jeudi 20 novembre 2025

Accusée, levez-vous !

 



Cette terrible phrase, elle m’a poursuivie longtemps car, en l’occurrence, l’accusée, c’était moi, une enfant de dix ans ! Je me revois, blême, debout, les yeux de mes soixante camarades braqués sur ma personne, face à la terrible Madame Malinowsky, outrageusement fardée, les cheveux rouges qu’elle agitait comme la crinière d’un lion, notre professeur de Latin !

Mon crime ? J’avais emprunté la blouse de mon amie Annette car je ne trouvais pas la mienne dans le tas des blouses restantes amoncelées dans le placard où nous devions les ranger, le soir.

Comme d’habitude, j’avais couru tout le long du boulevard pour ne pas être en retard et à mon arrivée, au lieu de trouver ma blouse dans la penderie, là où je l’avais mise la veille, je n’avais vu qu’un tas de linge froissé et pas l’ombre de la pièce de tissu sans laquelle on ne pouvait pas entrer en classe.

Annette m’avait dit qu’elle avait deux blouses pour ne pas se trouver en défaut et j’ai donc supposé que c’était la deuxième blouse sur laquelle j’avais mis la main.

Nous n’étions pas dans la même classe et nous ne nous retrouvions qu’en cours de latin car notre professeur était en congé de maternité et n’avait pu être remplacée.

C’est l’effrayante Madame Malinowsky qui menait la baguette.

Pas de pitié pour le moindre accroc avec elle : on ne pouvait ni se moucher, ni éternuer, ni tousser pendant son cours. Dans ce cas qu’elle jugeait indécent, on était impitoyablement envoyé à l’infirmerie avec une punition à la clef !

Lorsqu’ Annette s’est présentée à son cours de Français sans blouse, elle avait pleuré par crainte du châtiment et dit que quelqu’un lui avait vraisemblablement pris sa blouse, ce qui fut appuyé par des camarades : oui, les voleuses de blouses existaient !

Décidée à faire un exemple de l’indélicate élève, Madame Malinowsky accepta Annette à son cours, jurant qu’elle tirerait l’affaire au clair !

A la récréation, je retrouvai Annette à qui je rendis sa blouse : la mienne était en boule, piétinée et coincée dans la penderie mais elle était là !

Vint alors le cours de latin pris en commun.

Madame Malinowsky interrogea Annette. Elle ne voulait pas me dénoncer mais elle dut répondre à une question : quelle était la classe de la voleuse ? Annette, d’une voix blanche, énonça le chiffre de ma classe.

Alors à l’injonction : «  Accusée, levez-vous » je répondis automatiquement en me levant !

Une avalanche de reproches s’abattit sur moi et lorsqu’elle m’intima l’ordre de me rasseoir, elle déclara, avec le masque du procureur, qu’elle souhaitait me voir à la fin du cours.

La honte et la déferlante que j’avais subies ne lui avaient pas suffi car elle me fit part du fait qu’elle regrettait de ne pas pouvoir me traduire en conseil de discipline puisque l’on était en fin d’année scolaire.

Elle ne voulut pas m’entendre, du moins sur le moment car, par la suite, elle tenta de me faire revenir sur les voies romaines du savoir et l’histoire de la blouse fut définitivement enterrée !

Les jardins de Johnny

 

Emporté par la noria incessante des voitures somptueuses, des Harley et des haltes imposées par l’incessante route du spectacle, Johnny n’a jamais eu le temps de respirer le parfum subtil d’une rose.

L’odeur du cuir, de la bière partagée entre potes et de la graisse des chevaux hurlants de diverses mécaniques ont formé son éden de senteurs.

A cela s’ajoutaient les effluves corporels de ses fans, rassemblés dans ses concerts comme pour assister à une grand-messe, celle du rock où l’harmonica, les guitares et l’orchestre dirigé par un Yvan Cassar aux boucles déchaînées, entouraient le boss d’une aura si charismatique que des femmes défaillaient dans le public, vite revenues à elles par une intervention musclée de leurs compagnons.

Johnny, c’est Johnny mais ce n’est pas une raison pour qu’on se laisse aller et partir dans un monde surnaturel !

Il faut rester sur terre et communier dans une ferveur idéale.

Alors, aujourd’hui, alors qu’il a quitté ce monde où nous restons accrochés pour redire notre amour invincible, nous lui envoyons les roses qu’il n’a pas eu le temps d’admirer.

Leur parfum lui parvient et une larme coule de ses yeux turquoise pour devenir un soleil !

Une rose d'automne en un blanc jardinet

 



 

Une rose d’automne en un blanc jardinet

Et puis toi, mon amour,

Et puis toi…

Dans ta robe de dentelle avec des pervenches

Dans les yeux…

Je t’aime tant que je m’en vais criant,

Par les rues noires,

Que je t’aime à la folie.

Une rose d’automne en un blanc jardinet

Et puis toi, mon amour,

Et puis toi…

Dans ta belle robe chaude tricotée cet hiver

Et dans tes bras, notre petite Élodie, si belle

Que je m’en vais par les rues noires,

Chercher l’impossible travail.

Las ! les ramasseurs de feuilles mortes n’existent plus

Dans notre vieux Denain ;

La grande usine a fermé ses grilles mangées de rouille,

Et toi, mon amour, et toi…

J’hésite à te dire la vérité, alors je chante,

Je danse comme un Pierrot fou.

Musique, s’il vous plaît…

Notre ville refuse de mourir…

Sur les marches du théâtre,

Les vieux mineurs pleurent

Et les métallurgistes tordent leurs mains brûlées,

Mon amour, mon amour,

Je suis comme la ville :

Je ne veux pas mourir

Mais, dans la ville morte,

Notre si bel amour n’est qu’un fantasme d’or,

Mon amour, mon amour,

J’ai vendu ta robe de dentelle ;

 Faudra-t-il que j’offre mon cœur

À la banque des riches ?

Mon amour, dans la ville fantôme,

Il ne reste que nous

Et notre bel amour.

Les pavés sonnent une valse d’épousailles

Et, dans les rues si noires, notre mort fusera

Comme une note de lumière.

Une rose d’automne en un blanc jardinet

Et puis toi, mon amour,

Et puis toi…

 

 

Pluie d'étoiles

 

 


Je suis marchand de rêve, je suis marchand d'amour.

Donnez-moi votre vie, j'en ferai de l'or.

Une pluie d'étoiles transcendera notre terre qui se défait

Comme un arc-en-ciel.

Mais l'enfant aux yeux d'aurore voyait luire une étoile.

« Je n'ai pas besoin des marchands de sable » cria-t-il

Sous les volutes du ciel. « J'ai des mains, des pieds,

Un corps, je suis homme. Le berceau de mes pères

Est inscrit dans le sable du temps ; toutes ses voiles

Carguées l'entrainent vers la mer; je navigue à l'estime

et trouverai le port.

Ô marchand, tu n'es qu'un mirage. Dans le buisson

Ardent flamboient les vieux mensonges aussi légers que

les colibris... »