jeudi 10 février 2022

Fleur de bruyère ( suite)

 



Drapée dans son fourreau de soie bouton d’or protégé par une cape en satin gorge de pigeon, une loupe à la main et un monocle rivé sur l’œil droit, Fleur de bruyère s’en fut par les chemins à la recherche d’un indice lui permettant de trouver la piste d’un enfant perdu, Emmanuel, dix ans.

Elle aimait apparaître aux yeux de tous sous l’apparence d’une jeune femme excentrique car ainsi, pensait-elle, personne ne lui accorderait trop d’importance et de cette manière, on parlerait sans retenue et il lui suffirait d’octroyer à chaque témoignage la place qui lui revenait.

Fidèle à une tradition littéraire et baroque, elle collecta de précieux indices et pensa qu’en se dépêchant elle aurait des chances de trouver l’enfant vivant.

Elle fit halte dans une chaumière qui lui servait de point de repli, se changea, troquant sa tenue extravagante contre une salopette campagnarde et des chaussures de marche. Les cheveux noués sous un fichu de bergère, elle partit en direction d’un château où devait être retenu l’enfant selon les témoignages recueillis au cours de sa route.

On cherchait une plongeuse en vaisselle fine dans ce château digne de Barbe Bleue. Elle postula, se livra avec excellence à un essai et reçut le tablier adéquat à cette fonction ô combien périlleuse car, dans ses mains, de la porcelaine fine et de l’argenterie sans oublier des verres de cristal devaient retrouver leur éclat.

Comme dans toutes les grandes maisons, la cuisine bruissait comme une ruche, chacun se trouvant à sa place pour parfaire le service gourmand et raffiné élaboré par un grand chef, Alexandre de Malestroit, breton auréolé de prix nationaux, dont celui de l’aumônière garnie qui satisfaisait les gourmets les plus pointilleux régnait  sur des brigades aguerries avec charme, courtoisie et exigence du meilleur.

Lors de sa présentation, Fleur de bruyère avait opté pour le nom de Flora et c’est sous cette identité que l’on s’adressait à elle.

Sa supérieure, grand officier en vaisselle fine lui recommandait sans cesse de faire attention à la vaisselle qu’elle devait rendre étincelante : «  Que rien n’attire l’œil des habitants du château de manière défavorable car je suis habituée aux compliments » lui disait-elle sans relâche.

Un soir, le chef l’enlaça sans autre forme de procès en lui murmurant des mots doux : «  Ma petite Flora, si tu te glisses sous mon édredon de plumes d’oie brodé de canards et de fleurs de nénuphar, tu auras vite de la promotion ». Interdite, Fleur de bruyère ne savait comment se débarrasser de l’importun mais fort heureusement, Dame Angélique, sa supérieure avait oublié son parapluie et elle surgit dans l’office à point nommé.

Le chef bredouilla de vagues excuses et s’en fut, tout contrit.

Dame Angélique n’était pas dupe de son manège, elle adressa un clin d’œil complice à Flora et lui proposa de la raccompagner dans sa chambre.

En chemin, elle lui confia qu’elle avait choisi le prétexte du parapluie, nullement oublié car elle connaissait les petits travers du chef. «  Je l’avais vu traîner dans sa cuisine alors que tout était terminé et rangé, c’est pourquoi je l’ai soupçonné de vouloir courir le guilledou car il n’a de cesse d’accrocher les rubans d’une nouvelle conquête au pommeau de sa canne d’argent ».

Flora remercia sa supérieure avec effusion car on ne chasse pas un grand chef sans y mettre les formes.

«  Dorénavant ne restez jamais seule et si vous n’avez pas terminé votre ouvrage, placez ces porcelaines, cristaux et argenterie dans une petite armoire dont je vous confie la clef » lui dit-elle en guise de conseil .

Flora la remercia avec effusion et lui demanda, à brûle pourpoint, s’il n’y avait pas d’autre  secret qu’elle eût à connaître.

Dame Angélique l’assura qu’il n’en était rien et Flora s’enhardit jusqu’à lui demander s’il n’y avait pas d’enfant au château.

Sa supérieure hésita puis lui confia sous le sceau de la confidence qu’un petit garçon était arrivé récemment au château et qu’il logeait auprès du régisseur du domaine.

Nul ne l’avait vu et des serviteurs triés sur le volet s’occupaient de son train de vie : il était nourri et logé comme un prince si bien que l’on se demandait s’il n’en était pas un.

Flora, heureuse de voir sa piste se confirmer et ravie de savoir que l’enfant était encore en vie, parla de la douceur du soir pour ne pas paraître trop curieuse puis les deux dames se quittèrent en s’adressant des adieux chaleureux.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire