dimanche 30 novembre 2014

La route des parfums





Face à sa psyché, la belle Maroussia aux cheveux blonds nattés, piqués de roses minuscules, de bleuets et de pavots, aperçoit dans un reflet un petit chemin qui serpente pour mener à une rivière.
Elle ferme les yeux et se trouve instantanément sur les bords du mince filet d’argent où s’ébattent sarcelles et oies cendrées.
Elle s’assied au bord d’un bel arbre robuste aux fruits colorés et perçoit des parfums venus de toutes parts, de la cannelle, du musc, de la fleur d’oranger, du jasmin et une profusion de roses qui s’étirent en un tapis qu’elle emprunte pour explorer la route des fragrances. Pèlerinage fleuri, c’est une cascade itinérante qui s’offre à ses yeux éblouis.
Sur les ailes d’un ange, elle parcourt des pays divers et bigarrés. Son âme sœur s’arrête enfin auprès d’un mausolée face à la mer qui scintille.
Un dauphin lui lance des appels au large. Elle choisit une barque et avec ce descendant du héros qui sauva le poète Arion de la noyade, elle navigue jusqu’à ce qu’une île s’offre à ses yeux émerveillés.
Elle embrasse le dauphin et met pied à terre sur l’île où elle trouve bientôt de quoi mener une retraite fructueuse : une grotte nacrée où l’attend une pyramide de fruits et un empilement de galettes encore chaudes. Un pichet de vin grec lui redonne des forces et après ce repas savoureux, elle s’enroule dans une couverture de laine angora et s’endort en rêvant qu’une brigade de fées veille sur son sommeil.
À son réveil, elle trouve à nouveau de quoi passer une bonne journée, des œufs miroir, de la brioche, des jus de fruits et une galette épaisse couverte de fromage de chèvre.
Elle se baigne dans un jacuzzi presque naturel et revêt une longue robe de lin brodée de fleurs des champs.
L’île est si merveilleuse qu’elle y reste de longs mois. Elle a d’ailleurs trouvé quelques livres et de quoi écrire.
Elle se lance dans un ouvrage mi- poétique, mi fantastique et voit le temps passer dans  une rêverie bleue où se blottissent des anges.
Son livre achevé, elle reprend la route des parfums mais un orage la propulse soudain dans sa chambre initiale, face à sa psyché qui dorénavant se poudre d’or et d’étoiles et tous les parfums de la terre surgissent des moindres recoins de sa demeure et elle se sent déterminée à leur écrire un blason original pour renouer avec les rêves de l’occident !

vendredi 28 novembre 2014

Le palais de jade





Mon amour, ma beauté, ma princesse en sabots, je veux te faire passer outre miroir dans mon palais d’orient avec mon faste et ses rêves…
Mon palais ressemble à ceux des villes impériales, il est en jade et sera l’écrin de ta splendeur lorsque tu porteras de magnifiques toilettes ou que tu évolueras, ornée de roses, près des bassins parfumés où voguent les lotus.
Je veux que ton bonheur soit total et que la volupté soit ton quotidien. Pour atteindre ce but, tu seras aidée par un luxe insolent.
Des rivières de perles sortiront de l’onde pour s’enrouler autour de ton corps dont je serai le servant et le roi, moi, ton amant, à l’amour éternel !

jeudi 27 novembre 2014

La princesse Mimosa





Dans sa balancelle florale, la princesse Mimosa lit et écrit des poèmes d’amour. Ils lui viennent spontanément par vagues parfumées et ces fragrances merveilleuses lui font tourner la tête.
Elle l’imagine avec tant de force et d’émotion, son beau prince aux yeux d’orient, aux cheveux noirs et au torse nimbé de nacre irisé qu’il surgit à ses côtés et l’enlace fougueusement tandis que s’envolent livres, poèmes et écritoire.
Moi qui passais par-là, désœuvrée et désenchantée, j’ai ramassé ces précieux objets et je les ai emmenés dans mon pavillon d’amour, près des oiseaux et j’ai repris la plume pour raconter par le menu les aventures de la princesse Mimosa à qui je prête intelligence et courage d’aimer à perdre la raison.
Consumée par cet amour torride, la princesse Mimosa a décidé de tout quitter, ses richesses, son palais pour suivre le bel inconnu à la cape de rêve mais alors qu’elle s’apprêtait à le suivre au bout du monde, il s’est dissous dans un nuage bleuté, laissant la princesse à sa balancelle et ses rêves d’amour fou que les oiseaux transmettent aux jeunes filles isolées, éprises d’idéal et de grand ciel bleu où vogue l’écume des passions oubliées et chantées au fil du temps.
La complainte de la princesse Mimosa s’y joint et devient un opéra de l’amour éternel.

mercredi 26 novembre 2014

La princesse Rose-Jasmin





Dans un palais lointain érigé près d’une oasis aux eaux limpides, naquit une jolie petite princesse aux joues roses et à la peau si veloutée que l’on croyait effleurer des pétales de jasmin sous la caresse du doigt.
Tenant compte de ces extraordinaires qualités, sa mère la nomma Rose-Jasmin.
En grandissant, la petite princesse resta fidèle à la quintessence florale de ses origines. Quelque peu espiègle et vive, elle aimait beaucoup l’atmosphère des cuisines, admirant l’adresse des femmes qui pétrissaient la pâte à pain, réalisant parfois des croissants aux amandes, des gâteaux au miel et d’élégantes cornes de gazelle. La viande et les légumes cuisaient dans les bassines en cuivre tandis que la semoule, éparpillée sur un drap, gonflait sous l’action d’une eau salée avant de terminer une cuisson dans le haut du couscoussier après avoir été savamment beurrée.
Les pigeons aux amandes servis en pastillas l’enchantaient.
Or un jour, alors que toutes les cuisinières du palais s’adonnaient à l’élaboration de plats raffinés, ajoutant des entremets à la rose à la gamme des desserts habituels, la princesse disparut.
On eut beau l’appeler, personne ne répondit. En fait, Rose-Jasmin avait été enlevée par un cavalier vêtu de noir alors qu’elle cueillait quelques fleurs au bord de l’eau.
Le cavalier chevaucha longtemps avec la princesse couverte d’un burnous de laine en croupe.
Ils arrivèrent à une forteresse sombre qui séparait la lande sauvage d’une forêt d’épineux en arrière-plan.
Le cavalier porta la princesse endormie dans une chambre gothique où dominait le noir et appela une servante pour qu’elle guette son réveil.
En ouvrant les yeux, Rose-Jasmin crut qu’elle avait été plongée dans un mauvais rêve mais hélas ! il n’en était rien. La servante avait un visage avenant, ce qu’elle interpréta comme le signe solaire de son paradis perdu. Ellen la conduisit dans une salle de bains convenable et l’aida à prendre un bain parfumé. Elle lui offrit une jolie tenue d’intérieur, un kimono où abondaient cerisiers en fleurs, pivoines et oiseaux exotiques. Elle enfila des babouches puis Ellen la coiffa avec dextérité. Ensuite elle actionna une cloche d’argent et le petit déjeuner fut apporté par une jeune paysanne aux tresses blondes. Potage, œufs pochés, tartines grillées enduites de miel et breuvage odorant, du lait à la fleur d’oranger lui rappelèrent les bons jours du palais de son enfance.
Enfin un homme apparut. C’était le cavalier de la veille. Il avait revêtu un habit de velours cramoisi qui jurait avec ces vêtements noirs qu’elle lui connaissait.
« Ma chère Rose-Jasmin, mon enfant, sois la bienvenue dans le château de ton père ! Tu dois te demander pourquoi tu me vois pour la première fois. Eh bien, sache qu’un différend m’a opposé à ta mère avant ta naissance. Le bruit de ta beauté m’est venu jusqu’en ces terres lointaines et j’ai souhaité te connaître. Tu recevras  ici une éducation soignée, notamment l’étude de la musique, de la poésie et de l’art équestre car ici on se déplace essentiellement à cheval ».
Après ces paroles, le maître des lieux tourna les talons et laissa la fillette pensive.
Quel dommage que mes parents se soient ainsi opposés, pensait-elle ! Qui pourra me dire l’objet de leur dispute ? Au palais, on ne m’a jamais parlé de lui.
Voyant le joli front de Rose-Jasmin s’assombrir, Ellen proposa une découverte du château.
Elle se vêtit d’une robe de velours rose brodée d’oiseaux célestes, chaussa d’élégantes sandales et jeta un châle de laine sur ses épaules avant de suivre la dévouée Ellen.
Ce fut une enfilade de pièces sombres où seules les lueurs de feux allumés dans les cheminés jetaient des notes lumineuses. Une porte de chêne était condamnée et lorsque Rose-Jasmin demanda ce qu’il y avait dans la pièce, Ellen répondit qu’elle l’ignorait !
Ce détail mis à part, la journée se déroula sans bruit. Le maître des lieux était parti aux dires des domestiques et il avait recommandé à chacun d’accomplir les moindres souhaits de sa fille.
Rose-Jasmin prit ses repas seule dans une salle à manger imposante. Pâtés en croute, blancs de volailles cuits dans une sauce crémeuse avec un accompagnement de légumes et enfin gelées de fruits et biscuit léger se succédèrent dans un service parfait.
Le soir, on servit du potage, des crudités et du fromage qui provenait, lui dit-on, d’une bergerie située dans la lande.
Les heures égrenées durant l’intervalle des repas furent charmantes offrant à la princesse des festivités telles que danses, déclamation de poésies et acrobaties.
Le soir, Rose-Jasmin se retira dans sa chambre, revêtit une jolie tenue de nuit brodée de rose et de jasmin pour lui rappeler qu’elle était bien la maîtresse des lieux.
La nuit fut paisible et le lendemain, après le bain, le petit déjeuner et la coiffure de ses longs cheveux, Ellen lui tendit une tenue d’amazone.
Son père l’attendait au pied du château avec un magnifique poulain à la robe blonde et aux yeux de velours.
« Voici Fils du Vent lui dit le châtelain et il sera ton meilleur ami si tu parviens à le dompter ».
Rose-Jasmin effleura l’encolure du Fils du Vent et se sentit immédiatement adoptée.
Par la suite, elle apprit à monter et devint rapidement une excellente cavalière, au grand plaisir de son père.
Sa vie évolua au fil des jours. Elle pensait beaucoup moins aux fleurs et aux plats gastronomiques du palais et s’accoutumait aux paysages austères de son nouvel environnement.
Cependant dans le palais de ses origines, on ne renonçait pas à retrouver la princesse et chaque piste était explorée avec soin.
Des peintres firent des portraits et on les porta partout, sans résultat.
Personne ne se souvenait d’avoir aperçu fugitivement une semblable beauté.
Le temps passa, la reine mourut et l’on oublia l’héritière. Des conflits naquirent au sein du palais car des personnages de haut rang prétendaient à la gouvernance du royaume. Il y eut quelques assassinats mais finalement un jeune prince d’une branche écartée fut appelé à prendre la pouvoir par un conseil de sages. Or il se trouvait que ce jeune prince, Célestin, était un ami d’enfance de Rose-Jasmin. Ils aimaient se cacher au bord de l’eau et jouer comme les grandes personnes à mille petits riens.
Pressé de se marier, Célestin répondit qu’il n’épouserait personne d’autre que Rose-Jasmin car elle vivait en lui depuis leur enfance.
Les recherches reprirent de plus belle. Comme elles étaient toujours négatives, Célestin prit la tête d’une escorte et partit à la recherche de l’aimée après avoir confié la gouvernance du palais à son oncle.
Au fur et à mesure qu’ils avançaient, ils recueillaient des indices sur l’enlèvement. Un vieil homme parla d’un voleur d’enfants qui n’en était pas à son premier coup. Loin de se douter de ces faits, Rose-Jasmin parcourait la lande fleurie de bruyère sur sa belle jument Fleur de Rêve, dernier cadeau de celui qu’elle prenait toujours pour son père.
Cependant un détail ne cessait de l’intriguer, cette porte close dont nul ne savait ce qu’elle cachait. Un jour, elle osa aborder le sujet avec le maître des lieux mais elle vit luire dans son regard des éclairs meurtriers de sorte qu’elle renonça à vouloir en savoir plus, son père ou supposé tel ayant observé un mutisme total.
Outre les promenades à cheval, elle s’adonnait à la musiques et pratiquait le chant et la harpe celtique, instrument en harmonie avec les paysages sauvages de son royaume. Elle semblait devoir succéder à son père car on la traitait en châtelaine, à commencer par son maître de lecture et d’écriture.
Un livre la passionnait tant il s’apparentait à sa propre histoire : Les Hauts de Hurlevent à un détail près, elle était l’unique enfant du château, du moins le croyait-elle.
Or un jour, les énigmes s’estompèrent car le maître des lieux tomba malade. On dut le déshabiller pour le porter dans son lit.
Une petite clef en or tomba de son gousset et comme il était inconscient, Rose-Jasmin la prit, comptant bien la lui rendre lorsque son état de santé se stabiliserait.
Mais il n’en fut rien et le maître du château mourut avant d’avoir repris connaissance.
Rose-Jasmin prépara des obsèques conformes à son rang et reçut du personnel allégeance et déférence.
Tout ayant été réglé, la jeune fille se souvint de la petite clef en or. Le cœur battant, elle s’approcha de la porte condamnée et l’ouvrit avec précaution.
Une silhouette fantomatique se précipita à ses pieds. Rose-Jasmin la releva et la prit dans ses bras puis elle appela à l’aide.
La fidèle Ellen accourut et les deux femmes transportèrent l’évanescente créature dans une chambre spacieuse, presque identique à celle de la princesse.
Ellen convoqua des femmes de chambre, lingères et préposées aux bains et lorsque les soins furent terminés, on vit émerger une femme à la fragile beauté, une rose d’automne qui jetait ses derniers feux.
On lui apporta un repas léger avec une dominante de brioches et de chocolat chaud mais la jeune femme qui avait dû subir un jeûne forcé pendant la maladie du maître des lieux et qui, du reste, avait certainement été habituée à manger peu, le maître étant le seul à s’introduire dans sa chambre de recluse, picora à la manière d’un oiseau   puis s’endormit dans les bras de Rose-Jasmin qui l’avait délivrée de sa longue nuit.
Les jours suivants, Rosine, tel était son prénom, reprit des forces et des couleurs. Ellen jura à sa maîtresse qu’elle ne l’avait jamais vue et pour cause : le personnel du château était entré au service du Seigneur peu de jours avant son arrivée et elle avait trouvé étrange qu’aucun serviteur ne soit resté à son poste. Ils s’étaient tous mystérieusement volatilisés et lorsqu’un valet osa demander ce qu’il y avait derrière la porte fermée à clef, il fut chassé sans ménagement de sorte que personne ne posa plus la moindre question.
Rose-Jasmin avait voulu un petit potager et une volière d’oiseaux divers, pigeons, cailles ainsi qu’un magnifique poulailler où s’ébattaient poules, coqs, paons et autres volatiles merveilleux.
Elle emmena la jeune Rosine voir le potager, ce qui la mit en joie. Comme une enfant, elle respira l’odeur du laurier, de la verveine et elle s’extasia devant la rondeur des potirons.
La jeune maîtresse demanda du potage de potimarron pour les jours suivants tant Rosine avait semblé en extase face à ces géants de la terre.
Alors que la jeune recluse retrouvait force et beauté, Rose-Jasmin se livra à une enquête qui lui semblait essentielle. Après avoir convoqué un peintre à qui elle commanda le portrait le plus ressemblant de Rosine, elle se mit en devoir d’explorer des appartements qui étaient toujours fermés à clef du vivant de son maître, ceux de son supposé père.
L’ensemble des pièces était agréable mais sans luxe notoire. Une armoire contenait des vêtements. Il y avait là toutes les tenues du maître des lieux et plus étrange encore, toutes celles qu’elle avait portées, y compris les vêtements du passé avec la fameuse cape de laine qui l’avait protégée du froid lors de la chevauchée qu’elle soupçonnait à présent d’être scélérate.
Cette hypothèse lui sembla confirmée lorsqu’elle examina le contenu d’une bibliothèque. Il y avait peu de livres. Par contre une abondance de carnets de dessins lui sauta aux yeux. Les carnets les plus récents abondaient en représentations de sa personne, notamment des croquis qui la montraient en plein sommeil. C’était l’œuvre d’un voyeur ! D’autres carnets étaient réservés à Rosine ! Elle était venue au château lorsqu’elle était une charmante enfant. Ensuite elle semblait avoir été aussi gâtée que Rose-Jasmin, équitation en moins. Les derniers croquis étaient cruels : on voyait une jeune femme aux grands yeux égarés. Apparemment, elle avait cessé de plaire et n’était plus qu’une pauvre démente qu’il fallait cacher.
De nombreux carnets montraient d’autres enfants, toujours des filles et leurs prénoms avaient la déclinaison de la rose en tous ses états, Rosa, Bouton de Rose, Lys-Rose et tant d’autres que Rose-Jasmin eut une sorte de vertige.
Elle replaça les carnets, ne gardant que les siens et ceux de Rosine afin de les lui confier pour qu’elle retrouve sa famille.
Il n’y avait aucun doute à ce sujet, elles avaient eu affaire à un voleur d’enfants, maniaque avec l’obsession des roses et de la beauté !
Avec l’énergie qui la caractérisait, Rose-Jasmin décida de ne pas ébruiter tous ces ignobles secrets et présenta à tous les serviteurs du château un visage serein avec une ombre de mélancolie que tous assimilèrent à la douleur du deuil.
Un ermite vivait dans la lande. Il était réputé pour sa sagesse c’est pourquoi Rose-Jasmin lui rendit visite et lui demanda comme un service de rendre la parole à Rosine et de l’aider à se construire une personnalité.
Rose-Jasmin et le druide convinrent d’entretiens en tête à tête trois fois par semaine. La jeune héritière accompagnerait Rosine sous escorte et elle attendrait dans la clairière de l’ermite que la séance de rééducation ait pris fin pour reprendre le chemin adverse.
À ce rythme, Rosine redevint la belle jeune fille qu’elle avait été avant de déplaire à son tyran.
Or, un soir, alors que tous revenaient au château, l’escorte de Célestin croisa les jeunes femmes et les soldats en armes qui entouraient la voiture attelée des précieuses passagères.
Rose-Jasmin demanda à l’homme de belle prestance qui était le chef de l’escorte de venir lui donner le motif de la traversée de ses terres. À la vue de Célestin, elle ressentit un certain trouble et soudain un voile se déchira : elle se revoyait enfant, courant dans les bosquets des jardins du palais, elle revit sa mère si aimante, les cuisines où elle adorait mettre la main à la pâte, façonnant des aumônières à la crème et goûtant les plats de semoule sucrés.
Célestin se retint de la prendre dans ses bras car elle était bien telle qu’il l’avait gardée dans son souvenir, l’amour de sa vie, avec une qualité supplémentaire, une aura quasi royale.
Tout le monde entra au château et la maîtresse des lieux commanda des mets dignes d’un prince.
Chacun s’affaira et en attendant les jeunes gens se réunirent dans un boudoir où on leur servit des beignets d’acacia et de la limonade. Les soldats prirent leurs quartiers, heureux des retrouvailles de leur seigneur avec l’élue de son cœur.
Lorsque le repas fut prêt, on convia des dignitaires de l’escorte et chacun put se régaler d’agneau farci aux dattes et de tajines de légumes où abondait le citron confit.
Des hanaps de vin rouge et de muscat circulèrent ainsi que des bocks de limonade ou de cervoise blonde. Des desserts variés où dominaient oranges et citrons verts accompagnant des jattes de crème épaisse et des choux caramélisés plurent énormément et ces recettes furent applaudies par les convives, à la grande joie des cuisiniers qui avaient donné le meilleur d’eux-mêmes pour plaire à leur princesse.
Après ces festivités, Célestin et les dignitaires furent conduits dans des chambres confortables tandis que tous les soldats étaient logés dans un pavillon adjacent.
La nuit porta ses fruits, déployant des voiles bleus pour Célestin qui se sentait plus que jamais persuadé que la belle Rose-Jasmin passerait ses jours à ses côtés.
De son côté, l’un des dignitaires, et non des moindres avait été charmé par la diaphane beauté de Rosine.
Les jours suivants passèrent comme un rêve, les deux couples princiers se détachant de l’ensemble des guerriers du royaume.
Rosine avait retrouvé la beauté éclatante de son adolescence et les épreuves traversées lui avaient donné une grâce auréolée d’une mélancolique splendeur.
Rémy, le dignitaire amoureux, mit un point d’honneur à accompagner la jeune femme chez l’ermite et il arriva que ce dernier prononce ces mots : « Ce que la maltraitance lui a ôté, l’amour le lui a rendu » puis il unit les mains des jeunes gens à qui il offrit sa bénédiction et un anneau sacré.
De retour au château, le couple se comporta comme s’ils étaient fiancés, ce qui causa la joie de tous. Rosine était au comble de sa beauté et elle n’avait plus rien de la jeune femme égarée, trouvée derrière une porte hermétiquement close.
Rose-Jasmin passa de longues heures à la cuisine car elle souhaitait mettre la main à l’élaboration d’un menu de fête et c’est en pétrissant la pâte et en façonnant des roses en pâte d’amandes qu’elle eut un nouveau flash de son enfance : elle se revoyait, goûtant les plats des cuisiniers et fabriquant de petits gâteaux simples nommés langues de chat avec l’aide de sa nourrice. Elle revit, dans la même séquence, le beau visage de sa mère et contempla avec attendrissement les parties de cache-cache dans les buissons du parc avec son ami Célestin.
Tout était clair, lumineux : sa vie était ailleurs. Elle devait renouer avec son passé et ses origines.
C’est avec une certaine tendresse qu’elle regarda désormais Célestin, le véritable trait d’union de son existence puisque le prince avait fini par lui révéler le décès de la reine, sa mère, et son élévation au rang de prince du royaume.
Les deux amants se jurèrent fidélité et convinrent qu’ils partiraient après les noces de Rosine et Rémy.
Un autre bonheur attendait Rosine. Un comte venu d’un royaume lointain se présenta au château, revendiquant la paternité de la belle Rosine qui lui avait été enlevée alors qu’elle jouait dans le parc de son castel. On avait envoyé des portraits de Rosine dans tous les territoires car Rose-Jasmin était certaine que la guérison de cette pauvre victime tenait à la dentelle de sa mémoire.
Chacun reconnut l’autre et le père reconnaissant remercia la princesse d’autant plus qu’elle déclarait offrir le château à la jeune femme pour le prix de ses souffrances.
Le mariage fut magnifique et l’on vit défiler des plats somptueux, de la mousseline de brochet ou de poulet selon les goûts des invités, des ailes de volaille en gelée entourées d’œufs mimosas, un agneau rôti à la broche et une ronde de desserts où alternaient génoises enrobées de ganache, pyramides de fruits confits et enfin, pour couronner le tout, un magnifique gâteau de mariage enrichi d’un glaçage royal et orné de dragées et de roses en pâte d’amande, le tout couronné d’un couple de mariés en sucreries si beau que personne n’osa le manger.
Après ces festivités, fidèles à leur promesse, Célestin et sa princesse s’éclipsèrent à l’aube avec leur escorte et s’en furent vers la voie princière du bonheur.