samedi 26 novembre 2022

Le Palais des Délices


 « Fière torera, tu apparais comme la reine des Amazones dans l'arène sablonneuse où la mort te guette. Il s'agit, pour toi, de dompter un fils de Minos et lorsque tu le regardes, tu vois dans ses grands yeux cruels, le reflet de ta victoire car tu n'as aucun doute, Léa, et c'est là ta grande force. Tu es belle, tes cheveux nattés brillent au soleil, ta tenue d'apparat étincelle et l'on se prend à rêver que tu aies choisi un autre destin...
» Le Palais des délices ? Une contrée féérique et ensorcelante, où les univers se télescopent en un tourbillon de magie et d'émotions. Mariant les influences et multipliant les références comme autant de clins d'œil aux lecteurs aguerris, ce nouveau recueil s'adresse à un large public, jeune et moins jeune. La conteuse Marguerite-Marie Roze confirme qu'elle possède bel et bien les clefs de l'imaginaire.

mercredi 16 novembre 2022

Mes années lycée

 


Que serais-je devenue si je n’étais pas allée au lycée ? Je préfère ne pas y penser ! mon père voulait me garder auprès de lui, sans se soucier de mon avenir.

Il avait misé tous ses espoirs sur mon frère, l’inscrivant dans une école prestigieuse à Armentières.

Daniel était certes intelligent et il avait de multiples talents. Doué en dessin, en musique, il brillait aussi bien en mathématiques qu’en Français.

Il fut cependant renvoyé de l’école car il était frondeur, belliqueux et il préférait conquérir les filles plutôt que les bonnes notes.

Échaudé par ce désastre, mon père finit par lui donner un ultimatum : le collège technique et un diplôme ou la musette !

C’est ainsi que mon frère devint tourneur sur métaux avant de reprendre les gants et de devenir par la suite professeur en Lycée Professionnel !

Quant à moi, j’eus beaucoup de peine à m’habituer au lycée de Douai, à ses règlements (blouse etc.) , à sa terrible directrice et à cet univers terrifiant si éloigné de l’ambiance familiale de la petite école de mon village.

D’abord demi-pensionnaire, je devins interne car les trajets aléatoires incluant un pont levis à l’entrée de Douai, m’épuisaient et m’interdisaient d’arriver à l’heure.

Interne, je dus affronter la solitude au milieu de camarades habituées aux us et coutumes de l’établissement.

La directrice nous réunissait lors des fêtes, allant jusqu’au champagne, et nous chantions l’hymne du lycée :

«  Nous l’avons bâtie, la chère maison et toute notre vie, nous la protègerons.

Amies, bon courage, bravons les jaloux, Dieu bénit notre ouvrage et triomphe avec nous » !

Je trouve étrange d’invoquer Dieu dans un lycée public mais notre directrice présentait d’autres excentricités.

Toujours coiffée d’un chapeau dont les décorations variaient selon les saisons, cerises, bouquets, plumes, elle alternait le chaud et le froid, souriant en s’adressant aux bonnes élèves et terrifiante face aux malheureuses qui piétinaient.

Outre les châtiments et les perspectives jugées honteuses dans le temple du clacissisme d’une réorientation vers le collège technique, il y avait les récompenses, le tableau d’honneur et les félicitations.

Devenue bonne élève en dépit de résultats médiocres en mathématiques, je ne pus prétendre qu’aux Encouragements.

J’appris des problèmes par cœur pour pouvoir reproduire un raisonnement à l’identique si un questionnement similaire se présentait.

Je ne voulais pas décevoir mes parents et par ailleurs j’étais soutenue par une camarade qui décrochait les Félicitations avec une incroyable facilité.

La directrice avait arraché Guylaine au collège moderne car elle pressentait que cette élève l’aiderait à consolider le fleuron de son lycée.

Guylaine apprit une année de latin en un trimestre et lorsqu’elle nous rejoignit, elle devint, de loin, la meilleure élève de la classe.

Elle n’était pas aimée car on voyait en elle une compétitrice. Elle se prit d’affection pour moi et me fit entrevoir la possibilité de franchir victorieusement la porte des mathématiques en m’expliquant patiemment les rouages chiffrés de la leçon.

Selon ses calculs, je devais pouvoir prétendre aux Félicitations mais il en va des récompenses comme aux notes et aux prix des championnats du patinage artistique : selon les professeurs, on ne devient pas excellente d’un coup, il faut faire ses preuves !

Guylaine suivait des cours au conservatoire et je l’aidais à transporter son instrument, un violoncelle !

Je nous revois, trébuchant sur le trottoir mais heureuses d’être ensemble et de partager une épreuve.

C’est au retour du conservatoire que je ressentis la première attaque du mal qui allait me ronger et qui ferait de mon adolescence un parcours cauchemardesque avec des perspectives sombres.

Je sentis le sol se dérober sous mes pieds tandis qu’un choc dans la poitrine me faisait chanceler.

J’eus toutes les peines du monde à rentrer chez moi.

Ma mère qui considérait les études comme une zone de turbulences, pensa que les vacances prochaines seraient le remède idéal.

Mais les symptômes perduraient. Je voyais le lycée tourner autour de moi, l’adhésion brutale au sol me causait un choc et des balbutiements me venaient aux lèvres spontanément.

Pour conserver les Encouragements, je devais fournir de gros efforts et je n’osais pas parler de mes troubles à Guylaine de peur d’être rejetée ! 

Sur ces entrefaites, mon père, secrétaire de Mairie, s’était mis dans une situation critique en attaquant le Maire frontalement et il dut demander sa mutation afin d’éviter les pires ennuis.

On l’obligea à choisir un poste dont il ne voulait pas, près de Denain.

Adieu le lycée de Douai et tous ces liens que j’avais eu tant de mal à tisser !

Mon inscription se fit au Lycée Watteau de Valenciennes et je fis mon entrée en classe de Quatrième, avec le Grec, comme seconde langue !   

 

Le rat des villes et le rat des champs

 


Cette fable de La Fontaine abordée en classe de sixième au lycée de Douai sous la forme d’explication de textes me parut fort explicite et adaptée à ma condition.

J’étais, à coup sûr, le rat des champs car je provenais d’un petit village. Pour arriver au lycée, je prenais le bus des ouvriers et j’avais une bonne trotte à parcourir avant de rejoindre mes camarades, filles de chef d’entreprise, de médecin, de kiné etc….

On m’appelait par mon nom de famille tandis que mes camarades s’appelaient Annie, Brigitte, Claudine et on leur parlait de façon courtoise, ce qui n’était pas mon cas.

Je suis arrivée au lycée par concours et non par la voie royale. Mon institutrice avait réussi à persuader mon père que j’avais ma place dans un tel établissement.

Lors du concours, ma copie de Français suscita l’admiration des correcteurs et on la lut, à titre d’exemple.

Par contre, malgré les cours de mathématiques administrés le jeudi par mon institutrice, décidée à obtenir de l’avancement grâce à ma réussite, mon problème et mes calculs furent un véritable désastre et cela me fit descendre dans le classement.

En classe, je n’éprouvais aucune difficulté en Français et en Histoire, obtenant les premières places avec aisance.

Les mathématiques, le latin et l’anglais restaient un mystère pour mon esprit demeuré enfantin et j’agaçais les professeurs qui croyaient en ma profonde paresse.

Il n’en était rien, j’étais perdue, tout simplement !

Marguerite-Rat des Champs rêvait de retrouver sa campagne, ses champs de blé, ses bleuets et ses coquelicots et lorsqu’elle découvrit l’histoire de Peter Pan, elle rêva qu’elle s’évadait, loin de ces tourments, pour se rendre dans le pays des enfants perdus !

Si l’on m’avait dit, à cette époque, qu’un jour, je deviendrais professeur de Latin, je ne l’aurais jamais cru !

Quant à l’anglais écrit, il me devint très familier, notamment sous sa forme poétique.

L’obscurité relative aux mathématiques provenait essentiellement d’une dyscalculie que l’on aurait pu guérir si elle avait été décelée.

Moi qui avais tant souffert en classe, je devins professeur mais je me jurai de ne jamais cataloguer un élève et de tout entreprendre pour réconcilier le récalcitrant avec la discipline qui était la mienne !

 

mardi 15 novembre 2022

Françoise, l'inspiratrice de mes contes


Comme le Grand Meaulnes, elle est arrivée en cours d’année scolaire, en cinquième. Elle était timide et dissimulait sa grande taille en se courbant au maximum.

Elle fut tout de suite l’objet des quolibets de mes camarades et elle se laissait faire sans mot dire. Elles se moquaient de son accent et de sa silhouette qui n’était pas aux normes académiques.

Or un jour alors que le professeur tardait à venir, Françoise se dirigea vers le tableau et exécuta une fresque inouïe, d’une grande beauté.

Plus personne ne se moqua d’elle et l’on reconnut ses compétences artistiques, à l’exception de notre professeur de dessin !

M’ennuyant ferme à l’internat, j’avais commencé une saga où l’action principale se déroulait dans un lycée de rêve qui était à l’opposé du nôtre : la directrice venait nous voir chaque soir pour nous souhaiter une bonne nuit etc… Naturellement il y avait des aventures et les camarades de la classe se passaient le cahier en cachette pendant les cours.

Françoise se prit d’engouement pour mes histoires et elle se mit à illustrer mes historiettes en leur donnant une coloration digne des Mille et Une Nuits. Françoise venait d’Algérie où son père officiait en qualité de gendarme. Le départ de l’armée française, des gendarmes et de civils lors de l’indépendance fut la cause de la venue de Françoise dans notre Nord qui dut lui sembler bien gris, en comparaison des paysages, des villes et des intérieurs qui avaient été les siens pendant toute une grande partie de sa jeunesse.

Ses dessins, exécutés à l’encre de Chine et coloriés avec soin représentaient souvent des femmes, richement vêtues, des Algériennes semblables à celles que peignit Eugène Delacroix lors de ses voyages. Assises en tailleur sur de beaux tapis persans, elles buvaient le thé en se racontant les mille riens de leur vie.

Mes contes prirent une coloration « orientale » et depuis je n’ai pas cessé de m’inspirer des magnifiques dessins de Françoise.

Ne sachant pas dessiner, j’ai reproduit avec du papier calque un visage toujours le même et depuis cette période, je suis capable de dessiner ce visage, à main levée, à l’infini !

Un jour cependant un professeur subtilisa mon fameux cahier et lorsque le père de Françoise vint au lycée se plaindre des médiocres résultats de sa fille, on m’en rendit responsable.

Il y eut une scène terrible à la maison car le sens de l’autorité était vivace chez le papa et Françoise, à genoux, dut jurer qu’elle ne me parlerait plus jamais et le pire c’est qu’elle tint parole !

Je me revois suppliant Françoise en lui disant : tout de même on peut se dire bonjour ! mais elle répondait tête baissée : «  j’ai juré » !

Ce supplice a pris fin du jour où j’ai quitté le lycée de Douai pour celui de Valenciennes, du fait d’une affectation administrative de mon père.

Je revois encore ses merveilleux dessins et je sais gré à cette artiste en herbe de m’avoir ouvert les portes d’un univers oriental extraordinaire !

lundi 14 novembre 2022

Du port de la blouse

 
En France certains voudraient que revienne le temps de porter une blouse à l'école : ce n'est pas mon cas car j'en ai gardé un souvenir cuisant et du reste cela ne servirait pas à aplanir les distances sociales qui ont hélas toujours existé ! Au lycée, bien que fille de secrétaire de mairie, j'étais considérée comme une petite "blédarde" et je ne faisais pas le poids auprès de certains professeurs face aux filles de kiné, de médecin, d'ingénieur etc. Du reste ces filles pratiquaient le piano, la danse et possédaient un poste de télévision ! Je pouvais juste les battre en composition française et en Histoire !

La fée bleue


Douillettement enveloppée dans son nuage rose, la fée bleue survola des domaines pour finalement jeter son dévolu sur une gloriette où s’élançaient des groseilliers, des églantiers et de superbes lianes d’orchidées et de roses.

Une jeune femme, un ouvrage de broderie à la main, s’appliquait à reproduire sur une toile de lin, les beautés dont elle était entourée et qu’un orage intempestif pouvait détruire avec méthode et cruauté.

De temps à autre, la jeune femme observait le ciel et la vue de nuages la faisait trembler.

La fée bleue trouva opportun de révéler sa présence.

«  Ne tremblez pas, jeune dame lui dit-elle, je suis là pour vous protéger et tant que je serai à vos côtés, vous ne souffrirez pas d’intempéries ou de destructions d’aucune sorte » .

Dame Blandine soupira d’aise puis elle commanda que l’on apporte des rafraîchissements et des pâtisseries sorties des fourneaux de la cuisine pour cette hôtesse de qualité.

Elles devisèrent, parlèrent de l’avenir de la dame, si seule dans ce grand domaine, bien tenu par des proches , habitués aux travaux de la terre.

La fée bleue promit à la jeune femme de lui trouver un époux, à charge de l’organisation d’un bal où se presseraient des prétendants.

« Ce sera à vous de laisser parler votre cœur, ma chère, pour trouver l’élu de votre vie ».

Elle laissa derrière elle une traînée de poudre d’or, se laissa envelopper dans le nuage douillet et reprit sa route, à la recherche d’une nouvelle âme en peine qui serait prête à tirer profit de ses conseils millénaires.