutes réalisations somptueuses » dit la fée puis elle distribua une liasse de poèmes en conservant un bon tiers pour elle.

Chacun se plongea dans la lecture des éloges du bois d’amour dont la fée Rubis était l’âme ardente. L’étude des poèmes s’accompagnait de pauses gourmandes au cours desquelles on savourait les préparations forestières des poètes. Chacun admirait dans ces participants l’art d’allier l’emploi de la plume et du chaudron.

Rubis apprécia le texte d’un concurrent :

«  Fée d’amour, fée du bois ardent, Rubis qui étincelle au tréfonds de notre âme, je t’offre mon cœur, palpitant au vent léger comme le papillon qui va de fleur en fleur pour semer la rose de la poésie, ton incarnation.

Allongé sur un lit de mousse, je tends les bras, aspirant à effleurer l’orient de ton corps ô combien désirable qui se dérobe pour mieux s’offrir à l’amant de cœur qui obtiendra la palme de prince de l’amour.

Parfois je capte une caresse sur ma joue et je m’embrase tant que je quitte ma couche de fougères craignant d’y mettre le feu.

Le rougeoiement des feuilles d’automne s’harmonise avec le chant d’une Vestale prêtresse de l’aurore aux pétales de roses feu.

Je dépose à tes pieds, ô ma reine d’amour, la flamme incandescente de mon être qui ne vit que pour toi ».

Rêveuse, la fée Rubis découvrit le nom de l’illustre inconnu qui avait réveillé les désirs révolus de sa jeunesse.

Il s’agissait de Mérovée du Hainaut, seigneur féodal qui régnait sur une province où fleurissaient les pommiers.

Elle se prit à rêver de prairies verdoyantes où sommeillaient des divinités attachées au culte du dieu Apollon.

Peu importe le gagnant du concours pensa-t-elle, je me rapprocherai de Mérovée du Hainaut car il a réveillé l’amante qui dormait en moi !

Rose du buisson ardent

 

 

 


L’arrivée de Rose du Buisson Ardent dans le Val-sans-Retour provoqua des vents tourbillonnants qui auraient emporté la suzeraine de Fol Espoir si elle n’avait pas été protégée par sa parure divine.

Elle avança à petits pas et après avoir progressé dans la lande rocailleuse, elle finit par s’asseoir sur une roche lisse en granit.

Elle regarda le paysage lunaire qui s’offrait à elle et pria pour que sa démarche soit suivie d’effet.

Que cherches-tu, reine d’un pays dévasté par une peste venue du fond des âges, dit une voix de crécelle. Si c’est un remède que tu cherches, tu n’as pas frappé à la bonne porte, j’en ai déjà fait part à tes chevaliers mais apparemment, il n’y a pas de coordination dans ton royaume véreux, voué à la mort.

Si tu veux être ma servante, je te soumettrai à des tests révélateurs de tes aptitudes à être bonne à quelque chose, ce dont je doute.

Rose du Buisson Ardent éluda les parties du discours qui brillaient par leur insolence et répliqua calmement.

«  Je suis venue te proposer la paix, reine Morgane et t’offrir la place qui te revient au château de Fol Espoir qui ne mérite pas ton mépris.

Pour te prouver ma bonne foi, j’ai apporté une parure que mon époux a commandée pour moi à un célèbre joailler et si elle te plaît, c’est bien volontiers que je t’en ferai cadeau.

Je n’ai pas besoin de tes dépouilles, reine sans royaume. Retourne en ton château vermoulu et ne remets plus les pieds dans mon Val-sans-Retour sinon il portera pour toi l’essence de ce nom et je t’enchaînerai sans pitié à un rocher. Va-t’en !

Et ce disant, les yeux de Morgane devenus couleur de flamme, lançaient des éclairs.

Rose du Buisson Ardent reprit donc la route du retour et alors qu’elle franchissait la barrière des derniers genêts, elle entendit la voix de Morgane qui criait dans les nuages :

Je suis sensible à ton offre, reine sans royaume, c’est pourquoi, je te laisse la vie sauve mais ne reviens pas me tenter car, cette fois, tu n’échapperas pas à un châtiment ».

Rose avait l’impression de tourner en rond dans un cercle de magie noire, une sorte de mare au diable dont on ne sort que difficilement.

«  Seul, l’amour, ô ma reine, pourra sauver notre royaume lui dit la voix de Jehan qui reposait dans le cœur de sa rose intime, son reposoir d’amour passionné ».

Elle ressentit un plaisir intense qui lui rappela leurs étreintes passionnées et elle eut la curieuse impression de prendre racine.

Sa robe de bure tremblait au vent, ses cheveux se couvraient de fleurs et lorsqu’elle voulut parler, ce fut d’une toute petite voix qui provenait de son tabernacle intime.

«  Nous voici, comme Philémon et Baucis, ma douce-aimée murmura Jehan. Toi et moi, formons un buisson épineux qui offrira au vent la douceur parfumée de ses fleurs.

La parure s’est fondue en une rivière de diamants, de rubis et de quartz rose que seuls les poètes pourront découvrir et chérir.

O mon aimée, je t’aime à la folie et grâce soit rendue à Dieu, c’est pour l’éternité » !

Tandis que les amants prolongeaient leurs étreintes en exhalant des parfums subtils et profonds, on s’inquiétait au château.

La suzeraine était partie en emportant sa parure et elle pouvait avoir eu affaire à des bandits. Morgane pouvait également la détenir prisonnière pour se venger d’avoir été jetée dans les oubliettes du château.

Comme l’affaire était délicate, on fit appel à Fleur des Genêts, le frère jumeau de Jehan des Roselières. Il était le plus proche du suzerain défunt et rien de ce qui le concernait ne lui était étranger.

Tristan-Lou, en sa qualité de frère aîné, prit sa place auprès de la fontaine et Fleur des Genêts s’en fut pour le Val-sans-Retour à la recherche d’un indice ou, mieux encore, de la reine.

Près du buisson, il eut une sorte de révélation.

Il s’arrêta et entendit la voix de son frère qui lui murmura dans des effluves parfumés :

«  Ne t’inquiète pas, mon frère. Rose du Buisson Ardent est en moi, en ce buisson et nous prolongeons nos étreintes charnelles vécues dans le monde des vivants, avec une frénésie sublimée par l’essence de l’amour.

Plonge la main au cœur de ce buisson et tu y trouveras la parure que j’ai commandée jadis pour ma reine, de son vivant. Elle n’en a plus besoin à présent.

Remets la, s’il te plaît, à notre fille Fleur de Paradis et dis-lui bien qu’elle a été conçue grâce à un amour féerique reposant en une rose charnelle dont je suis le seul à avoir la clef.

Cette parure, unique et réalisée à la mesure de la source de vie de mon aimée, servira de viatique à ma fille.

Elle en aura besoin car vous vivez à présent, vous les mortels, dans un monde étrange où les règles de la chevalerie se perdent.

Adieu, mon frère, chéris ton épouse et aime tes enfants.

Nous nous verrons sans doute un jour, si ton amour est à la mesure du nôtre et te permet de renaître sous une forme florale, éternelle, parfumée et passionnée ».

La voix se tut. Fleur des Genêts plongea sa main, protégée par un gant de cuir, dans l’intérieur du buisson en prenant garde de ne pas l’efflorer et il en sortit la parure qu’il plaça dans un sac de velours.

De retour au château, il forgea un récit plausible car personne n’aurait cru qu’il avait pu s’entretenir avec son frère par l’intermédiaire d’un buisson.

Il raconta que Rose du Buisson Ardent avait souhaité s’éloigner du monde et qu’elle lui avait confié sa parure pour qu’il la remette à sa fille chérie, Fleur de Paradis.

Il ajouta de son propre chef, que Rose du Buisson Ardent éprouvait également beaucoup d’amour pour son fils Gabriel, chargé de veiller à l’équilibre du royaume.

Il remit à Gabriel une chevalière et un collier de vermeil portés par Jehan des Roselières en lui disant que ce dernier les lui avait remis autrefois parce qu’il souhaitait les voir portés par son fils lorsqu’il serait au pouvoir.

Tout le monde reconnut avec émotion les bijoux rituels du souverain.

Ce dépôt sacré réalisé, Fleur des Genêts s’en retourna auprès de sa dame, Aude à la source ardente et passionnée.

Il l’honora avec tant d’exquise douceur qu’il engendra un dernier enfant à qui l’on donna le nom d’ Aubépin car, en réalité, ce désir fou d’étreintes inassouvies lui était venu en plongeant la main dans le cœur sacré du buisson ardent couronné d’aubépines où les amants Jehan et Rose se disaient éternellement qu’ils s’aimaient à la folie.