De retour d’une expédition
guerrière menée aux confins du royaume pour repousser des attaques d’ennemis
héréditaires, le comte Henri de Saint-Thual entra dans une chapelle pour y
rendre grâce à Dieu et y prendre un peu de repos.
La rosace centrale du vitrail
était d’une singulière beauté. On y voyait un chevalier aux genoux de sa dame
dont la blonde chevelure était ceinte d’une couronne de fleurs exquises,
nimbant son délicat visage d’une douceur céleste.
De la tribune supérieure vinrent
les accords harmonieux d’un orgue dont jouait une jeune fille avec virtuosité.
Le cœur débordant d’émotion, le
comte sortit de la chapelle, ébloui, si éloigné des scènes de guerre vécues
avec ardeur et souffrance pour que son suzerain soit libéré d’ennemis virulents.
Il avait dû guerroyer à cheval, à
pied, sa lourde épée à la main. Frappant d’estoc et de taille, il avait été
heureux de ne pas être blessé gravement.
Il avait été quitte pour quelques
estafilades. Néanmoins, il se sentait bien las et il espérait qu’une période de
paix succèderait à celle de la guerre.
Tenant son cheval par la bride,
Henri de Saint-Thual marchait à pas lents, foulant l’herbe de ses poulaines
cuirassées d’acier.
Assoiffé, il fit une halte près d’une
rivière et en se penchant pour boire, il aperçut son reflet dans l’eau vive.
Il se vit alors couvert d’une
armure en or.
Surpris, il enleva sa cuirasse et
constata qu’elle était effectivement en or massif et qu’elle jetait des reflets
dorés.
Quel étrange sortilège, se dit-il
et c’est alors qu’apparut une jeune fille si belle qu’elle semblait sortir d’un
livre d’Heures.
Sublimée par une robe vaporeuse
en camaïeu rose, la féerique apparition resplendissait d’une divine beauté.
Sa longue chevelure qui lui
tombait sur les reins, savamment coiffée en ondes bouclées, était retenue par
un catogan de velours grenat orné de perles et de rubis.
Sensible à l’aura poétique de cet
être divin, Henri de Saint-Thual mit un genou à terre et s’adressa ainsi à la
jeune femme :
« Divine beauté, je me
prosterne devant votre sublime personne. Etes-vous une ondine, une fée des
bois, une reine ou une simple mortelle ? Vous rayonnez en ces bosquets
comme une étoile déposée sur la terre en guise d’offrande.
Que puis-je faire pour vous
servir, ô dame de beauté ?
-
Je suis Yolande de Concoret, noble chevalier et
je viens en ces lieux pour cueillir des fleurs qui orneront le tombeau de
Merlin.
-
Je vous en prie, chevalier, relevez-vous et
remettez votre cuirasse qui jette de l’or sur la prairie, faisant pâlir les
genêts et les boutons d’or » !
Henri de Saint-Thual se releva,
revêtit sa cuirasse et déclina son identité, la main sur le cœur.
Il fit état de sa condition
nobiliaire, brossa un tableau idyllique des richesses de son fief, proposant à
la jeune fille de devenir son chevalier servant.
Yolande de Concoret sourit pour
toute réponse et ses grands yeux bleus s’étoilèrent de points d’or.
Elle invita le chevalier à
partager son repas : il était préparé avec soin par Althéa, sa dame d’atour.
Une joyeuse flambée dans la salle
d’apparat du manoir de Yolande enveloppa ses hôtes d’une douce chaleur.
Délivré de son armure, le
chevalier apparut dans un pourpoint rouge et or qui jeta une note
supplémentaire de lumière dans la grande salle ornée de manière à respecter le
style d’un relais de chasse.
Yolande avait tenu à ce qu’aucun
trophée n’apparaisse sur les murs de la salle, préférant évoquer cet art
cynégétique sous forme de tapisseries brodées à l’aiguille, noble art où elle
excellait.
La table fut dressée promptement.
De la belle vaisselle en faïence
de Quimper jetait une note régionale, rappelant par ailleurs, grâce au choix
des motifs, les origines de sa famille : le houx et la bruyère pour
évoquer la présence de l’enchanteur de Brocéliande.
Yolande avait envoyé un serviteur
fleurir le tombeau présumé de Merlin, la légende voulant par ailleurs qu’il ait
pu échapper aux artifices de la fée Viviane, perfide enchanteresse prête à
enchaîner son bienfaiteur.
Althéa et ses servantes
apportèrent des galettes de sarrasin fourrées de champignons et d’œufs.
Puis le plat-phare de la cuisine
bretonne, le Kig ha Fars, fit une entrée triomphale sur la table.
Yolande invita sa dame d’atour à
prendre place à ses côtés et des personnes de haut rang rejoignirent les hôtes
afin que ce plat copieux n’ait pas été servi en vain.
De fait, ce repas achevé, on
convint de renoncer à un quelconque dessert, fût-il léger, et de réserver les
belles préparations pour le lendemain.
Dame Yolande invita le chevalier
à se retirer dans la grande chambre d’hôte qu’on lui avait préparée.
Le lendemain, Henri de
Saint-Thual se régala de crêpes à l’orange et de kouin aman.
Un grand bol de lait chaud au
miel et aux amandes l’aida à absorber ces mets délicats et sucrés.
Alors qu’Henri ajustait son
armure, Yolande apparut, plus sublime encore que la veille.
Elle avait des fleurs dans les
cheveux et l’on ne savait trop distinguer la fleur de la jeune femme tant elle
était l’incarnation sublimée de la rose d’amour !
Ils joignirent leurs mains et c’est
alors qu’une grande lumière inonda la salle.
L’enchanteur Merlin fit une
entrée spectaculaire dans un bruit de tonnerre zébré d’éclairs bleus.
« La légende voulait que je
sois délivré de mon tombeau de pierre par un chevalier à l’armure d’or et une
jeune fille de la lignée de Brocéliande, habilitée à fleurir le granit du
tumulus ».
Il prit les mains du couple dans
les siennes, les précipitant dans un bonheur sans nom.
Bénissant ce retour victorieux de
combats épiques et meurtriers, Henri de Saint-Thual demanda à la belle Yolande
de lui accorder sa main.
L’enchanteur disparut comme il
était venu et l’on dit que son carrosse était attelé à des licornes prodigieuses.
Le chevalier prit congé de sa
dame pour regagner son fief et ordonner les préparatifs de cérémoniaux dignes d’une
grande dame pour bénir leur union contractée dans la terre des légendes.
Les fiançailles eurent lieu dans
la chapelle où le guerrier avait délesté son âme du poids des combats.
Chacun s’aperçut alors que
Yolande ressemblait beaucoup au personnage central du grand vitrail, ce qui
était assurément l’augure d’une union accomplie.
Une tunique d’or fin et des
bijoux d’inspiration celtique furent livrés au château pour que la belle Yolande
semble digne de son chevalier à l’armure d’or.
Les korrigans apportèrent de la
vaisselle fine, du gibier et du poisson cuisinés en sauces armoricaines ainsi
que des pâtisseries à base de beurre, de farine de blé tendre, d’œufs et d’amandes.
Les noces furent somptueuses et
le marié jura fidélité et amour à sa promise en mettant sa main droite sur le cœur
puis il l’embrassa tendrement à l’issue de la cérémonie.
Des colombes s’envolèrent,
portant dans le royaume des symboles de paix et d’harmonie !