Un étrange enlèvement

Lorsque le nuage noir enveloppa le petit prince et son attelage, l’enfant entendit une voix cristalline qui tentait de le rassurer.

« Ne crains rien, petit prince, nous ne te voulons aucun mal, bien au contraire ».

La lumière du jour lui révéla ensuite que son univers avait changé. Un palais de cristal l’abritait dorénavant.

La fée des sources l’accueillit chaleureusement et lorsqu’elle prit la parole, le prince identifia la voix cristalline qui l’avait rassuré lors du passage du nuage noir.

«  Cher enfant, nous t’avons enlevé à ta famille et à l’élue de ton cœur, Pétale de cerisiers en fleurs, si bien nommée, pour assurer ton existence. Nous avons appris en effet que des êtres malfaisants s’apprêtaient à t’enlever pour te tuer. Le conseil féerique des forces du bien a donc décidé de t’enlever et de te donner l’éducation princière qui te revient. Tandis que tu t’épanouiras dans ce palais, nous mènerons les combats nécessaires pour détruire ceux qui ont ourdi ce complot. Lorsque tes jours ne seront plus en danger, tu pourras rentrer dans ton royaume ».

La fée des sources Ondine confia l’enfant à une nourrice dotée de quelques pouvoirs magiques afin qu’elle entretienne avec le prince des rapports empreints de sagesse et de tendresse.

Ophélie, la nourrice, prit l’habitude de raconter chaque soir un joli conte pour que son protégé pénètre dans le royaume des songes par une porte pleine de charme.

Le jour, le prince recevait des cours de sciences de la nature, de littérature, de poésie et de mathématiques. Un précepteur nommé Rossignol lui dispensait ces bases du savoir puis il apprenait à l’enfant l’art du chant, du piano et du violon.

Grâce aux bienfaits de cette instruction porteuse d’espoir, le prince Amour ne souffrit pas de son exil.

Il n’oubliait pas ses parents ni son amie de cœur et chaque soir, il fixait une étoile en formant le vœu de les revoir.

Andromède, son professeur d’escrime, d’équitation et de natation contribuait à lui assurer un équilibre parfait. La maxime latine «  Mens sana in corpore sano », à savoir «  Un esprit sain dans un corps sain » trouvait son application harmonieuse dans l’éducation du prince.

Pendant ce temps les forces du bien traquaient les esprits malfaisants qui en voulaient à sa vie.

La lutte fut longue car ces criminels en puissance avançaient masqués et brouillaient les pistes en arborant un visage débonnaire et rieur.

Une fois identifiés, ces personnages rendaient leur neutralisation difficile grâce à leurs puissants réseaux et à leur richesse.

La guerre d’usure menée par les forces du bien toucha à son terme lorsque le dernier criminel en puissance disparut de cette terre au terme d’un combat épique.

La fée des sources apprit alors à son filleul qu’il pouvait désormais regagner son royaume et elle l’informa de la présence de Pétale de fleurs de cerisiers sur les lieux de leurs rencontres enfantines.

« La suite, vous la connaissez et Pétale de fleurs de cerisiers vous la contera mieux que moi » dit le prince en conclusion.

La veillée se termina sur ces paroles lumineuses et chacun regagna sa chambre en rêvant à des lendemains dédiés à l’amour.

Féerie oblige !

Les efforts conjugués de la fée Viviane et d’Aladin ne produisant aucun effet on finit par se résigner à l’absence prolongée du prince Amour.

La reine était persuadée que son fils était en vie grâce au cheveu apporté par un rossignol le soir des recherches.

Elle ne sombra pas dans le désespoir et convainquit son époux de prendre patience. Le prince leur serait rendu lorsque la force spirituelle qui le maintenait prisonnier se serait dissipée.

L’exploration de la grotte n’avait donné aucun résultat si ce n’est la présence d’indices prouvant que ce lieu préhistorique avait été habité.

On y trouva une fibule en argent, un peigne en nacre et un collier de perles.

Aladin rapporta ces objets au palais et il lança un avis détaillé dans tous les royaumes connus afin de les remettre à leur propriétaire. Cet avis n’eut aucun retour.

Viviane et sa suite d’elfes et de fées prirent le chemin de Brocéliande. La Dame du Lac promit de rester aux aguets et de collecter tous les indices qui conduiraient sur la piste du prince.

Le temps passa. Soraya mit au monde des jumeaux, un garçon qu’elle prénomma Florian et une fille à qui Aladin donna le joli nom d’Aurore.

Les enfants grandirent. On leur parla peu de leur frère pour ne pas les attrister et on les surveilla étroitement.

Ils apprirent à monter à cheval et lorsqu’ils se promenaient dans le domaine, ils étaient toujours escortés par une demi-douzaine de guerriers.

Pétale de fleurs de cerisiers devint une jolie jeune fille et elle fut courtisée.

N’ayant pas oublié les serments enfantins échangés avec le prince Amour, elle refusa poliment toutes les demandes en mariage et vécut avec l’espoir de voir réapparaître celui à qui elle avait donné son cœur.

Elle lut passionnément tous les livres relevant de la féerie car elle était fermement persuadée que la clef de l’énigme appartenait à une fée.

Ces lectures contribuèrent à lui donner une aura mystique et dans la région on lui attribua un don de voyance.

Elle fit construire une maison accueillante et modeste près de la hutte de pêcheurs où le prince Amour et elle-même avaient joué et s’étaient promis de vivre unis par les liens du mariage une fois devenus grands.

Dans sa demeure baptisée Refuge des fées, elle recevait des personnes en peine.

Refusant tout mode de paiement, elle invoquait la déesse des eaux qui lui était familière et retrouvait l’époux, l’enfant ou l’animal disparus avec une incroyable facilité.

Un soir, alors que la lune se mirait dans l’étang endormi, un homme enveloppé dans une cape de bure se présenta à elle, le visage masqué.

D’une voix mélodieuse, il interpréta une ancienne chanson où les mots « étang chimérique », « amour fou » et « perles d’eau douce » étaient étroitement liés.

Pour lui répondre sur le même ton, Pétale de fleurs de cerisiers se découvrit une voix de soprano et improvisa un chant où les mots « Printemps », « Fleurs de cerisiers », « Pétales » et « Amour » répondaient en écho au chant quasi magique de l’inconnu.

«  ô mon amour, ma bien-aimée, pétale de fleurs de cerisiers que je n’ai jamais oubliée, tu as rompu le charme qui me retenait prisonnier en trouvant l’improbable association de mots que le génie des eaux attendait pour me libérer.

Rejetant sa cape et ôtant son masque, le prince Amour car c’était bien lui apparut, vêtu d’une tenue d’apparat qui lui conférait une incontestable prestance majestueuse.

Ils prirent le chemin du palais et firent le bonheur du roi et de la reine qui avaient toujours rêvé du jour où ils retrouveraient leur enfant.

La veillée fut longue et chacun écouta passionnément le récit de celui qui avait disparu, un jour de promenade, dans sa calèche d’enfant.

Le prince Amour

Dans le domaine royal chacun guettait l’apparition quotidienne du prince Amour. Il était si beau dans sa calèche tractée par des moutons mérinos, riant aux éclats et saluant chaleureusement les habitants venus à sa rencontre.

Or un jour, un nuage noir apparut à l’horizon et lorsqu’il se dissipa, force fut de constater la disparition du prince et de son attelage.

Des battues furent menées rondement mais elles s’avérèrent négatives.

« Un mauvais génie l’aura enlevé soupira Soraya. Aux yeux de quelques puissances nuisibles une grande beauté semble un défi jeté à leur personne ». Aladin approuva son interprétation et tous deux firent appel à la Dame du Lac, la fée Viviane pour qu’elle leur apporte son soutien.

Dans cette attente, les recherches redoublèrent.

Une petite fille sanglota à l’annonce de la disparition du prince. Pétale de cerisiers en fleurs, la fille du prince Volodia et de la princesse Falbala, nourrissait un amour enfantin pour le prince Amour, ce qui semblait être réciproque.

Soraya convia la petite fille au palais ainsi que sa maman et à leur arrivée, elle embrassa tendrement son ancienne dame d’honneur, fit servir des rafraîchissements, du thé et des gâteaux avant de poser quelques questions relatives à son fils.

Où les enfants se rencontraient-ils en secret était en substance l’interrogation fondamentale.

Elle promit, serment à l’appui, de ne pas trahir leurs amours enfantines mais elle pressa la petite fille de dire ce qu’elle savait afin que l’on retrouve son fils sain et sauf.

Pétale de cerisiers en fleurs accepta de conduire la reine à l’endroit précis où ils avaient coutume de se rencontrer pour parler à cœur ouvert.

Un attelage conduisit les dames et l’enfant au bord d’un étang. Une hutte de pêcheurs fut explorée. On y retrouva des colliers de fleurs que le petit prince confectionnait pour l’élue de son cœur.

Matin Bonheur, le bichon de la reine flaira le colliier et s’engagea sur un sentier qui aboutit à une grotte.

La reine décida sagement de ne pas l’explorer car elle pouvait peut-être abriter des êtres malfaisants.

Le trio regagna le palais.

Soraya combla la petite fille et sa mère de présents avant de les renvoyer sous bonne escorte dans leur foyer.

Informé de la source nouvelle, Aladin constitua un groupe de combattants, prit la tête de la milice et partit à la conquête de la grotte.

Sur ces entrefaites, la fée Viviane parvint au palais, escortée par des elfes et des fées spécialisés dans l’art de la recherche.

Après les rafraîchissements d’usage, elle confia à son commando féerique la tâche consistant à ramener le prince Amour en sa demeure.

Ceci fait, Viviane demanda l’autorisation de se retirer dans ses appartements car le poids des ans se faisait sentir en dépit de ses pouvoirs surnaturels.

Demeurée seule Soraya tenta d’alléger son angoisse en brodant un gilet qu’elle destinait à son fils.

Tandis que ses doigts agiles entrelaçaient des roses brodées de fils d’or, son esprit vagabondait, empruntant des chemins féeriques.

Un rossignol pénétra par une fenêtre, lui apportant un cheveu qu’elle reconnut pour appartenir à la jolie chevelure bouclée de son fils et ce don lui apparut comme le signe évident de sa future délivrance.

 

Un mariage royal

La reine apparut dans une fabuleuse robe en dentelle et douze petites demoiselles d’honneur portaient la traîne qui ondulait à la manière d’une oriflamme.

Fidèle à la tradition familiale, Aladin était coiffé d’un turban où étincelait un énorme rubis dont le flamboiement rejaillissait sur son costume pourpre et or.

Leur union fut scellée par l »enchanteur Merlin et à l’issue de la cérémonie, des elfes et des fées lancèrent des pierreries, des nougats et des perles dans la foule recueillie et joyeuse.

Le banquet était somptueux. Des oies rôties, des vol-au-vent farcis de cèpes et de ris de veau poêlés, du boudin aux pommes, des charlottes garnies de gelée de groseille, décorées de pralines et de roses sucrées attendaient les convives.

Ces derniers ne boudèrent pas leur plaisir et chacun se régala selon ses goûts, faisant glisser ces mets savoureux à l’aide de boissons rappelant les dons de la nature, vin de groseille ou de rhubarbe, crus du Sud-Ouest, cervoise, cidre ou carafes d’eau de source.

Ensuite, comme de coutume, on dansa et l’on dit qu’il se murmura des serments d’amour lors d’une mazurka.

Un prince russe, coqueluche de ces dames, dut se résoudre à s’en remettre au sort pour départager les danseuses qui mouraient de désir dans la perspective d’une valse langoureuse.
Admirateur de Fédor Dostoïevski, le prince Volodia rêvait d’être un avatar du prince présent dans le roman L’Idiot. Il croyait revivre, lors de cette soirée, le déchirement éprouvé par le prince Léon Nikolaievitch Muichkine, partagé entre deux passions, Nastasia Philipovna, la jeune femme perdue et l’adolescente Aglaé, jeune fille de bonne famille, qui lui donnait un rendez-vous sur un banc au clair de lune.

Volodia choisit finalement une jeune femme dont la sage beauté  lui apparaissait comme le garde-fou d’une vie aventureuse. Les phrases qu’ils échangèrent lors des mouvements lents imprimés à dessein étaient de qualité et c’est ainsi que Falbala, ex poupée de la Belle Époque, entra dans la vie du prince pour ne jamais en sortir.

Un feu d’artifice colossal clôtura cette journée mémorable et le couple de mariés s’éclipsa lors d’un clin d’œil lunaire pour connaître les délices de l’amour.

La nuit fut féconde en retrouvailles parmi les danseurs et lorsque les musiciens, l’archet rompu, quittèrent la scène, il y eut un flamboiement de désir qui parcourut l’échine des élus.

Des enfants furent conçus cette nuit-là et c’est ainsi que le prince Amour vit le jour, neuf mois après le mariage de ses parents, la reine Soraya et le prince Aladin.

 

Un Aladin des sables

Un visiteur du royaume de Soraya frappa les esprits par son entrée spectaculaire : il arriva sur un tapis volant !

Émule d’Aladin, il descendit gracieusement de son engin légendaire et se dirigea vers le palais de la reine.

La belle Soraya reçut cet hôte de marque avec apparat.

Un succulent repas lui fut servi : couscous royal, pâtisseries orientales, cornes de gazelle, gelée de roses et sablés aux figues notamment.

Des musiciens firent une entrée remarquée en jouant de l’oud et des danseuses exécutèrent une chorégraphie choisie, ondulant des hanches au rythme de la musique.

Aladin mit à profit un moment particulièrement choisi pour offrir une magnifique théière en argent à son hôtesse.

«  Ne vous attendez pas à ce qu’il en sorte un génie dit-il plaisamment à la reine, ce type d’apparition est passé de mode » !

Soraya reçut l’information avec le sourire et elle commanda à sa dame d’honneur de préparer le thé dans ce magnifique présent.

Alors que Soraya et Aladin esquissaient un pas de deux romantique, un dragon surgit dans les jardins du palais et cracha des flammes qui se propagèrent rapidement, dévorant une partie de la végétation avant de s’attaquer au palais.

Aladin s’empara d’une cruche, murmura une formule magique et monté sur son tapis volant courut éteindre le feu en versant de l’eau inépuisable grâce à la magie du verbe. Puis il dégaina le sabre qui ne le quittait jamais et défia le dragon qui préféra s’envoler pour des palais plus accessibles.

De retour auprès de la reine, Aladin lui demanda sa main, ce qui lui fut tout de suite accordé.

Déjà sensible à son charme, Soraya avait à présent la certitude que son royaume serait dorénavant épargné par les calamités et les attaques guerrières.

On annonça leurs fiançailles qui furent grandioses et annonciatrices de temps nouveaux florissants.