Alors que Rose du Buisson Ardent régnait en maîtresse
absolue sur le cœur de son époux Jehan des Roselières, acquérant une dimension
altière qui n’était pas sans rappeler la magnificence de Dame Guenièvre, les
chevaliers Jocelyn de Rohan, Perceval d’Audierne et Benoît des Forges
s’approchaient de Fol Espoir en déployant leur bannière où apparaissaient
nettement les contours du ciboire sacré, le Saint Graal.
En découvrant le symbole de la pérennité du royaume, les
guetteurs furent si émus que certains en perdirent l’usage de la parole et
c’est sous forme de message illustré que Jehan apprit la nouvelle.
Il ordonna immédiatement que l’on prépare des festivités
hors du commun et que l’on décore l’oratoire de la chapelle qui attenait au
château.
Fleurs, lys et roses notamment, amour en cage et pensées au
cœur d’or, perles, rubis et diamants furent parsemés sur l’autel et les bancs
seigneuriaux ou chevaleresques.
Les dames ne furent pas oubliées : des coussins brodés,
dignes de la grande époque des cathédrales adoucirent la rugosité des chaises
hautes et des bancs qui leur étaient réservés.
Follement épris de Rose du Buisson Ardent, Jehan des
Roselières exigea un double capitonnage pour la chaise royale de son épouse car
il ne voulait en aucune manière qu’un élément extérieur vienne ternir la rose
intime et secrète de son corps, celle qui lui était exclusivement réservée.
Or, Rose du Buisson Ardent lui avait appris, dans un
souffle, que dorénavant ils seraient deux et tandis que l’humeur jalouse du seigneur
atteignait son paroxysme, elle ajouta bien vite qu’un fils habitait son corps
et s’emparait d’une moitié de son cœur.
Se maudissant d’avoir pu douter de sa dame, Jehan célébra
cette nouvelle en honorant la fleur de ses sources vives avec une infinie
tendresse et une douceur exquise.
Il interdit à sa dame d’entrer dans les cuisines, sauf pour
y choisir un aliment ou réclamer un plat dont elle pourrait avoir envie et il
souhaita que la couture, la broderie et la tapisserie soient ses uniques
occupations, comme il seyait aux dames de son rang.
« Finis les tourments d’amour à pâtisser, mon ange car
vous êtes mon unique tourment et je me meurs d’amour lorsque je suis en
vous !
Nous chercherons un nom qui soit le plus adapté à la beauté
de ce fils que vous me donnerez, ô ma Dame d’amour et s’il s’agissait d’une
fille, j’en serais tout autant enchanté et ému et nous lui offrirons le plus
beau des prénoms ».
Après cet intermède tendre, passionné et ardent, Jehan des
Roselières se prépara à recevoir les chevaliers du Saint Graal tandis que son
épouse, doublement chérie, brodait les premiers points de la rose d’amour
qu’elle destinait à leur premier enfant.
Jehan fit préparer la Table Ronde et convoqua les chevaliers
présents au château pour entendre le récit des aventures se référant au Saint
Graal.
Lorsque la petite troupe arriva au château, un voile de
brume s’abattit sur les tours, dispersant des étoles de soie tandis qu’une
musique céleste se faisait entendre.
Les hommes d’armes furent accueillis dans la salle qui leur
était réservée et on les débarrassa de leurs cuirasses.
De jeunes pages les aidèrent à redevenir des hommes de cour
en épargnant leurs corps meurtris et en leur apportant des vêtements agréables
à porter et flatteurs pour leur
silhouette virile.
Une collation leur fut ensuite servie.
Pendant ce temps, les chevaliers prenaient un bain et
revêtaient une tenue d’apparat.
Boissons et toasts leur permirent de trouver l’allant
nécessaire à un exposé de leurs aventures.
En pénétrant dans la salle du conseil, ils déposèrent
délicatement le ciboire sacré qui était enveloppé dans une mousseline brodée
d’anges et de cœurs sacrés de Jésus.
Chacun eut l’impression de voir voler des chérubins ailés et
l’on entendit à nouveau la musique céleste qui semblait provenir d’une harpe.
Jocelyn de Rohan félicita leur seigneur d’avoir eu l’idée de
se faire passer pour des chevaliers proposant une thèse qui serait présentée à
la Sorbonne, éliminant ainsi la méfiance inéluctable éprouvée par les dames
notamment à l’encontre des chevaliers.
Benoît des Forges qui avait dû faire réparer les fers de sa
monture, était resté quelque temps dans un hameau et il y avait fait la
connaissance d’une charmante jeune fille, Eglantine du Reposoir, ainsi nommée
parce qu’on l’avait trouvée, bébé, enveloppée dans un lange de laine au cœur d’un
buisson d’aubépines qui fleurissaient les murs d’un reposoir dédié à la Vierge
Marie.
Eglantine du Reposoir avait une beauté céleste qui provoqua
des ondes amoureuses dans le cœur du chevalier.
Il n’eut aucune peine à solliciter sa compagnie, prenant le
prétexte de l’étude de Chrétien de Troyes pour s’attarder auprès d’elle.
Afin de la rassurer, il prenait des notes.
La jeune fille avait une solide éducation littéraire car
elle avait été recueillie par le prêtre de la paroisse qui l’avait élevée avec
l’aide de sa gouvernante.
Il s’était chargé de l’instruire et comme elle avait l’esprit
vif, malléable et qu’elle aimait les études, il avait fait d’elle une véritable
érudite.
Qu’est devenu votre mentor ? osa lui demander Benoît
des Forges.
Hélas, mon pauvre ami, ce saint homme nous a quittés l’hiver
dernier. Il avait tenu à donner son manteau à un pauvre et si ce brave
nécessiteux survécut, ce ne fut pas le cas de mon bienfaiteur.
Benoît respecta le chagrin de la jeune fille et remit à plus
tard les questions qui lui brulaient les lèvres.
Pendant ce temps, Perceval d’Audierne s’attarda dans un joli
bourg cossu car le bourgmestre fit appel à ses services en sa qualité de
lettré.
Ils avaient reçu un document en latin et personne n’avait pu
le traduire.
Perceval se mit au travail et traduisit une page ont le
contenu lui fit battre le cœur. Il y était question d’un ciboire sacré, tant
recherché par le roi Arthur et ses chevaliers, que des moines avaient préservé
en le plaçant dans leur abbaye, sous la protection de Saint Alexis.
Perceval exultait mais il n’en fit rien voir.
Le bourgmestre tint à lui offrir l’hospitalité pour le
remercier.
On lui servit un excellent repas, des écrevisses en sauce,
un filet mignon en pâte feuilletée garnie de champignons, de châtaignes cuites
sous la cendre et épluchées finement, le tout parfumé à l’huile de noix et de
piments doux, une purée de topinambours et de panets adoucissant le goût
puissant de la viande.
Des ris de veau joliment accommodés finalisèrent la douceur
de ce repas qui se termina par un panel de fromages et des pâtisseries dont la
jeune fille de la maison, baptisée Violaine, était la spécialiste.
Elle vint présenter son chef d’œuvre, un gâteau dont les
couches fines de pâte étirée en forme de voile de mariée, passées au pinceau d’un
amalgame de beurre fondu, de sucre et de liqueur à la fleur d’oranger puis
cuites délicatement et saupoudrées de perles d’amandes, offraient un rêve
croustillant à la mode gasconne.
Perceval savoura cette délicieuse pâtisserie mais il ne put
s’empêcher de s’attacher à la silhouette et au beau sourire de la charmante
Violaine.
Rêvant d’en faire sa dame si elle l’acceptait pour époux, il
s’endormit dans un lit bassiné à la lavande et le lendemain, après un petit
déjeuner copieux et bon, servi par la belle Violaine, il prit congé de ses
hôtes.
Il réussit à glisser un mot doux dans la main de Violaine et
promit à tous de revenir promptement présenter ses respects et tenir la famille
au courant de l’avancée de sa thèse.
« Cher Perceval, votre mensonge vous sera pardonné
lorsque la belle Violaine et sa famille découvriront que vous êtes l’un des
chevaliers de la Table Ronde, dit Jehan. Mais venons-en au fait, voulez-vous » ?
Alors Jocelyn de Rohan raconta en peu de phrases la fin de
leur expédition.
Le hasard ou le destin m’ont conduit à l’abbaye de Saint
Alexis où des moines, épris des mystères du Saint Graal et admirateurs des
exploits des chevaliers de la Table Ronde m’ont conduit jusqu’à la crypte où l’on
gardait précieusement l’objet sacré.
Le père fondateur de l’abbaye promit de me remettre le Saint
Graal car, me dit-il, nous vivons des temps si tourmentés que ce serait un
péché de ne pas utiliser les dons sacrés du calice pour sauver le royaume.
Heureux de ce dénouement inattendu et inespéré, j’ai envoyé
un message à mes deux compagnons et c’est ainsi que nous avons pris la route du
retour, contents d’avoir mené si rondement la mission dont nous étions chargés.
La main de Dieu était sur vous, dit pensivement Jehan des
Roselières mais cela ne diminue en rien vos mérites et chacun de vous a agi
astucieusement.
J’enverrai une invitation à la jolie Violaine et à sa
famille.
Quant à Eglantine du Reposoir, je la doterai et en ferai, si
elle le souhaite, la dame de compagnie de ma reine, Rose du Buisson Ardent.
Elles nous donneront tout le bonheur que nous pouvons
attendre d’elles, par leur seule présence, leur beauté et leur talent.
Chacun partit alors le cœur léger.
Jehan des Roselières rejoignit sa belle épouse, lui fit part
de la décision qu’il avait prise, concernant la belle Eglantine du Reposoir.
Cette idée est excellente mon ami et nous ne serons pas trop
de deux pour élever le petit seigneur qui repose en mon sein.
Je la traiterai comme une sœur, une égale et elle me fera
part de ses lectures durant mes travaux de couture et de broderie.
Jehan des Roselières, au comble du bonheur d’avoir une
épouse si belle et si sage, brossa ses beaux cheveux, l’aida à dégrafer sa robe
d’apparat et ajusta sa chemise de nuit tout en caressant son beau corps,
doublement sacré désormais.