mardi 15 novembre 2022

Françoise, l'inspiratrice de mes contes


Comme le Grand Meaulnes, elle est arrivée en cours d’année scolaire, en cinquième. Elle était timide et dissimulait sa grande taille en se courbant au maximum.

Elle fut tout de suite l’objet des quolibets de mes camarades et elle se laissait faire sans mot dire. Elles se moquaient de son accent et de sa silhouette qui n’était pas aux normes académiques.

Or un jour alors que le professeur tardait à venir, Françoise se dirigea vers le tableau et exécuta une fresque inouïe, d’une grande beauté.

Plus personne ne se moqua d’elle et l’on reconnut ses compétences artistiques, à l’exception de notre professeur de dessin !

M’ennuyant ferme à l’internat, j’avais commencé une saga où l’action principale se déroulait dans un lycée de rêve qui était à l’opposé du nôtre : la directrice venait nous voir chaque soir pour nous souhaiter une bonne nuit etc… Naturellement il y avait des aventures et les camarades de la classe se passaient le cahier en cachette pendant les cours.

Françoise se prit d’engouement pour mes histoires et elle se mit à illustrer mes historiettes en leur donnant une coloration digne des Mille et Une Nuits. Françoise venait d’Algérie où son père officiait en qualité de gendarme. Le départ de l’armée française, des gendarmes et de civils lors de l’indépendance fut la cause de la venue de Françoise dans notre Nord qui dut lui sembler bien gris, en comparaison des paysages, des villes et des intérieurs qui avaient été les siens pendant toute une grande partie de sa jeunesse.

Ses dessins, exécutés à l’encre de Chine et coloriés avec soin représentaient souvent des femmes, richement vêtues, des Algériennes semblables à celles que peignit Eugène Delacroix lors de ses voyages. Assises en tailleur sur de beaux tapis persans, elles buvaient le thé en se racontant les mille riens de leur vie.

Mes contes prirent une coloration « orientale » et depuis je n’ai pas cessé de m’inspirer des magnifiques dessins de Françoise.

Ne sachant pas dessiner, j’ai reproduit avec du papier calque un visage toujours le même et depuis cette période, je suis capable de dessiner ce visage, à main levée, à l’infini !

Un jour cependant un professeur subtilisa mon fameux cahier et lorsque le père de Françoise vint au lycée se plaindre des médiocres résultats de sa fille, on m’en rendit responsable.

Il y eut une scène terrible à la maison car le sens de l’autorité était vivace chez le papa et Françoise, à genoux, dut jurer qu’elle ne me parlerait plus jamais et le pire c’est qu’elle tint parole !

Je me revois suppliant Françoise en lui disant : tout de même on peut se dire bonjour ! mais elle répondait tête baissée : «  j’ai juré » !

Ce supplice a pris fin du jour où j’ai quitté le lycée de Douai pour celui de Valenciennes, du fait d’une affectation administrative de mon père.

Je revois encore ses merveilleux dessins et je sais gré à cette artiste en herbe de m’avoir ouvert les portes d’un univers oriental extraordinaire !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire