vendredi 26 septembre 2014

Djurdjura





Cette nuit, un oiseau blanc s’est posé sur mon épaule et m’a dit des mots fous. C’était l’âme d’un ami qui peinait à trouver le chemin du paradis tant la barbarie et la violence s’étaient déchaînées contre lui.
 Il était venu dans un massif merveilleux appelé par ceux qui s’étaient présentés à lui comme des amis et au lieu d’une escalade sacrée dans des lieux paradisiaques, il avait été pris dans un filet comme un vulgaire papillon, cruellement épinglé sur un carré de douleur, avait dû proférer des injonctions haineuses à l’égard de sa patrie et enfin avait été décapité sauvagement, éclaboussant les rochers parfumés de son sang vermeil.
L’oiseau du paradis avait tout de suite accompli son office, mais l’âme du condamné sans motif résistait. Comment voler vers les cieux quand on a été aussi cruellement traité et humilié ? Alors une grande voix, mélodieuse et admirable, celle de Marguerite-Taos Amrouche perça les nuages et fit retentir son chant d’amour.
L’oiseau des miracles s’envola enfin vers son destin, allant grossir les rangs de tous ceux qui étaient tombés au champ du déshonneur, trahis et vaincus.
Il n’était plus seul, notre martyr ! Entouré par des amis, des vrais, il entra dans la ronde et tous jetèrent un regard apaisé, sur ce massif voué aux sources de la féerie !

lundi 15 septembre 2014

Le libraire aux sabots d'argent




Il était une fois un libraire aux sabots d’argent qui rêvait de beauté et de contes passionnés.
Un jour, sans prendre garde, il, entra dans un beau livre d’images et à dater de ce moment féerique, il alla de samovar en autels dédiés aux moineaux où il fit ses dévotions. Il se promena sur la Perspective Nevski, but du thé parfumé en charmante compagnie et composa des chansons dans la langue de Pouchkine.
Il ne se souciait pas de revenir dans son monde gris même s’il avait de nombreux amis. Des paons et des roses lui offrirent le mot de la fin : sa vie était une offrande céleste et il devait accomplir les rites jusqu’à l’ultime souffle des nuages où volaient d’immenses oiseaux blancs.
Il donna ses sabots d’argent à une jolie fille en fleur et accepta en échange des bottillons fourrés qu’il jura de garder en ultime souvenir.
Les sabots d’argent lui tenaient lieu d’enchantement, c’est pourquoi il put revenir dans le cadre traditionnel de son enfance mais on dit qu’un lutin malicieux grava sur le mur porteur de son enseigne, deux lumineux sabots d’argent qui brillaient de mille feux au passage d’un lecteur amoureux de contes slaves.
C’est ainsi que chaque soir, le libraire enfila d’imaginaires sabots d’argent en songeant à la belle aux tresses blondes qui l’attendait dans le pays de son cœur !

dimanche 14 septembre 2014

Au Maître de l’Amour Courtois




Si, un jour, d’aventure, tu décides de quitter ton étoile, c’est avec joie que je te rendrai ta plume turquoise pour écrire les mots de l’amour fou.
C’est devenu un exercice difficile car l’époque est d’une grande vanité et rares sont les personnes qui souhaitent rejoindre la Jérusalem céleste.
S’il se trouvait un prêcheur pour organiser une croisade, il ne serait écouté que par les oiseaux et c’est par nuées qu’ils s’en iraient sur les terres sacrées.
C’est pourquoi j’observe les oiseaux avec beaucoup d’attention et j’écoute leurs chants pour décrypter un nouveau langage.
Les fauvettes, les palombes, les rouges-gorges et tant d’oiseaux bénis comme les mésanges m’apportent leurs partitions.
Mozart en ferait un opéra nouveau mais moi qui suis néophyte en études musicales, je me contente de mettre des mots à la place des notes et j’écris sans encre bleu turquoise, sur un clavier neutre en parsemant de roses mes pages où brille le soleil !

jeudi 4 septembre 2014

Le prince à la voix de rossignol





Il était une fois un petit prince qui avait une telle beauté que le soleil même pâlissait à sa vue. Sa mère, la Reine, au lieu d’être fière de son fils, prenait ombrage de cette beauté quasi angélique et elle forma le noir dessein de le tuer afin qu’elle règne seule, en maîtresse absolue auprès du roi.
Fort heureusement, la nourrice Angélique, si bien nommée, devina ses noirs desseins et une nuit de pleine lune, elle revêtit un nourrisson qui venait juste de mourir hélas ! des beaux atours du prince, enveloppa le poupon dans un burnous de laine d’agneau et prit la fuite sans plus tarder avec son précieux fardeau.
La reine, à pas feutrés, arriva auprès du berceau, un poignard dissimulé dans sa vaporeuse toilette de nuit, le planta dans le cœur de l’enfant et repartit comme l’ombre maléfique qu’elle était devenue !
Angélique marcha sans relâche, sortit du royaume, s’embarqua à bord d’une felouque et descendit le Nil avec l’enfant divin. Il portait un masque de dentelle noire afin que sa beauté n’éclate pas au soleil, son cousin.
Des cataractes grondaient au loin ; Angélique estima que son voyage avait trouvé son terme. Elle débarqua, s’assurant que personne ne la suivait et s’enfonça dans le désert jusqu’à la prochaine oasis où elle fut accueillie avec le petit prince comme une dame de haut rang. Elle était si belle que plus d’un homme demanda sa main mais elle refusa tous les prétendants avec un mot aimable car elle ne voulait pas lier sa vie à celle d’un mari qui lui aurait imposé une conduite, envoyant peut-être le bel  enfant au travail de la terre, ce qu’elle ne voulait à aucun prix !
Afin que l’on ne puisse pas établir de lien avec le royaume qu’elle avait fui, Angélique prit le nom de Nour et attribua celui de Caruso au petit prince.
Toutes les premières années se passèrent de manière charmante. Nour brodait et cousait à merveille, ce qui lui évita les difficiles travaux des champs et mit son prince à l’abri du besoin.
Son renom grandit tant et si bien qu’il arriva jusqu’aux oreilles de la reine. La fuite de la nourrice lui avait toujours paru suspecte et lorsqu’elle apprit qu’une artiste cousait et brodait comme une fée dans une lointaine oasis, elle décida de s’y rendre avec une bonne escorte. Au terme d’un long voyage, elle envoya un émissaire muni d’une jolie bourse de pièces d’or pour acheter les broderies de l’artiste. Cependant la reine revint bredouille car Nour, apprenant l’arrivée d’un groupe de voyageurs, avait pris les devants en acceptant de se joindre à une caravane pour aller chercher le sel nécessaire à la survie de l’oasis. Naturellement le prince faisait partie du voyage. Parvenus sans encombre dans un caravansérail de renom, les chameliers virent partir avec chagrin Nour et celui qu’ils croyaient être son fils, Caruso le bien nommé, car il avait la voix d’un rossignol. Sentant le danger, Nour crut bon de se fondre dans une nouvelle ville et décida de rompre avec les travaux d’aiguilles. Elle se lança dans la confection de plats dont elle avait le secret et qui étaient inconnus au palais : des entremets à la rose, de la souris d’agneau confite en tajine avec un assortiment de dattes et d’oranges, des légumes oubliés en cocotte de terre et tant de plats odorants qu’elle dut embaucher deux cuisinières pour l’aider dans sa tâche quotidienne.
Quant au jeune Caruso, il adhéra à un groupe de musiciens talentueux et apprit à jouer de nombreux instruments ce qui compléta sa culture musicale.
Son renom dépassa les limites de la ville si bien que Nour, soucieuse et un peu lassée de devoir sans cesse partir et refaire sa vie, accepta enfin une proposition de mariage : c’était celle d’un riche homme d’affaires dont le talent guerrier n’était pas négligeable. Elle n’y mit qu’une condition, celle de se voir offrir un palais somptueux destiné à son fils bien aimé. Son implantation en une belle oasis tenue secrète assurerait sa tranquillité.
Le prince Omar, son futur époux y consentit car Nour était encore très belle et de plus le futur époux appréciait que sa femme soit une dame dotée de qualités et d’un fier caractère.
Le palais était si beau que Caruso fut à son tour sous le charme et qu’il pensa utile de ne pas y vivre seul.
Sans rien dire à sa bienfaitrice, il réunit une escorte, prépara de beaux cadeaux et partit à la recherche de la bien aimée, dont le palais serait l’écrin.
Apprenant la terrible nouvelle, Nour avoua tout son passé à son époux ce qui augmenta son admiration envers l’élue de son cœur. Il réunit les meilleurs guerriers de la ville et ses plus fidèles amis et les envoya sur les traces du prince afin de lui prêter main forte si besoin était.
Gardant une distance respectable afin de ne pas éveiller les soupçons du prince et de son escorte, les guerriers disposaient cependant d’une liberté de manœuvre suffisante pour pouvoir intervenir efficacement en cas d’attaque foudroyante.
Sans le savoir, le prince reprenait instinctivement le chemin du retour vers ses origines et lorsqu’il fut arrivé aux portes de son royaume, il éprouva la curieuse sensation qu’il était chez lui !
On leur ouvrit sans problème car on menait le deuil du couple royal, victime d’un empoisonnement en son palais. Personne ne regrettait la reine car elle s’était montrée détestable et chacun pensait qu’elle avait certainement été la victime de ses manigances machiavéliques. Elle avait manifestement, selon les rumeurs, voulu empoisonner son époux afin de choisir son amant pour lui succéder mais la main de l’empoisonneur n’avait pas tremblé et s’il avait effectivement tué le roi, il avait utilisé un autre poison pour se débarrasser de la reine et de son amant pensant à juste titre que sa vie serait menacée. Puis son forfait achevé, il avait fui la ville pour se retirer en son royaume lointain, réputé pour ses poisons.
Le groupe de guerriers entra à son tour dans la ville et en entendant les commentaires de la foule, ils décidèrent de jeter leur va-tout : entourant le prince et sa petite escorte, ils crièrent : « Place au prince Abdallah » ! C’était en fait, le véritable prénom de prince que la nourrice dévouée avait révélé à son époux. Ce dernier avait jugé bon de le faire connaître aux guerriers chargés de la protection du prince afin qu’ils puissent s’en servir à bon escient, si l’occasion leur était donnée d’utiliser le nom du prince.
La stupéfaction fit place à la ferveur dans la foule et chacun y alla de son cri de joie : Vive notre prince, vive notre Roi ! Une amie d’enfance de la nourrice reconnut en ce bel homme l’enfant qui éclipsait le soleil et lorsqu’il chanta pour remercier la foule en liesse, chacun se souvint que simple nourrisson, il charmait déjà son entourage par ses vocalises.
On le porta en triomphe au palais suivi par ses guerriers et son escorte de musiciens. Le chef de groupe demanda à être reçu en particulier et il révéla au prince sa véritable identité, celle du prince Abdallah et l’épopée de son voyage, similaire à celui de la fuite en Égypte d’un enfant divin.
Ce récit ajouta encore à la ferveur qu’il éprouvait vis à vis de celle qu’il considérait comme sa mère. Il envoya un émissaire à cette dernière, lui redisant tout son amour filial.
Quelques guerriers accompagnèrent le messager. Imaginez la joie d’Angélique-Nour à l’audition de tout ce qui s’était passé ! Son mari se félicita de l’heureux dénouement et les époux envoyèrent un message à leur tour en affirmant au prince leur soutien et lui rappelant que le palais restait à sa disposition pour qu’il ait un havre de paix lorsqu’il le souhaiterait.
Chants, danses et festivités diverses eurent lieu dans le royaume d’Abdallah et le prince ne se fit pas prier pour chanter son répertoire.
À ce moment-là, tous les rossignols du royaume vinrent l’accompagner et ses fidèles sujets surent de manière évidente que le bonheur était de retour grâce au prince qui avait définitivement chassé les ténèbres et laissé entrer le soleil pour toujours !

lundi 1 septembre 2014

Monologue d’un sommelier oriental





Rigolez pas les gars, vous avez devant vous un diplômé ! BEP, Bac Pro, Restauration et quelques mentions complémentaires pour avoir plusieurs cordes à son arc. Oui, je sais, c’est bizarre quand on s’appelle Karim et qu’on vient de la banlieue. C’est ce que me faisait remarquer mon dernier patron. Nous portons tous un badge avec notre prénom. Le patron trouvait que Karim, ça ne faisait pas sérieux pour un maître d’hôtel. Je lui ai rétorqué : Vous préférez Zinedine, ou Zizou, ou pourquoi pas Rachid, comme l’ex présentateur de la télé ? Il m’a lancé un regard noir et n’a plus rien dit. Pour l’augmentation, j’attendrai. Alors j’ai seulement demandé qu’on écrive K sur mon badge. Comme ça, y aura pas d’histoire ! Pourquoi la restauration plutôt que le foot, la boxe, le rap, le cinéma, la chanson ou le commerce ? J’ai des copains polytechniciens soit dit en passant …
Alors pourquoi ? C’est tout simple. J’ai fini par hurler à la conseillère en orientation qui voulait absolument savoir ce que j’aimais : Manger !! Un peu plus, je lui crevais le tympan. C’est comme ça que je me suis retrouvé en lycée professionnel hôtelier. Un arabe à qui on ordonne d’avoir toujours sa mallette de couteaux sur soi, ça mérite d’être signalé. Je craignais pour les contrôles dans le métro. Outrage à agent ou quelque chose de pire mais on m’a fichu la paix : avec mon costume et ma cravate, tenue de rigueur au lycée, j’avais franchi la ligne.
Quand papa a su ce que je faisais, il a grincé des dents et n’a rien dit. Chez nous, autrefois, c’étaient les femmes qui cuisinaient. Aujourd’hui il m’a dit Fils, tu es diplômé, c’est bien. Moi, je ne suis qu’un 01 / 01 alors je ne peux pas te critiquer mais quand on va au pays, fais-moi plaisir, dis que tu es plombier. C’est pour l’honneur de la famille, tu comprends ?
Pour les réconcilier avec mon métier, je leur ai concocté un menu gastronomique français mais là encore j’ai échoué. Maman m’a félicité mais papa a prétendu qu’une femme au pays, qui présenterait un tel repas à son mari courrait le risque d’être immédiatement répudiée !
Découragé, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux de me tourner vers la tauromachie. Vous êtes étonné ? Un arlésien d’ascendance algérienne est un torero réputé. Il paraît même qu’il adresse une prière à la Vierge Marie comme les autres avant le combat. Quitte à choquer, autant y aller carrément ! Mais je ne me sens pas le courage d’affronter des cornes. La muleta, très peu pour moi. Je préfère le liteau du sommelier. C’est moins dangereux de surveiller une goutte de vin capricieux qu’un animal sauvage en furie.
J’entends d’ici les racistes. Dégonflé, va ! Dégonflé toi-même. Y a des risques dans notre métier. Il suffit de lire quelques propositions d’embauche.
Le directeur d’une certaine auberge étoilée cherchait dernièrement un maître d’hôtel bien rémunéré etc…La mention « fumiste, ou psychorigide s’abstenir » m’a déconcerté – fumiste, bien, mais psychorigide ? Qu’est-ce qu’il demande à son maître d’hôtel ? Qu’il arrive en salle comme un funambule sur un fil, une bouteille de champagne à la main qu’il ouvrirait au sabre ?
Et je ne vous parle pas des places que l’on essaie de décrocher par des entretiens ! On nous pose des questions étranges, par exemple on vous demande si vous êtes supporter du club de football de la ville, si vous avez déjà un studio ou si vous avez une préférence pour un vin ! Pourtant le recruteur sait qu’il n’est pas judicieux d’établir un contrat ferme pour un loyer étant donné qu’il y a toujours une période d’essai.
Quant au vin, le client est Roi, tout le monde sait cela. Je peux juste donner mon avis si on le sollicite pour un accord mets-vins.
De plus aujourd’hui, le vin est presque banni des tables et la préférence au verre est la norme.
J’ai eu un fou rire en voyant le film Chez Septime avec Louis de Funès et sa danse des serveurs. C’est à peine excessif tant certains directeurs de salle exigent souplesse, subtilité et sourires de leur personnel. Sourire quand on a des ampoules aux pieds, courber l’échine lorsque vous êtes gêné par un méchant lumbago, se montrer subtil quand un client retors essaie de vous piéger, c’est parfois une performance d’acteur.
Mais voilà, c’est le métier !
Alors mes amis, ne riez pas de notre métier et appréciez les efforts que nous produisons pour vous plaire et ne nous obligez pas à partir en Angleterre ou aux USA, dans un pays où l’on ne remarquera pas notre peau dorée car moi, en tout cas, j’aime la France !