vendredi 25 février 2022

Longs doigts fuselés

 



Longs doigts fuselés modulant les arpèges de sa guitare, cheveux ondulant au rythme d’un déhanchement savamment orchestré, dans un costume de scène savamment étudié, soigné et original, Johnny a marqué son époque en s’imposant comme le meilleur et le plus aimé.

Héritier du folksong américain, du blues du Mississippi mais aussi en droite ligne du music-hall, filleul de Maurice Chevalier, roi de Ménilmontant, de Paris et de New-York ainsi que de la Môme Piaf, il a fait jaillir les roses de la beauté des pavés tortueux des petites rues, à l’image de sa vie, oscillant entre le Noël des enfants et les étoiles de la scène, son berceau originel.

Indestructible et d’une beauté légendaire, traversant les années avec élégance, se jouant des rides comme autant de ruisseaux d’argent, il nous a éblouis de son talent, de sa force et de ses épousailles avec nos destinées.

Puis, un jour, comme le petit prince, il s’est envolé en suivant une étoile, celle du berger et depuis, nous attendons son retour, le cœur palpitant sous la soie de nos rêves.

mercredi 23 février 2022

Sur la harpe de tes mains

 



Sur la harpe de tes mains, j’ai joué les arpèges de l’amour et un rossignol s’est posé sur mon épaule.

Nous sommes partis vers les bois bleus du souvenir, cueillant çà et là violettes et primevères ou des pensées à visage féminin.

Près de l’étang des merveilles, je me suis assise sur un tronc d’arbre moussu et j’ai écouté le chant des grues revenues s’installer dans nos landes.

J’ai observé la ronde des sarcelles et des cygnes puis je me suis assoupie au pied de l’arbre d’or, unique témoin des fracas de la chevalerie.

Et c’est au moment où je me sentais si seule et si désespérée que tu m’es apparu, dans ta splendeur légendaire, un livre à la main recouvert de velours, chantant les éternelles amours bretonnes qui se sont vrillées en mon cœur ardent.

mardi 22 février 2022

Fleur de bruyère ( épilogue )

 



Drapée dans son fourreau de soie bouton d’or protégé par une cape en satin gorge de pigeon, une loupe à la main et un monocle rivé sur l’œil droit, Fleur de bruyère s’en fut par les chemins à la recherche d’un indice lui permettant de trouver la piste d’un enfant perdu, Emmanuel, dix ans.

Elle aimait apparaître aux yeux de tous sous l’apparence d’une jeune femme excentrique car ainsi, pensait-elle, personne ne lui accorderait trop d’importance et de cette manière, on parlerait sans retenue et il lui suffirait d’octroyer à chaque témoignage la place qui lui revenait.

Fidèle à une tradition littéraire et baroque, elle collecta de précieux indices et pensa qu’en se dépêchant elle aurait des chances de trouver l’enfant vivant.

Elle fit halte dans une chaumière qui lui servait de point de repli, se changea, troquant sa tenue extravagante contre une salopette campagnarde et des chaussures de marche. Les cheveux noués sous un fichu de bergère, elle partit en direction d’un château où devait être retenu l’enfant selon les témoignages recueillis au cours de sa route.

On cherchait une plongeuse en vaisselle fine dans ce château digne de Barbe Bleue. Elle postula, se livra avec excellence à un essai et reçut le tablier adéquat à cette fonction ô combien périlleuse car, dans ses mains, de la porcelaine fine et de l’argenterie sans oublier des verres de cristal devaient retrouver leur éclat.

Comme dans toutes les grandes maisons, la cuisine bruissait comme une ruche, chacun se trouvant à sa place pour parfaire le service gourmand et raffiné élaboré par un grand chef, Alexandre de Malestroit, breton auréolé de prix nationaux, dont celui de l’aumônière garnie qui satisfaisait les gourmets les plus pointilleux régnait  sur des brigades aguerries avec charme, courtoisie et exigence du meilleur.

Lors de sa présentation, Fleur de bruyère avait opté pour le nom de Flora et c’est sous cette identité que l’on s’adressait à elle.

Sa supérieure, grand officier en vaisselle fine lui recommandait sans cesse de faire attention à la vaisselle qu’elle devait rendre étincelante : «  Que rien n’attire l’œil des habitants du château de manière défavorable car je suis habituée aux compliments » lui disait-elle sans relâche.

Un soir, le chef l’enlaça sans autre forme de procès en lui murmurant des mots doux : «  Ma petite Flora, si tu te glisses sous mon édredon de plumes d’oie brodé de canards et de fleurs de nénuphar, tu auras vite de la promotion ». Interdite, Fleur de bruyère ne savait comment se débarrasser de l’importun mais fort heureusement, Dame Angélique, sa supérieure avait oublié son parapluie et elle surgit dans l’office à point nommé.

Le chef bredouilla de vagues excuses et s’en fut, tout contrit.

Dame Angélique n’était pas dupe de son manège, elle adressa un clin d’œil complice à Flora et lui proposa de la raccompagner dans sa chambre.

En chemin, elle lui confia qu’elle avait choisi le prétexte du parapluie, nullement oublié car elle connaissait les petits travers du chef. «  Je l’avais vu traîner dans sa cuisine alors que tout était terminé et rangé, c’est pourquoi je l’ai soupçonné de vouloir courir le guilledou car il n’a de cesse d’accrocher les rubans d’une nouvelle conquête au pommeau de sa canne d’argent ».

Flora remercia sa supérieure avec effusion car on ne chasse pas un grand chef sans y mettre les formes.

«  Dorénavant ne restez jamais seule et si vous n’avez pas terminé votre ouvrage, placez ces porcelaines, cristaux et argenterie dans une petite armoire dont je vous confie la clef » lui dit-elle en guise de conseil .

Flora la remercia avec effusion et lui demanda, à brûle pourpoint, s’il n’y avait pas d’autre  secret qu’elle eût à connaître.

Dame Angélique l’assura qu’il n’en était rien et Flora s’enhardit jusqu’à lui demander s’il n’y avait pas d’enfant au château.

Sa supérieure hésita puis lui confia sous le sceau de la confidence qu’un petit garçon était arrivé récemment au château et qu’il logeait auprès du régisseur du domaine.

Nul ne l’avait vu et des serviteurs triés sur le volet s’occupaient de son train de vie : il était nourri et logé comme un prince si bien que l’on se demandait s’il n’en était pas un.

Flora, heureuse de voir sa piste se confirmer et ravie de savoir que l’enfant était encore en vie, parla de la douceur du soir pour ne pas paraître trop curieuse puis les deux dames se quittèrent en s’adressant des adieux chaleureux.

Les jours suivants, Flora prit garde à ne pas rester en tête à tête avec le chef mais un soir, ce dernier lui donna un ordre auquel elle ne put se soustraire : «  Ma petite Flora, demain soir j’aurai besoin de votre service exclusif car je dois cuisiner pour un hôte peu ordinaire, en l’occurrence, un enfant et vos conseils me seront utiles dans la mesure où vous êtes ici la représentante du monde de l’innocence et de l’enfance par votre jeunesse et votre beauté. Demain dans la matinée, vous laisserez votre poste à la vaisselle fine et vous me rejoindrez dans mon laboratoire de cuisine pour choisir et cuisiner les plats appropriés ».

Le cœur battant, après avoir sollicité de Dame Angélique l’autorisation de quitter son poste habituel, ce qui lui fut accordé, Flora se dirigea vers le laboratoire personnel d’Alexandre de Malestroit.

Ce dernier était plongé dans un livre de recettes illustrées et cochait celles qui lui semblaient les plus gourmandes et les plus audacieuses.

Un Vol au vent de crevettes à la nage baignant dans une sauce Aurore avec un émincé de champignons ouvrait la marche de subtiles préparations dont chacune était un enchantement des yeux et certainement des papilles.

Flora retint une farandole de légumes joliment taillés, poire de terre, potimarron, chou rouge ou panais fleurant bon la noisette ainsi que des suprêmes de poulet.

Elle tailla les légumes, les ciselant avec amour et elle sentait parfois sur sa nuque le souffle chaud du chef qui ressentait un désir charnel à son endroit.

Il s’essuyait du revers de la serviette brodée à ses initiales dont il se servait pour parader à la fin du service et n’y tenant plus, il entraîna celle dont il voulait faire sa dernière conquête dans le garde –manger des mets les plus raffinés qui étaient constamment à sa disposition pour ses hôtes les plus délicats.

Cette fois, ce fut un enfant qui mit fin aux pratiques harcelantes du chef. Alors qu’il tentait de dénouer les cordons du tablier de Flora savamment noués par ses soins, l’enfant surgit dans l’antre de la gourmandise, curieux de savoir quel était le gâteau d’anniversaire qu’on lui préparait.

« Prince Emmanuel, vous ne devez pas nous quitter ainsi » dit sa nourrice tout essoufflée.

Docilement, l’enfant quitta la pièce et repartit avec la personne chargée d’assurer son confort.

Flora nota que le profil de l’enfant correspondait à celui que l’on recherchait. Cependant le titre de prince l’étonna car l’enfant disparu était le fils unique d’un couple modeste, mère brodeuse et père bûcheron.

Alexandre de Malestroit en fut quitte pour la peur d’être une fois de plus dénoncé pour mauvaises pratiques vis-à-vis de ses employées et il demanda à Flora de bien vouloir l’excuser.

Flora acquiesça, espérant que dorénavant elle n’aurait plus à craindre ses foucades.

Ils travaillèrent à l’élaboration d’un gâteau fabuleux qui devrait rester dans la mémoire du prince Emmanuel.

Le chef fut satisfait du résultat : le gâteau était absolument magique.

C’était une pyramide florale avec des éléments en pâte d’amandes. On disait que le prince aimait beaucoup les fleurs et qu’il tenait cet engouement de sa défunte mère dont les broderies fleurdelisées faisaient l’admiration de tous.

« Vous avez un prénom qui est bien choisi pour votre emploi » dit Alexandre de Malestroit et la jeune femme profita de sa bonne humeur pour l’interroger avec délicatesse sur la vie du petit orphelin.

Sa mère ayant disparu à la suite d’un brusque refroidissement, le roi, son père s’était montré inconsolable et le petit prince avait vécu loin du château dans les dépendances réservées au personnel.

Récemment, le roi avait eu honte de son comportement et il avait fait revenir son fils auprès de lui, s’étonnant simplement de le trouver plutôt gai et peu désireux d’entendre parler de sa mère.

«  Voilà qui est bien étrange » se dit Flora en prenant le chemin du logement qui lui était attribué.

Elle se promit d’en apprendre davantage en interrogeant habilement les membres du personnel qu’elle côtoyait.

Flora redevint Fleur de bruyère en se changeant dans sa chambre à coucher. Face à sa psyché, elle rectifia les détails de sa toilette, décora son corsage d’un énorme camélia rose qu’elle avait cueilli dans l’allée du jardin et se mit en devoir de composer une hypothèse plausible à partir des éléments épars et parfois contradictoires dont elle disposait au sujet de l’enfant.

L’hypothèse la plus convaincante fut qu’il y avait eu une substitution d’enfant et que le petit Emmanuel que l’on cherchait partout avait pris la place d’un petit prince qui portait le même prénom et qui lui ressemblait étrangement.

Pour quelle raison le véritable prince avait été remplacé par cet enfant venu de la campagne et pourquoi le petit campagnard ne réclamait-il pas sa mère et son père ?

Décidée à résoudre l’énigme, Fleur de bruyère redevint Flora et elle résolut d’affronter le chef qui devait en savoir plus qu’il ne le disait et elle rêvait également de pouvoir parler à l’enfant.

Afin de l’attirer, elle cuisina un cœur coulant au chocolat, le décora de fleurs de mimosa en sucre et de roses en pralin.

Elle se dirigea vers l’atelier de cuisine et eut l’immense chance de croiser l’enfant en chemin.

Il fut ravi du cadeau inattendu et embrassa spontanément la jolie femme qui avait si bien su combler ses désirs.

Assis sur un banc, ils formaient un duo des plus charmants.

Lorsqu’il eut terminé le délicieux gâteau, elle le questionna sur sa vie, prétextant le souhait de réaliser un autre entremets dont il ferait ses délices.

Elle apprit ainsi qu’il était tombé dans la forêt en trébuchant sur une souche et qu’il avait perdu la mémoire jusqu’au moment où il s’était retrouvé dans une ravissante chambre pleine de jouets fabuleux. «  Chacun m’a nommé Prince Emmanuel et j’ai pensé que cela devait être mon identité ».

Flora qui dessinait admirablement esquissa une silhouette et la présenta à l’enfant : «  Maman » s’exclama-t-il !

Alors Flora-Fleur de bruyère lui révéla que c’était bien sa mère «  ses yeux sont rougis à force de larmes » précisa-t-elle.

«  Je veux la revoir ainsi que mon père, si bon, si courageux » dit l’enfant plein d’espoir.

Fleur de bruyère prit rapidement sa décision et sans vouloir en apprendre davantage, elle prit la main de l’enfant et tous deux s’enfuirent en direction de la forêt.

Désireux de ne pas être repris par une escorte du château, la jeune femme et l’enfant allaient bon train, sans se retourner.

Ils arrivèrent à bon port et Fleur de bruyère fit savoir que l’enfant était de retour, sain et sauf mais qu’il faudrait être patient car il avait vraisemblablement reçu un choc, physique d’abord qui s’était ensuite mué en trouble psychique.

Lorsque les parents se présentèrent chez Fleur de bruyère, cette dernière avait pris soin de préparer des douceurs : tarte au citron bergamote, cœur coulant au chocolat praliné et boissons à base d’orangeades et de citron attendaient que l’on se décide à les déguster et les savourer.

Fleur de bruyère avait revêtu un kimono de cérémonie et elle s’empressa de préparer du thé à la bergamote pour que la fête des retrouvailles soit complète.

On put ainsi reconstituer l’itinéraire de l’enfant perdu et les raisons de sa disparition.

Emmanuel avait voulu faire une surprise à sa mère en se rendant dans la forêt pour y cueillir des pervenches, des jacinthes, du muguet et des violettes : il en ferait des coiffes et des couronnes car il adorait transformer les fleurs en objets de désir.

Il trébucha sur une racine qui était dissimulée dans l’herbe et reçut sur la tête une branche qui l’assomma.

Lorsqu’il reprit ses esprits, il avait tout oublié, y compris son nom.

Il était entouré par des personnes en livrée et costume de serviteur ; on l’appela Prince Emmanuel et on l’informa qu’il avait reçu un choc en se promenant dans la forêt.

Son père lui apprit-on était veuf et à dater de cet instant, il se familiarisa avec les lieux qui étaient charmants et appartenaient à son domaine.

On lui apprit avec délicatesse que son père ne souhaitait pas le fréquenter car apparemment sa naissance avait provoqué la mort de la reine.

Fleur de bruyère ne douta pas d’avoir la clef de l’énigme : l’enfant royal était certainement mort peu de temps après le décès de sa mère et les employés du château avaient tu le triste événement au père infortuné.

Or, le roi s’était décidé à faire du petit prince un futur roi aguerri aux arcanes du pouvoir.

Un chasseur ayant trouvé un enfant évanoui dans la forêt, chacun décida de tirer profit de son amnésie pour présenter un prince à son père et c’est ainsi que le petit Emmanuel qui par chance portait le même prénom que l’enfant royal s’était habitué à son statut.

Chacun au village félicita Fleur de bruyère de ses judicieuses déductions et l’on recommanda au petit Emmanuel de ne plus jamais s’aventurer seul dans la forêt, fût-ce pour préparer une surprise pour sa chère maman.

«  Mon cher enfant, la plus belle des surprises, c’est toi » dit sa mère en l’embrassant affectueusement.

Le roi fut informé de l’identité du petit garçon qu’on lui avait présenté comme étant son fils mais il décida, avec sagesse, de ne pas punir son personnel, pensant qu’il était le premier coupable : rejeter son fils était indigne !

Il opta pour une solution digne d’un roi en organisant un grand bal.

Lors de ce bal, il choisirait une épouse, son veuvage n’ayant que trop duré.

Fleur de bruyère fut invitée et lorsqu’elle apparut, dans toute sa beauté et sa fraîcheur légendaire, elle séduisit le roi qui lui demanda sa main avec amour et empressement.

C’est ainsi que notre brillante détective n’eut désormais qu’une seule affaire à traiter, à savoir le bonheur du roi.

Elle mit bientôt un enfant au monde, un petit garçon que l’on prénomma Florian, à sa demande et dans le royaume, chacun vécut des jours heureux.

 

 

lundi 21 février 2022

"Divins oiseaux du coeur"

 



En lisant Les Pauvres gens de Victor Hugo, j’ai relevé une admirable métaphore «  et leurs pensées se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur ».

« L’homme est en mer » et son épouse prie pour que sa barque ne se brise pas sur les récifs.

Je vis une situation similaire, à ceci près que je m’adresse désormais à une tombe.

Déjouant tous les pronostics imaginés, tu es parti le premier, toi qui étais si fort, si robuste, un véritable trompe-la-mort depuis ton enfance.

Quant à moi, fragile et en proie à mille maux depuis ma naissance, on m’imaginait, moi la première, en train de me frayer un chemin dans les nuages dont j’ai si souvent chanté le mystère et la beauté.

De la fenaison à la Saint Valentin, le temps s’est écoulé, me laissant toujours la douce amertume de ton départ si subit et si inattendu en dépit des signes annonciateurs de la cruelle maladie qui s’était emparée de ton corps.

Il nous reste à présent un habitat de marbre constellé de diamants et habillé d’ex voto  et de fleurs pour que nous puissions nous recueillir face à l’ombre palpable de l’amour gisant dans un habitacle de chêne décoré d’un mémorable chemin de fleurs qui donna à ton départ vers les cieux l’étincelle des splendeurs de la terre devenues pensées et papillons.