mercredi 31 mai 2023

L'aquarelle de Lola


Ophélie trouva une nouvelle activité pour Lola afin de briser le schéma de sa vie antérieure : la peinture.

Elle installa deux chevalets dans le jardin et posa sur une table des tubes de gouache, de l’eau, des pinceaux et une palette pour mélanger les couleurs.

Elle se représenta chantant et dansant devant un public attentif.

Lola comprit le message et se mit à peindre à son tour.

Sa toile achevée, Ophélie s’installa dans un fauteuil du salon de jardin et broda une robe de lin qu’elle avait cousue pour Lola.

Lorsque Lola posa ses pinceaux, elle alla voir la création de l’enfant et fut stupéfaite à la vue du tableau.

Une jolie maison occupait le centre de la toile. Dans le jardin, une coquette jeune femme soigneusement coiffée d’un chignon élégant faisait face à une autre femme, en guenilles, les cheveux épars et pieds nus, une ravissante poupée de porcelaine à la main. Elle semblait vouloir l’offrir à une petite fille, Lola reconnaissable à sa taille et son charme enfantin.

La personne considérée comme une intruse se tenait de l’autre côté de la clôture. Visiblement, la propriétaire de la maison lui en refusait l’entrée.

«  C’est maman Agnès dans le jardin. L’autre dame dit qu’elle est ma maman et elle veut me donner une poupée. Maman Agnès dit qu’elle va lâcher ses chiens si elle ne s’en va pas. Lola voudrait prendre la belle poupée mais maman Agnès se met à crier très fort et la dame s’enfuit.

Maman Agnès ouvre le portail et court derrière la dame pour la frapper. Alors Lola se sauve : elle voudrait rattraper la deuxième maman et prendre sa poupée mais elle se perd et se retrouve dans la forêt ».

Ce long récit offrit à Ophélie de sérieuses pistes de réflexion. Elle félicita Lola pour son joli tableau, en fit des copies et en offrit une au lieutenant de gendarmerie toujours preneur d’informations.

Elle résuma les propos de Lola, signa sa déclaration et laissa les officiels se charger de l’enquête.

On chercha une maison semblable à celle de la toile et une personne prénommée Agnès.

Quant à la dame en guenilles, tout le monde avait reconnu Aurore dite créature des bois et l’on était assuré à présent qu’il existait un lien affectif entre cette mère et son enfant.

On se demanda pourquoi Lola avait été confiée à cette dame Agnès et dans quelles conditions ce don d’enfant avait été réalisé.

Ophélie aurait aimé battre la campagne et chercher la fameuse maison et son occupante mais elle jugea prudent de ne pas brouiller les pistes et de rester auprès de Lola qui courait peut-être encore un danger.

Une fois l’affaire terminée, elle se promettait d’aller en Kabylie avec Lola pour retrouver la trace de ses ancêtres.

Elle était certaine que dans ce pays de montagne et de maquis, elles trouveraient la paix et l’expression d’un art nouveau qu’elles propageraient ensuite dans le monde.

«  Je suis sûre qu’Aurore aurait approuvé ce choix. Elle aimait sa fille mais pour des raisons qu’il faudra découvrir, elles avaient été séparées jusqu’à la mort de la pauvre mère.

Il nous faudra aussi retrouver la poupée de porcelaine pour que l’âme d’Aurore soit totalement apaisée ».

Françoise avait préparé un savoureux plat régional, l’andouille de Cambrai et chaque convive s’en régala comme il se doit.

«  Nous aurons ensuite à découvrir la gastronomie orientale, couscous, méchouis, tajines et pâtisseries délicates à base de miel et d’amandes mais en attendant, faisons honneur à ce plat picard qui révèle l’âme pastorale de cette région » conclut Ophélie qui chanta ensuite une berceuse à l’enfant-artiste que le destin avait mise sur son chemin.

mardi 30 mai 2023

La cagnotte


Honteux de s’être comportés comme des goujats envers une malheureuse à la destinée tragique, les hommes qui l’avaient connue se réunirent à l’estaminet «  Les joyeux drilles » pour envisager des réparations.

Autour de bocks de bière, l’idée de constituer une cagnotte leur vint aisément.

«  Si elle n’a pas de sépulture décente, il nous appartient de la lui donner » dit l’un d’eux et chacun approuva cette décision.

«  Elle est venue mourir là où nous avons péché et je propose que l’on fasse dire des messes pour le repos de son âme » ajouta celui qui avait le plus à se repentir de ses excès.

Charles, le patron de l’estaminet qui suivait malgré lui le fil des conversations promit d’offrir la recette du dimanche, la plus gratifiante, pour étoffer la cagnotte.

On parla beaucoup, on se raconta des anecdotes et chacun de se dire qu’ils auraient dû, à l’époque, se poser des questions au lieu de profiter grossièrement d’une aubaine malsaine.

«  C’est un peu comme si on lui avait jeté de la boue au visage à chaque rencontre furtive, expédiée comme un besoin pressant » dit Orlando, le plus jeune, honteux de son comportement d’amant fougueux et exigeant. Héritier de la brasserie fondée par ses grands-parents, il annonça solennellement la création d’une cuvée spéciale « Aurore » dont la vente bénéficierait automatiquement au fonds constituant la cagnotte.

« S’il y a un reliquat, ce sera pour la petite Lola proposa Hugo, le littéraire dévoyé. Quelque chose me dit qu’elle pourrait être la fille de celle que nous avons souillée. Avant de devenir ce qu’elle était à nos yeux, une souillon dont il fallait profiter, Aurore avait dû être très belle. Je m’en étais fait la réflexion en la renversant sur un tapis de mousse. Ses yeux m’apparurent alors comme deux fragments d’étoiles tombés sur la terre et il me semble que la petite Lola a le même regard ».

Une éditorialiste déguisée en gitane s’enrichit de toutes ces conversations en jouant de l’éventail et le lendemain on put lire dans La Voix du Nord en guise de manchette : «  Le repentir des joyeux drilles ».

Chacun pensa que la constitution d’une cagnotte était une excellente idée et le prêtre de la commune s’engagea à faire des funérailles d’Aurore un hommage rendu à son martyre.

lundi 29 mai 2023

La créature des bois

 


Tandis qu’Ophélie s’ingéniait à ouvrir l’esprit de la petite Lola de toutes les manières, à la gendarmerie de Maroilles, on continuait à mener l’enquête pour connaître l’identité de l’enfant et en savoir plus sur la raison de sa présence dans la forêt de Mormal.

Des rondes avaient lieu dans la forêt : on recherchait des indices, des témoignages au hasard des rencontres.

Un jour, leur ténacité fut récompensée par une découverte : une femme en guenilles, au bord de l’agonie, gisait près d’un chêne.

Transportée aux urgences, elle décéda peu après. Son dernier mot « Lola » intrigua le lieutenant de gendarmerie et il y vit un signe du destin.

Un photographe d’art réalisa post mortem un cliché de la malheureuse. Grâce à d’habiles retouches, il effaça les stigmates de la douleur et donna à la femme l’apparence d’une personne en vie.

De cette manière, on put proposer aux habitants de Maroilles une photographie convenable voire attrayante.

Un homme la reconnut : «  C’est la créature des bois » ! On lui demanda de préciser le sens de la métaphore.

Selon ses dires, cette femme connue sous l’appellation « créature des bois » était une aubaine pour les hommes en quête de proies faciles.

Elle se pliait à toutes les exigences et ne réclamait rien en échange.

Des hommes avaient pitié de son dénuement et lui donnaient de l’argent ou lui offraient quelques babioles qu’elle acceptait  en toute simplicité.

Puis elle avait disparu, laissant les amateurs d’ébats érotiques pantois et déçus.

Un autre homme se souvint qu’avant de devenir la créature des bois, elle avait été une très jolie jeune femme, cultivée et pleine de charme. Un homme prestigieux lui avait promis le mariage mais le jour de la cérémonie, il ne se présenta pas à l’église.

La mariée délaissée, Aurore Esteban avait cisaillé sa jolie robe de dentelle qui s’était rapidement transformée en guenille et c’est à dater de ce jour maléfique qu’elle avait sombré progressivement dans la folie et la dépravation, devenant la créature des bois qui s’offrait à tous, même les plus repoussants.

Nantis de ces renseignements précieux, identité, dérive d’une femme frappée en plein cœur, les gendarmes fouillèrent les archives et firent parler le fichier informatique à partir de la donnée Aurore Esteban.

La mariée ne figurait pas au fichier et les registres de l’église où devait se dérouler la cérémonie ne portaient pas la mention de son nom.

Par contre, un renseignement précieux leur vint du médecin légiste qui avait pratiqué l’autopsie de la malheureuse : L’ ADN avait parlé. Cette femme perdue était la mère biologique de Lola.

Le lieutenant de gendarmerie, par courtoisie, convoqua Ophélie et lui révéla l’information en lui demandant de n’en parler à personne.

«  Il nous faut savoir, à présent, ce qu’a fait la présumée Aurore Estaban après avoir accouché de cette petite fille qu’elle n’a pas élevée pour une raison qu’il nous faudra découvrir » conclut-il.

Songeuse, Ophélie regagna Les Bleuets, décidée à choyer une petite fille aussi marquée par le destin.

dimanche 28 mai 2023

Ophélie mène l'enquête


Heureuse de garder Lola aux Bleuets, Ophélie décida cependant de mener une enquête dans l’intérêt de l’enfant.

Lola se contentait la plupart du temps de mimiques en signe d’approbation ou de refus. Sa maîtrise du langage n’étant pas assurée, Ophélie eut l’idée de recourir au chant et à la danse comme mode d’expression.

Elle dansa, pieds nus en s’accompagnant de sa flûte de Pan et elle eut la surprise de voir Lola la rejoindre en respectant le tempo. Son petit visage était illuminé par la joie et elle dansa jusqu’à en perdre le souffle.

Le lendemain, Ophélie chanta a cappella et c’est avec plaisir qu’elle vit le bonheur envahir le visage de la petite fille. Elle composa un refrain qui lui était destiné :

«  Colombes du Djurdjura, venez jusqu’à moi pour enchanter Lola ». Cette phrase lui avait plu car elle la chanta en esquissant un pas de danse.

Par la suite, Ophélie engagea une conversation sur le mode chanté et elle obtint une réponse : «  Lola est partie pour ne pas être punie ».

Au fil des chansons et des danses, Ophélie finit par se faire une idée du mode de vie de Lola. Apparemment, sa famille avait une maison isolée dans la campagne. Sa fuite avait été provoquée par un drame qui semblait effrayer l’enfant à sa seule évocation.

Ophélie mit un terme à ces investigations déguisées, craignant que la petite fille ne revive l’épisode douloureux de sa vie.

Elle opta pour les danses joyeuses et les chants magnifiant la beauté de la nature.

Elle enseigna à petites doses la lecture, l’écriture, le solfège et le dessin à la petite fille qui progressa avec une étonnante facilité.

Pour l’initier de manière ludique aux Fables de La Fontaine, Ophélie les lui fit apprendre en s’appuyant sur la version chantée de Patrick Topaloff.

L’air de la fable Le loup et l’agneau était si entraînant que Lola l’interpréta avec forces mimiques en courant dans le jardin.

«  Cette petite a le don du théâtre » se dit Ophélie et elle en vint à la conclusion suivante : certes, elle n’avait pas progressé dans son enquête de manière formelle cependant elle était certaine que Lola avait une intelligence supérieure à la moyenne.

Dans le milieu où elle avait vécu, on avait étouffé ses facultés mentales. Elle se tenait correctement à table, avait le sens de l’hygiène et appréciait les jolies robes et les beaux décors.

Par ailleurs, pour une raison inconnue, elle avait été privée de contacts avec le monde extérieur et son esprit était resté en friche.

« Quelle est la clef de ce mystère ? à nous de le découvrir » conclut Ophélie en se promettant d’atteindre son objectif.

samedi 27 mai 2023

Lola


Au réveil, la petite fit honneur au petit déjeuner préparé par Françoise. Elle mangea des tartines grillées au miel et but un grand bol de chicorée au lait.

Ophélie chercha dans son armoire les vêtements de son enfance soigneusement entretenus par sa grand-mère et jeta son dévolu sur une jolie robe rose à rubans et des souliers vernis. Elle baigna l’enfant et l’habilla de neuf avec les effets du souvenir.

L’enfant la remercia avec effusion.

Blottie dans ses bras, elle put seulement dire qu’elle se prénommait Lola.

Aux questions concernant ses parents et sa présence solitaire dans la forêt, elle se montra incapable de donner une explication.

Ophélie fit une déposition à la gendarmerie et sollicita l’autorisation de garder l’enfant jusqu’à ce que l’on retrouve sa famille.

Lola fut photographiée, un avis de recherche fut lancé et des affiches furent placardées dans le village et les environs.

Un article relatant brièvement les faits connus parut dans le quotidien régional La Voix du Nord et chacun put ainsi prendre connaissance de la présence d’une fillette dans le village de Maroilles.

Pour corser la recherche, la journaliste préposée aux faits divers titra : «  Le mystère de Maroilles », soulignant le fait que la commune réputée pour son fromage possédait à présent un intérêt supplémentaire, la recherche de l’identité d’une enfant et sa présence troublante en pleine forêt.

La Voix du Nord doubla ses ventes et procéda à un nouveau tirage. L’article qui paraissait en cinquième page passa à la une et l’on tâcha de se procurer des photographies inédites de la petite Lola.

Des fouilles furent organisées en forêt de Mormal à l’endroit où l’enfant était apparue. On ne trouva rien de notable si ce n’est un fragment de la chemise déchirée.

Un homme se présenta à la gendarmerie en prétendant être le père de Lola. Il était vêtu comme un comédien ambulant et portait un accordéon en bandoulière. Sa carte d’identité, outre son nom Orlando Figuras mentionnait sa profession en phase avec son apparence : artiste de rue.

Il affirmait que Lola s’était enfuie lors d’un spectacle qu’il donnait à Douai en marge des fêtes de Gayant.

« Où est sa mère » ? demanda le brigadier chargé de l’enquête mais l’homme donna une réponse évasive.

On présenta cet homme à Lola derrière une vitre mais elle ne le reconnut pas.

Malgré ses protestations on pria l’individu de ne pas insister et il lui fut spécifié de rester dans un secteur restreint pour pouvoir le joindre si besoin était.

La journaliste chargée du fait divers put ainsi titrer : «  A Maroilles, le mystère reste entier » !