dimanche 28 février 2021

Djamila, perle du désert

 



Max hésita à transmettre à Romuald le nom de Djamila pour obtenir éventuellement des renseignements car ce nom semblait relever du fantasme.

De plus, trouver une jeune personne, vraisemblablement en pays touareg, au nord du Mali avec un élément concret, une tente et la présence d’un troupeau de chèvres relevait du défi.

Il le fit néanmoins en précisant que cette information, si c’en était une, provenait d’une émotion ressentie par l’énigmatique officier à la vue d’un oiseau, vision nourrie par une évocation guerrière dont on ne pouvait nier l’existence.

Ce serait peut-être bon, suggéra Max, de réactiver la recherche concernant Aurélien de Malestroit qui semble être notre homme, afin de trouver une piste qui le relie au désert.

Dans l’espoir de collecter de nouvelles informations, Max assista aux séances de pose.

Il nota tout d’abord qu’une distance s’était établie entre les deux militaires chargés de veiller sur le convalescent et le modèle du portrait tandis qu’une intimité artistique liait Florian au jeune homme.

Avant le cérémonial du thé, Florian montra au jeune homme des ébauches réalisées à partir de son propre ressenti sur le personnage de Djamila.

Il n’avait croqué qu’une silhouette, de dos, et pour en savoir plus, il posa quelques questions au principal intéressé.

Portait-elle un voile, avait-elle des bijoux dont un qui pourrait être peint avec précision, souriait-elle ou avait-elle l’air grave, était-elle une guerrière ou une artiste ?

L’officier en quête d’identité répondit de manière détournée à toutes ces questions précises qui s’apparentaient à un interrogatoire déguisé :

«  Djamila, mon amour, ma perle du désert enfouie dans un paysage de sable et de vent, que puis-je dire, pour te décrire, si ce n’est que tu es l’incarnation de la beauté ?

Je rêve de te rejoindre sur ta terre ancestrale ou dans le château de mes ancêtres. Où que tu sois, nulle ne pourra te surpasser tant la magie et le charme habillent ta silhouette divine de rose, de nacre et de chair palpitante où je souhaite me lover comme l’enfant Amour sur le sein de sa mère, la déesse Vénus ».

Le jeune homme se tut, poursuivant son rêve et chacun mit de la raison dans les propos apparemment lyriques, peut-être nés des divagations d’un esprit malade.

C’est surtout cette hypothèse, bouffées délirantes d’un malade, que les deux militaires retinrent. Il leur était insupportable de penser que la personne qu’ils étaient chargés d’escorter et de veiller, pouvait avoir des accointances avec l’ennemi qu’ils devaient combattre.

Ce serait par trop affreux ruminaient-ils mais cet affreux soupçon de trahison s’insinuait dans leur esprit et chacun d’eux se demandait s’il ne serait pas bon qu’on les relève de leur mission.

Ils finissaient par prendre en grippe celui qu’ils avaient assimilé à un héros.

Max retint les notions artistiques du jeune homme et écrivit le mot « château » dans son carnet de notes car apparemment Aurélien de Malestroit avait signé son identité.

«  Connaissez-vous Aurélien de Malestroit » ? demanda-t-il presque négligemment.

«  Bien sûr puisque c’est moi » répondit l’officier amnésique et sur ces mots, il sombra à nouveau dans un état voisin de la catalepsie.

Personne ne songea à l’en sortir.

Avec une forme de répugnance mal dissimulée, l’infirmier l’installa sur une bergère, le couvrit d’un plaid et il demanda à Florian l’autorisation de veiller le malade, ce qui lui fut spontanément accordé.

«  Vous pourrez terminer le portrait à votre convenance dit alors l’aspirant Hardouin de La Bastide. Pour ma part, je vais demander à mon supérieur d’être relevé de mes fonctions. Je ne voudrais pas être mêlé à une supercherie ou à une usurpation d’identité. Ce cas relève désormais des services spéciaux de notre armée.

Cet individu sera sûrement transféré dans une unité spéciale qui se chargera de tirer au clair cette étrange histoire.

Il n’a plus sa place à Fleur-Lez-Lys et je pars, de ce pas, établir un rapport concis au colonel Axel des Tournelles qui sera certainement mortifié d’apprendre la tournure des événements tant l’armée représente, pour lui, le symbole sacré de notre nation ».

Hardouin de La Bastide salua tout le monde  et partit d’un air martial prévenir la maîtresse de maison, Lisa-Marie, que des éléments nouveaux apportaient un semblant de réponse à l’énigme et qu’elle retrouverait, très prochainement, le calme et la tranquillité d’esprit propice à l’écriture de son roman historique inachevé.

Le portrait d'un inconnu

 



Le tuteur du militaire amnésique, en l’occurrence le colonel Axel des Tournelles, tint à voir l’atelier de Florian et il fut sensible à la beauté des toiles de l’artiste. Il donna donc son assentiment, pensant comme les membres du groupe chargé de veiller au bien-être d’Arthur, que les séances de pose leur permettraient d’y voir plus clair.

Un beau portrait serait non seulement esthétique mais utile car il mettrait sans doute en lumière un aspect de la personnalité du jeune homme qui était devenu une énigme pour tous, à commencer par lui-même.

Par contre, le colonel trouva qu’exposer Arthur au flash d’un photographe, fût-il génial, pourrait aggraver le déséquilibre de sa personne.

C’est pourquoi il refusa le concours de Victor, pourtant photographe d’art.

Les séances de pose commencèrent en présence de l’infirmier Rémi de La Trémouille et de l’aspirant Hardouin de Labastide.

Un jour, un rouge-gorge entra dans l’atelier en passant par une lucarne entrouverte et il se posa sur l’épaule du jeune homme.

Heureux de cet appoint inattendu et poétique, Florian décida de l’inclure dans le tableau, ce qui conféra au portrait une ouverture vers un univers féerique qui rappelait celui de Raphael.

« Cet oiseau apporte une part de mystère dit le jeune homme en contemplant le tableau. C’est un peu comme le Fifre du soldat peint par Manet ou la perle de La jeune fille à la perle d’un maître hollandais, Vermeer de Delft. Ou encore l’énigme représentée par un chardonneret qui devient le thème principal d’une intrigue brossée par Donna Tartt, dans un livre où l’amitié entre deux êtres différents joue un grand rôle ».

Puis il se tut et chacun ne put s’empêcher de noter que dans l’esprit de cet homme, victime d’un attentat lors d’une mission, la guerre n’était pas un sujet fondamental.

«  Pour ajouter au réalisme du tableau, je pourrais peut-être peindre en miniature la représentation d’un véhicule blindé circulant dans le désert ajouta Florian, histoire de crever l’abcès.

Certainement pas, protesta le jeune homme. Vous détruiriez l’harmonie de ce tableau et sa beauté fondamentale qui consiste en la quête d’un idéal et d’un absolu à travers le regard d’une personne énigmatique.

Si vous voulez représenter le désert qui, je vous le concède, occupe une place déterminante dans la vie de cet homme étranger à mon être-profond mais qui, de par sa blessure mentale, est un avatar de celui qui se cache au fond de moi et que nous cherchons, vous pourriez peut-être peindre en tout petit, environnée de chèvres, une tente où se blottirait une jeune fille, Djamila de mes amours ».

Puis, sombrant dans une sorte de catalepsie, le modèle du personnage en quête d’identité se tut.

On servit du thé et des cannelés, des tranches de pain d’épices et chacun respecta le silence douloureux de celui qui venait peut-être de livrer, sous l’effet du choc émotionnel provoqué par le rappel de la guerre, une petite partie de l’iceberg englouti de sa mémoire.

 

samedi 27 février 2021

Le jeu des portraits

 



Alors que l’enquête piétinait, Max alla voir son ami Florian, peintre de renom.

Ils parlèrent à bâtons rompus et finalement Max osa aborder l’objet de sa visite.

Toute l’affaire ayant son nœud gordien dans l’apparence, il serait bon, si le présumé Arthur Louis y consentait, que Florian fasse son portrait.

Un peintre mettrait peut-être en valeur un élément que personne n’aurait relevé.

«  Ce sera avec plaisir si l’on m’y autorise » répondit Florian et il ajouta que son frère jumeau, Victor, photographe d’art pourrait le seconder avec le regard précis de l’objectif et les jeux de l’ombre et de la lumière.

Les deux amis s’enthousiasmèrent et ils sollicitèrent de Lisa-Marie l’autorisation de se présenter chez elle afin d’obtenir son appui dans cette quête d’identité déguisée.

Lorsqu’ils arrivèrent chez elle et qu’ils lui firent part de leur projet, cette dernière partagea leur enthousiasme et leur promit de s’en ouvrir au colonel responsable de l’évolution de l’état du patient.

Ils prirent le thé, servi par une Rose qui s’avérait toujours être une perle.

Les trois invités militaires se joignirent au groupe et sans  se faire prier, Arthur se mit au piano et interpréta avec brio des airs d’Erik Satie et la valse d’Eugène Onéguine de Tchaïkovski.

On eut l’impression que des anges survolaient la pièce et que l’on était projeté dans un monde idéal, à mille lieues du réel, tout à fait à l’opposé de l’univers militaire dans lequel il avait baigné.

L’officier présumé remit sur le clavier la pièce de velours brodée qui protégeait les touches d’ivoire et demanda la permission de se retirer car il se sentait fatigué.

Florian lui présenta son projet pictural et cela sembla plaire à celui qui avait perdu la mémoire, hormis un florilège musical qui lui venait spontanément à l’esprit.

«  J’en serai naturellement flatté, Monsieur. Tout ce qui peut me servir à retrouver la mémoire est le bienvenu. De plus, une piste artistique ne peut être refusée. C’est avec honneur que je poserai pour vous. De quelle manière opèrerons-nous ? Voulez-vous que je prenne la pose au piano, ici, ou voulez-vous que je vienne chez vous, pour que vous puissiez me peindre à votre convenance ?

Il en sera comme vous le souhaitez et j’apprécie à sa valeur le fait que vous me laissiez libre de mon choix. Cela prouve que vous avez un sens artistique aiguisé, ce que l’on peut déduire aisément en vous écoutant jouer des œuvres complexes au piano ».

Après cet échange qui prouva, une fois de plus, que cet homme n’avait pas été à sa place dans le désert au milieu des embuscades, chacun prit congé.

Max et Florian terminèrent la soirée au café «  Chez Marius » mais ils prirent soin de ne pas parler de leur projet car ils avaient l’impression que c’était l’entreprise de la dernière chance.

 

Chanson bleue

 



Une chanson a jailli, orchidée de l’âme, pour capter les papillons bleus de Palenque qui nous rappellent les héros de civilisations brillantes, aujourd’hui disparues.

Des lianes de fleurs nous enserrent le cœur et nous chuchotent les refrains de nos souvenirs, cherchant ardemment une chanson nouvelle, celle de l’amour de Johnny.

Avec une voix douce comme celle d’Henri Salvador, murmurant Le Loup, la biche et le chevalier en guise de berceuse, Johnny fait resurgir d’un berceau azuré la marque totem de son être qui tatouait son corps, le loup, le glaive et les fleurs stylisées des méandres passionnés de sa vie.

Une chanson bleue que nous chantait Johnny, nous l’avons en mémoire, comme «  une chanson douce que me chantait ma maman » et nous nous endormons en rêvant qu’il sera là, à notre réveil pour nous inciter à mettre un pied devant l’autre et à marcher jusqu’à l’aurore nouvelle, avec lui !

La légende de Johnny 9


Montage - Réalisation : © Fabrice Cocquet 

Les Inséparables

 



«  Au Prytanée, on les appelait les mainates car ils se faisaient souvent passer l’un pour l’autre tant leur langage était synchronisé. Qui entendait l’un entendait l’autre et leur mimétisme vocal s’élargissait à une ressemblance hallucinante de leurs personnes…

Ces mainates, cher Max, n’étaient autres qu’Arthur Louis, un amoureux des armes et du combat et Aurélien de Malestroit, issu d’une longue lignée de militaires mais profondément amoureux de la musique. Ce dernier n’avait accepté de venir au Prytanée de La Flèche qu’à la condition de poursuivre des études musicales poussées ».

Ainsi commençait le long message de Romuald qui avait si bien investigué sur le séjour d’Arthur Louis au Prytanée qu’il en avait extrait ces éléments : cet homme sans histoire, militaire jusqu’au bout des ongles avait une sorte de frère jumeau, un adolescent épris de musique, songeant avoir une vie similaire à celle de Frédéric Chopin et faisant peu de cas d’exploits militaires.

D’aucuns considéraient Napoléon comme un génie et se délectaient de la technique mise en place pour vaincre à Austerlitz mais Aurélien, quant à lui, rêvait plutôt de devenir l’élève d’Olivier Messiaen qui faisait du chant d’oiseau le modèle musical absolu.

Au sortir du Prytanée, les deux inséparables prirent des routes différentes.

Pour Arthur, tout était simple : la voie royale passait par l’armée et il fut rapidement apprécié pour ses connaissances techniques, son sang-froid, sa bravoure et son esprit de corps. Il se fondit dans le moule, gagnant rapidement des galons et l’estime de ses supérieurs.

Pour Aurélien, par contre, rien n’était simple. Malgré son aisance dans le maniement des armes, des connaissances techniques pointues, aussi précises que celles d’Arthur, il voulait se défaire de cette emprise militaire qui lui collait à la peau et lui donnait l’impression de vivre à contre-courant.

Tout d’abord, pour rester dans la trajectoire militaire subie malgré lui, il voyagea à travers le monde, recherchant le monde disparu des Templiers, ces chevaliers chrétiens qui avaient construit un empire au nom du Christ.

Il séjourna longtemps près du Krak des Chevaliers, fasciné par cette étrange construction témoignant d’un monde à la fois féroce et fraternel.

Puis il alla de monastère en monastère et joua de l’orgue au Mont Saint-Michel, l’une des merveilles du monde, fabuleuse  création à la croisée de la terre, de la mer et du ciel.

Ensuite, je dois avouer que j’ai perdu sa trace concluait Romuald.

Cependant mon hypothèse est la suivante : j’opterais pour une mystification des deux amis, Arthur partant pour un destin inconnu et Aurélien prenant sa place sans difficulté puisque dans leur jeunesse ils étaient coutumiers de cet exercice étonnant.

L’homme qui n’a pas reconnu sa maison de Fleur-Lez-Lys comme un bien de famille incomparable et qui a réclamé son piano serait donc Aurélien.

Je te propose cette piste de lecture qui n’est guère facile car il nous faudrait, à présent, savoir pourquoi Arthur qui aimait tant la vie militaire a voulu en sortir et n’a trouvé d’autre subterfuge que celui de recourir à son ami pour qu’il prenne sa place.

Sombre histoire mais ô combien passionnante, pensa Max et il écrivit à Romuald pour le féliciter de la qualité de ses recherches et lui assurer qu’il partageait son point de vue quant aux conclusions.

«  A nous deux, Arthur » ! jura-t-il et il se promit d’aller le chercher jusqu’aux Enfers pour qu’il vienne sortir son ami des ténèbres dans lesquelles il l’avait plongé.