mardi 8 novembre 2022

L'Accordéoneu

 

On l’appelait ainsi, l’Accordéoneu[1], depuis son arrivée à Combourg, près du château. Il venait du Nord, là où l’on prononce les mots comme s’ils étaient voilés de brume. Il était parti comme l’un de ses aïeux qui avait embarqué pour le Nouveau Monde, mais lui, Paul-Marie n’était jamais arrivé au port. Sans connaître Chateaubriand, il avait senti que c’était là qu’on l’attendait. Il avait posé son instrument à terre, un bel accordéon, et s’était mis à jouer. Bientôt il fit partie de la ville et sembla se confondre avec les hautes murailles du château. De temps à autre, il se laissait aller à conter des histoires venues tout droit de la terre pavée de son village. Il y était question d’un haut lieu des merveilles, une mare que les habitants avaient baptisée la mer. Curieuse mer, cette mare aux grenouilles où se pressaient les garnements du village avec leurs arcs et leurs flèches sculptées dans le bois souple des saules. On se bagarrait pour une bille, les yeux d’une belle ou un secret de famille.

En fermant les yeux, il revoyait celle pour qui son cœur battait à tout rompre. Elle se prénommait Annette, avait d’immenses yeux bleus et des mollets ronds. Ses pieds évitaient la corde à sauter maniée par deux camarades qui connaissaient ses penchants amoureux. Il tentait en vain d’oublier la comptine qui faisait ses délices et ses tourments. « Le palais royal est un beau quartier ; toutes les jeunes filles sont à marier. Mademoiselle Annette est la préférée de … Monsieur Christian qui veut l’épouser. Est-ce bien la vérité ? Oui, non, oui, non…. » La corde valsait de plus en plus vite et les deux camarades aux aguets faisaient en sorte qu’Annette marche sur le oui. Toute rougissante, elle donnait un baiser à l’élu qui feignait l’indifférence. Une autre variante était plus cruelle. Paul-Marie était cité en place de Christian et cette fois Annette marchait sur le non. Elle n’accordait aucun regard à celui qui était ainsi rejeté devant tous et Paul-Marie n’avait plus qu’à fuir ces lieux où il n’était pas aimé. Le lendemain, il revenait encore, espérant un miracle : que le oui triomphe et il recevait un baiser. A chaque fois, c’était le dédain et la honte. Quant au beau Christian, il aurait voulu l’étouffer, lui serrer la gorge jusqu’à ce qu’il retombe comme un pantin. Loin de s’imaginer que son fils nourrissait tant de haine, sa mère, Eva la belle le peignait avec amour. Elle le trouvait si beau avec ses boucles brunes qui tombaient en cascades sur sa peau sombre, cadeau d’un gitan de passage car la belle n’était pas regardante pour peu qu’on lui offrît de l’argent et des bijoux. Un jour, l’un de ses amants surnommé Raymond le Sarrasin tant il semblait venir d’un pays solaire, remarqua les yeux noirs désespérés du garçonnet. Il revint le lendemain, non pour sa mère dont il avait reconnu avec le talent la tendance vénale, mais pour le fils. Il lui donna un accordéon et vint chaque jour lui enseigner la manière d’en tirer des accords harmonieux. Il ne manquait pas d’apporter quelques offrandes à la mère, des œufs, des poulets, des objets d’osier dont un magnifique fauteuil où Eva se reposait avec délices.

Ces jours furent pour l’enfant les plus beaux de sa jeune vie. Vint enfin le moment où il put accompagner Raymond qui était de première force au piano du pauvre. Perles de Cristal, Roses de Picardie furent les sommets d’un répertoire qu’il enrichissait chaque jour


[1] Accordéoniste en langue Picarde

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