mercredi 28 novembre 2012

Les Trois Sœurs



Sur une plage poudrée d’or et de nacre, trois dames vêtues de blanc jouent de la harpe pour attirer les anges. Mais les anges pleurent et des larmes de sang ruissellent sur les murs calcinés de Cana où jadis furent célébrées de bien jolies noces. L’eau fut transformée en vin, pour égayer le festin d’un village paré de ses plus beaux atours. Aujourd’hui, ce sont de beaux enfants que l’on retire des décombres, de belles fillettes aux joues rebondies, hélas ! masquées de cendres grisâtres, aux couleurs de la mort. Personne ne peut leur rendre la vie.
Les anges sont intervenus auprès de l’Éternel, sans réponse. Ils aimeraient se révolter mais ils ne le peuvent pas. Dieu les a créés à son image. Alors ils attendent en pleurant la venue des enfants. Pour les consoler, ils ont préparé de jolies ailes toutes blanches.
D’indélébiles taches de sang déparent l’éblouissante clarté de ces tenues d’apparat. Alors les anges transforment ces points écarlates en cœurs rutilants, pour clamer dans l’univers, l’innocence de ces petites vies abandonnées à la folie humaine.
Les trois dames s’en vont en laissant les flots engloutir les harpes dont elles ne joueront plus désormais « Nous ne serons jamais que les Parques » soupirent-elles et le vent les emporte ailleurs, toujours ailleurs …

Conte de Noël




Sur les rives du temps, des lutins aux ailes d’argent cultivent des roses pour en faire liqueurs, sorbets et confits. Les fées poudrent de lumière l’herbe folle des prés et font jaillir des guirlandes de fleurs qui embaument les sources. Des moutons se déplacent le long de la rivière avec leur bergère aux sabots rutilants. Hier, des feux follets ont accroché une étoile magique à chaque bosquet et dans ce paysage aux décors si naïfs, de grands orangers ont poussé, précédant de peu les rois mages et la splendeur de l’Orient.
Rien ne choque dans ce tableau idyllique des contes de Noël. Chaque élément, si étrange fût-il, s’imbrique dans une toile codée d’où fusent des chants d’oiseaux venus de tous les horizons.
Quelques sages, accompagnés de perroquets blancs, entreprennent de rétrécir les frontières ; arc-boutés sur les falaises des océans, ils clament au Dieu Lumière la volonté de vivre en paix sur des îlots de terre créés pour les enfants.

lundi 19 novembre 2012

La chanson de la pluie




Les oiseaux l’ont annoncée et se sont réfugiés dans les roselières et les bambous, orchestrée par des tambours célestes, la pluie, et elle est arrivée dans sa robe de perles, réjouissant le cœur des paysans et des viticulteurs ainsi que celui des amants d’un jour, sous la protection d’un parapluie décoré par les amoureux de la Saint Valentin.
Vont-ils rester ensemble toute leur vie ou se séparer sur un dernier baiser, le ciel redevenant azuré ? Voilà la question que se posent les ouvrières, revenant chez elles, le cœur battant, vivant par procuration l’amour qui ne semble pas leur être destiné tant il est vrai que le proverbe « les belles plumes font les beaux oiseaux » semble toujours être d’actualité.
Ma tante Marie, aujourd’hui plus que centenaire, était très jolie mais elle se réfugiait, au retour de l’usine qui fabriquait les dentelles pour les dames riches, dans des ouvrages et des journaux de seconde catégorie écrits pour faire rêver les laissées pour compte. Non, l’amour n’était pas pour elle mais elle se complaisait à croire, l’espace d’une lecture réconfortante, qu’une jeune servante pouvait être aimée par un beau châtelain riche.
Elle savait bien, ma tante, que tout cela, n’existait que dans les livres et avec ses amies ouvrières, d’un pas léger, elle chantait la romance dont une phrase se détachait : « non, la vie n’est pas toujours rose » et acceptait la pluie comme une amie sincère.
La pluie, cette mal aimée des riches, était pourtant nécessaire à la floraison de la terre, de même que sans le travail des ouvrières, les belles dames n’auraient pas eu ces toilettes d’un soir, luxueuses et d’une beauté à couper le souffle.
« Je reviendrai » chante la pluie, dans une robe gris perle ornée des pétales de roses des jardins et nous valserons sur un air des Amants de Saint Jean.

vendredi 9 novembre 2012

La fée des origines




Des ruisseaux de miel ont dévalé la colline, emportant au passage des guirlandes de fleurs et c’est alors que les oiseaux ont interprété un ballet prodigieux, charmant la fée des origines en son palais de cristal.
Revêtant un habit de lumière, la fée a pris le chemin du vallon, croisant parfois une biche ou de petits lapins.
Soudain des cavaliers ont rompu l’harmonie du paysage et l’un d’eux a eu l’audace de ceinturer la fée, croyant se saisir d’une proie.
D’un simple murmure des lèvres, la captive a figé cavalier et monture en une sculpture bleue.
« Qu’il en soit ainsi de tous les gueux qui voudront mettre à mal l’intégrité d’une femme ! » dit la fée et elle s’échappa dans un outre miroir aux senteurs de miel.
Là, elle croisa une pauvre paysanne qui tremblait de froid et elle la dota de riches vêtements et de belles pièces d’or.
Sans attendre de remerciements, elle s’enfuit, légère et souriante et but à longs traits le miel chaud des collines qui s’étirait en un énorme ruban.
Puis elle créa un asile de bois et de verre, le peupla de ses amies en leur recommandant d’aider ceux qui étaient dans le besoin et de châtier les mécréants qui s’en prendraient aux faibles.
Elle repartit de son pas dansant, envoya sa pierre de lune dans le croissant qui illuminait les rêves d’un poète et s’endormit enfin en son palais, heureuse d’avoir apporté un peu de la lumière des origines.

samedi 3 novembre 2012

La petite marchande d'allumettes




En contournant un immeuble, j’ai aperçu la petite marchande d’allumettes, transie, les pieds nus dans la neige, avec un souffle de vie.
J’ai fouillé dans mes poches pour en extraire une pierre bleue venue de Stonehenge que je me réservais pour aller un peu plus loin sur les sentiers de la vie qui devenaient de plus en plus escarpés et pierreux.
Émue devant tant de jeunesse vouée à la mort par une injuste désignation du sort, je me suis agenouillée auprès de la petite agonisante et je lui ai mis dans la main la pierre magique, attendant qu’elle lui redonne vitalité et espérance.
Le lendemain, au réveil, elle avait disparu, laissant dans la neige un halo bleu. Un loup s’est approché de moi et nous sommes partis, pleins d’espoir, pour un monde nouveau où les enfants ne peuvent pas mourir avant d’avoir accompli ce pour quoi ils sont venus au monde, le bonheur !