lundi 30 janvier 2023

Théo et le royaume enchanté

 

Lorsque Théo s’embarqua à bord d’une nef portant une voile couleur safran, il sut que l’aventure était à sa portée.

Les premiers jours de navigation furent paisibles. Théo buvait de l’eau de source contenue dans un tonneau et se régalait de noix de coco, de citrons verts et de biscuits de mer. Il mangeait des harengs saurs et de la viande séchée afin de garder intacte sa force de pêcheur de perles.

Une tempête se déclencha le septième jour.

Tremblant à l’idée de connaître une aventure similaire à celles qu’avaient subies Sinbad le marin, Théo revêtit un ciré breton pour se protéger des embruns.

Pensant que les plus belles perles devaient remonter en surface du fait de la houle, Théo n’hésita pas à plonger et il trouva en effet de nombreuses huitres perlières qu’il remonta à la surface.

Ne trouvant plus trace de son bateau, il nagea vigoureusement en direction de la grève et il aperçut en chemin une magnifique grotte dans laquelle il s’abrita.

Elle semblait avoir été conçue pour assurer le confort d’un voyageur égaré car de jolies naïades vinrent éponger son corps et lui offrir un vêtement princier et chaud pour l’inviter ensuite à prendre place près d’une grande table où on lui servit des plats délicats et des boissons revigorantes.

Une sirène vint le voir et s’assit près de lui, la partie écailleuse de son corps lui servant de traîne.

Café, thé, boissons à base d’algues circulèrent ainsi que d’excellents biscuits, parfumés et délicats.

Lotus des mers, la sirène hôtesse des lieux, entoura Théo de ses beaux bras blancs et lui chanta une magnifique mélodie d’amour.

Ce qui se passa ensuite dans la grotte ressembla à un rêve et le lendemain matin, Théo se retrouva sur le rivage, portant dans la ceinture de son pagne les belles perles récoltées en mer ainsi qu’un peigne d’or qu’il avait admiré dans la chevelure de la sirène ; il sut ainsi qu’il n’avait pas rêvé et il eut le bonheur de retrouver sur la grève son beau bateau, échoué après la tempête. Il était intact et Théo remercia le dieu de la mer de l’avoir secouru et rendu à sa mère patrie, riche de perles et porteur d’un souvenir d’amour.

Un vent de violette

 

Un vent de violette a soufflé sur le jardin, réconciliant les faunes et les nymphes.

Dans le jardin d’amour, près de la roseraie, des paons ont fait la roue et des mésanges ont chanté.

C’est alors qu’est apparue la fée du printemps, s’invitant dans une envolée de pétales odorants et de cerisiers en fleurs.

La fée s’est installée sous la pergola et a invité les habitants du domaine à concourir pour la plus belle fable ou le conte fantastique.

Mercédès, la cuisinière, s’est présentée et elle a enchanté son auditoire avec une fable vantant les vertus de la violette. Aux yeux éblouis des gourmets, elle a fait miroiter les saveurs d’un diplomate au confit de violettes faisant suite à un gigot de chevreuil aromatisé au miel de lavande et de pervenche.

Une tombée de champignons et une purée de topinambours complétaient ce plat principal fleurant bon la cuisine délicate et gourmande comme l’aimait la romancière Colette.

Vint ensuite Charlotte, la femme de chambre, qui chanta les beautés de la dentelle dont Ondine, la maîtresse de maison, était férue.

Accompagnée par une poupée en porcelaine costumée en vendeuse de violettes, Charlotte enchanta son auditoire et fut complimentée par la fée du printemps.

Le majordome, Lucien aux yeux noisette entonna un chant de sa Corse natale qui émut le public.

Quant à Ondine, fidèle à la légendaire Mélusine dont elle était la descendante, elle chanta les rivières argentées et les torrents qui abritaient génies et naïades.

Sous le charme, le public rêva de perles et de jolies châtelaines en robe parme et or.

«  Vous me rendez la tâche difficile dit la fée du printemps. Comment vous départager ? En vérité, vous méritez tous une palme, lyrique, picturale ou gastronomique. Je vous nomme donc lauréats de la violette parfumée, en bouquets, en onguents, en pastilles, en eau de parfum ou en poudre aromatique ».

Sur ces mots, la fée du printemps s’envola à bord de son char aux roues de violettes géantes, laissant derrière elle une pluie de diplômes, de vêtements diaphanes et de parfums délicats.

 

dimanche 29 janvier 2023

Un rayon captif


Enfourchant un rayon de lune à la faveur d’une éclipse, Johnny s’en est allé, traversant les cieux comme il le faisait jadis, d’un bout de scène à l’autre.

Chantant les refrains de ses plus belles chansons, il a illuminé le gigantesque travelling de ses amours.

Toutes les belles des temps passés ont été honorées et lorsque la page des souvenirs fut tournée, Johnny chanta l’amour à venir, le plus beau, le plus sincère et le plus passionné puis lorsque la belle l’eut rejoint, ses cheveux dénoués, flottant dans le vent, il regagna son nuage, apaisé et confiant : il serait à jamais le troubadour rocker de l’amour !

jeudi 26 janvier 2023

Mélancolie du jour



Les roses de mon cœur se sont envolées jusqu’au nuage où tu t’es retiré pour l’ourler de parfums et de pensées fleuries.

Sans doute trouves-tu mon absence bien longue, toi qui as passé le plus clair de ton temps à m’attendre, à la porte des lycées, sur les quais de gare ou les abris d’autobus lorsque ma profession m’infligeait des déplacements importants, Saint-Malo, Concarneau, La Guerche de Bretagne, Mauron, Saint-Meen-Le –Grand, Fougères, Quimper, Brest et tant d’autres villes que j’ai oubliées !

Ma peine s’envolait d’un coup lorsque je te voyais, au volant, m’attendant comme l’épouse aimée.

Aujourd’hui, je me prépare à te rejoindre car je sais que tu m’attends.

Je suis prête et comme le petit prince qui attendit un vol d’oies sauvages pour quitter sa planète, j’attends le vent de fleurs qui m’emportera jusqu’à toi.

samedi 14 janvier 2023

La rose des croisés



En consultant les archives de sa famille, Bérénice trouva des parchemins enluminés.

La rose des croisés apparaissait en lettres gothiques.

Apparemment, il s’agissait d’un titre thématique. Cette hypothèse fut confirmée par l’examen de dessins représentant des chevaliers arborant une bannière pourpre ornée d’une rose d’or.

Est-ce ainsi qu’il fallait se représenter la rose des croisés ? Bérénice parcourut les feuillets pour découvrir un texte révélateur.

«  Moi, Enguerrand de Bretagne, je quitte la terre sainte,  le cœur navré car j’ai laissé à Jérusalem l’amour de ma vie, Yasmina à la brune chevelure et aux yeux noisette soulignés par un fin trait de Kohl.

Je dois rejoindre mon épouse qui m’attend en notre château de Kerbiriou et je redoute nos retrouvailles.

Il y a si longtemps que je l’ai quittée pour aller guerroyer à la demande de mon suzerain que j’ai oublié son visage.

Celui de Yasmina, ma belle d’amour, est inscrit dans mon cœur qui bat à tout rompre lorsque je murmure son nom.

Elle a brodé une rose sur ma bannière et je lui ai juré d’édifier à mon retour un jardin d’amour où brilleront ces fleurs de passion qui m’enivreront de leur parfum ».

Le récit proprement dit s’achevait sur ces mots mais il était décoré de fleurs suaves dont on croyait percevoir les effluves délicats.

Selon la légende, Enguerrand de Bretagne avait confié à un jardinier de renom la conception de son jardin d’amour mais c’est son épouse Clotilde qui en avait bénéficié et non l’amour de sa vie, Yasmina à la chevelure étoilée de jasmin.

Clotilde avait assuré leur descendance en lui donnant trois fils et deux filles puis elle avait souhaité se retirer dans un couvent, l’éducation de ses enfants achevée.

Enguerrand aimait se promener dans le jardin et respirer le parfum des roses.

La subtile fragrance de ces fleurs d’amour lui permettait de revoir en rêve Yasmina, sa bien-aimée.

Un jour, il vit poindre à l’horizon une caravane.

Un cavalier de belle prestance arborait sa bannière brodée de la rose de ses amours.

Il se présenta comme son fils Azur et il lui offrit, de la part de sa mère Yasmina, une multitude de  cadeaux somptueux : vêtements en soie, tapis de laine, draperies de coton brodées d’or et surtout des matériaux destinés à l’embellissement de son jardin d’amour, vasques de marbre, fontaine, volière qui abriterait des oiseaux paradisiaques, des paons et autres volatiles gracieux.

Enguerrand accueillit ce fils d’orient avec les honneurs de son rang, lui présenta ses fils et ses filles.

Une bonne entente régna au château et lorsque les travaux ornementaux de son jardin furent terminés, le prince Azur reprit la route, emportant pour sa mère différents cadeaux de prix : une toile représentant son père, un miroir gothique, de la céramique et de la faïence, des émaux et des rouleaux de lin et de brocart.

De la vaisselle fine et des pots en étain, de l’ambre complétaient cette magnifique collection à laquelle Enguerrand ajouta des bijoux en or provenant de Tolède.

Les parchemins ne livrèrent aucun secret supplémentaire.

Contente d’avoir parcouru le palimpseste amoureux de son ancêtre, Bérénice fit encadrer les parchemins et en décora sa chambre.

Confiante en son avenir, elle attendit patiemment qu’un prince venu d’orient vienne à son tour brandir la rose des croisés sur une bannière pourpre au liseré d’or.

mercredi 11 janvier 2023

La chemise rose


«  Il ne lui manque que la chemise rose » disait abruptement Gilberte à son amie Olympe en désignant le mari de cette dernière, Alexandre qui avait, il est vrai, emprunté bien des travers au personnage central du film Alexandre le bienheureux : le travail, très peu pour lui et il comptait bien épingler chaque bonheur du jour à son tableau de chasse narcissique et dénué de morale.

Olympe revit en un éclair la scène qui l’avait conduite à cet absurde mariage voué à l’échec.

Le lieu de la rencontre était un grand café de la ville de Valenciennes, intitulé pompeusement Café de Paris où l’on mangeait d’excellents croque-monsieur à l’étage où elle aimait se détendre après sa journée de travail.

En ce temps-là, elle était accompagnée par deux amis ; l’un était un conteur poète et il adorait jouer les mentors à son égard et ne cessait de parler de mille riens dont il ferait par la suite l’essence de sa profession, intervenant à la télévision pour surprendre les spectateurs à l’aide de l’intrusion de lutins et autres créatures féeriques dans leur univers monotone. Par la suite, Pierre écrivit un dictionnaire de la féerie qui connut une grande vogue et se vendit fort bien en dépit de son prix onéreux.

L’autre ami était un peintre qui crayonnait de multiples esquisses de son visage : elle était sa muse du moment, son inspiratrice et il prétendait ne plus pouvoir peindre si elle n’était pas à ses côtés.

Soudain Olympe fut tirée de sa rêverie en apercevant un personnage dont elle se plut à dénombrer tous les travers ; il venait d’entrer dans le café et il était probablement en compagnie d’une femme bien qu’il ait pris la précaution de se démarquer du couple qu’il formait. C’était certainement une femme mariée et il tenait à ne pas la compromettre mais la ficelle était si grosse que l’on se rendait compte des liens charnels qui les avaient unis, l’espace de quelques heures.

Cet homme ruisselait de suffisance et de nullité spirituelle. Il appartenait à ce type d’homme reconnaissable entre tous à l’affichage de sa volonté conquérante de femmes appartenant à un profil interchangeable et monnayable.

Si Olympe le regardait avec un certain amusement ( je t’ai percé à jour et je ne tomberai pas dans tes filets ), il en allait de même pour le bellâtre qui vit en un éclair le profit qu’il comptait obtenir en s’adjuvant ses bonnes grâces.

Le feu croisé de leurs regards cessa immédiatement pour Olympe qui perçut la dangerosité de la situation et elle se tourna vers ses compagnons qui lui surent gré de son regain d’intérêt pour leurs personnes.

Par la suite, l’homme revint à différentes heures de la journée, seul cette fois et il établit, en bon chasseur, un calendrier des allées et venues du trio.

C’est avec une sorte de naturel qu’il vint à l’étage, commandant cafés et gourmandises comme tout un chacun.

Sous un prétexte fallacieux qui n’échappa à personne, il finit par se rapprocher du trio, feignant de s’intéresser aux esquisses de Francis.

Il ne regardait jamais Olympe mais se prétendait amoureux des dessins de Francis.

Enfin, un jour, il arriva au moment où Olympe était seule car il avait noté sur son calendrier personnel les rares moments où cela se produisait.

Il lui demanda fort poliment l’autorisation de prendre son café à ses côtés et révéla une facette inconnue de son talent en jouant les amoureux transis.

Par la suite, il multiplia les approches et un jour il déclara sa flamme à Olympe qui l’écouta sans sourciller car elle s’attendait à ce type de propos.

Cependant lorsqu’il évoqua la possibilité d’un mariage, elle devint songeuse car jusqu’à présent, on lui avait souvent conté fleurette sans jamais envisager une union en bonne et due forme.

Olympe demanda à réfléchir puis elle en vint à penser que l’aventure se présentait enfin à elle : la poursuite de son destin qui se devait de s’harmoniser avec sa personnalité s’avérait passionnée.

Elle accepta cette demande comme un dernier coup de poker et s’envola avec cet homme, Alexandre, vers la ville de Marrakech, la cité des Mille et une Nuits où elle avait toujours rêvé de se rendre.

Rendue au présent, elle se tourna vers Gilberte et lui sourit pour lui démontrer qu’elle ne lui en voulait pas de sa brutale franchise puis elle rejoignit Alexandre, son mari qui était à la fois son enfant, l’avatar de son ours en peluche et la caution d’une vie, la sienne, vouée à l’absurde et au déclin : cet homme l’avait en définitive sauvée d’une mort violente ou d’une dégradation lente et inexorable de sa destinée et lorsqu’elle mit au monde un enfant, elle sut qu’elle ne s’était pas trompée et se jura de défendre l’homme désarmé et honni de nombreuses personnes qui l’avait épousée, pour le meilleur et pour le pire.

dimanche 8 janvier 2023

Le rêve de Roxane


Dans un royaume consacré au théâtre vivait une jeune femme prénommée Roxane, comme l’héroïne de Cyrano de Bergerac.

Sa demeure était la réplique de la villa Arnaga où résidait Edmond Rostand.

Les recettes de sa pièce lui avaient permis de réaliser ce rêve, une demeure conçue dans le style basque avec de merveilleux jardins qu’il aimait arpenter en modulant des répliques théâtrales.

Ainsi faisait Racine qui se promenait dans les jardins parisiens en murmurant des vers destinés à une nouvelle pièce, ce qui l’autorisait à dire «  j’ai terminé ma pièce, je n’ai plus qu’à l’écrire ».

Les ambitions de Roxane étaient tout autres. Elle ne voulait ni écrire, ni jouer.

Elle voulait vivre simplement et connaître l’amour.

Mais en amour, il est une règle absolue, il faut accepter de plonger dans le labyrinthe de son destin.

Roxane n’était pas prête pour effectuer ce grand plongeon et lorsque l’amour vint à elle, elle ne le reconnut pas et erra longtemps dans le couloir  des amoureux d’opérette qui chantent un jour puis froncent le sourcil en prétendant s’être trompés.

Comme au théâtre, la vie réserve des surprises mais elles ne sont pas toujours heureuses et lorsque le rideau tombe, seuls les acteurs sont soulagés.

Que vive la vie, que règne le théâtre !

Roxane, notre belle des jardins de la villa Arnaga restera éternellement sur un banc à attendre l’amour masqué, au rythme des saisons, près de la fontaine de jouvence.