jeudi 5 janvier 2023

La poupée en robe de gitane

 


Dans un carton relégué sur une étagère contenant les invendus, une poupée de porcelaine en robe de gitane rêvait de s’évader et de se réfugier auprès de ses semblables, les gens du voyage comme on aimait les nommer.

L’opportunité de vivre une aventure lui fut donnée : Gipsy, stagiaire d’un jour dans un cadre scolaire, fit tomber la boite par mégarde.

Le couvercle s’ouvrit pour révéler la beauté inouïe d’une poupée richement vêtue de satin et de dentelles.

La poupée prit l’apparence de Gipsy, referma la boite, désormais vide et rangea le coffret sur son étagère après l’avoir époussetée.

Le soir venu, le cœur battant, elle partit chez elle après avoir noté soigneusement l’adresse qui figurait sur sa fiche.

Elle ne vivait pas dans une roulotte mais dans une maison cossue où l’attendait une maman affectueuse.

Gipsy en déduisit qu’elle avait certainement été adoptée, sa mère, blonde aux yeux bleus ne répondant pas aux critères habituels des gens du voyage.

Elle se comporta en fille aimante puis se dirigea vers sa chambre, guidée par un parfum d’enfance et d’innocence qui émanait de la pièce.

L’univers de Gipsy était conforme à celui qu’affectionnaient les adolescents de son âge.

Beaucoup de confort, des objets précieux, des livres et un bureau consacré au numérique.

Le dressing contenait des vêtements de marque et permettait d’affronter les intempéries ; la participation à des événements particuliers, anniversaires, bals costumés, soirées élégantes était possible grâce à un éventail de tenues les plus diverses et adaptées avec goût à chaque situation.

Les toilettes du quotidien, les tenues sportives n’étaient pas oubliées, bref c’était une penderie digne d’une princesse.

Gipsy-poupée prit un bain dans une salle réservée à son usage, choisit une robe habillée pour se présenter dans la salle à manger et dans l’attente du souper, s’allongea sur son lit et rêva.

Bercée par le trot des chevaux qui emmenaient sa roulotte sur les chemins sinueux de la route de la soie, Gipsy s’endormit pour s’éveiller sous la pression d’une main chaleureuse sur son épaule.

Un baiser sur le front lui fit prendre conscience qu’il était temps de réagir et de se comporter en fille obéissante : un bel homme brun, son père vraisemblablement, lui enjoignit gentiment de se rendre à la salle à manger pour le repas du soir.

Un goulasch délicieusement épicé la précipita à nouveau sur les routes de sa Hongrie natale et elle sourit en pensant que ce menu lui permettait de réaliser son rêve, retrouver les gitans de son enfance.

Des airs de Django Reinhardt étaient diffusés dans la pièce qui devint ainsi le cadre inespéré de son voyage intérieur.

Au dessert on servit des pâtisseries orientales et elle s’en régala sans retenue.

La conversation était réduite à son strict minimum : on n’éprouve pas le besoin de parler quand on est heureux et tel était le cas.

Le lendemain, Gipsy prit le chemin de l’école mais au détour du chemin, un nuage semblable à celui qu’affectionnait Django l’enveloppa et c’est avec surprise qu’elle se retrouva à nouveau enfermée dans une boite au fond d’un placard.

« Soit, se dit-elle, il me faudra attendre le prochain passage d’une écolière pour opérer un petit voyage et cette fois, j’espère qu’il me conduira en roulotte vers les routes de mes origines ».

La poupée se résigna à cette attente et depuis, elle attend qu’on vienne lui offrir une balade du souvenir.

 

 

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