Dans un royaume lointain, bordé
par une mer céleste où abondaient les perles et les coraux, vivaient des
chevaliers qui arboraient une rose d’or sur leur bouclier.
Ils menaient parfois des
expéditions destinées à la vérification du bon ordre régnant dans les zones
habitées.
Le chevalier Bertrand de la Tour
Noire dont les ancêtres avaient récolté le fruit des vignes en terroir
cadurcien, se trouva détaché de ses compagnons du fait d’une épine plantée dans
l’une des jambes de sa monture, près du sabot.
Un médecin spécialisé dans l’art
de soigner les chevaux ôta l’épine et appliqua un baume cicatrisant sur la
plaie.
Il invita le chevalier à passer
la nuit dans sa demeure, l’assurant que l’un de ses valets nourrirait et
bouchonnerait sa monture dans les règles de l’art.
Le chevalier accepta l’invitation
et il ne regretta pas sa décision car l’hospitalité du médecin frisa la
perfection.
Dame Odile apporta un pichet de
cidre et en remplit des hanaps, agrémentant cette boisson ancestrale d’un
assortiment de beignets aux pommes, de tartelettes à la crème, enrichies de
fruits des bois et de pommes d’amour.
Puis elle s’activa à la cuisine
pour servir ensuite un plat de viande en
sauce épicée de baies de genièvre et d’airelles, aromatisée de sauge, de thym
et de romarin. Un vin chaud liait les sucs de viande confite singée de farine
fleurie.
Ce même vin servant à lier la
sauce fut servi à table : c’était un bon vin de Tursan, un château Bourda
plus précisément et les deux hommes lui firent honneur.
Un plat de topinambours à la
crème aida à faire glisser les morceaux de viande en leur octroyant une belle
onctuosité.
Le dessert consista en un
assortiment de petits gâteaux variés qui révélaient le savoir-faire et l’inventivité
de la maîtresse des lieux.
Antoine, son mari, félicita
chaleureusement son épouse et le chevalier s’inclina devant cette hôtesse dont
la beauté n’avait d’égale que son talent culinaire.
Il se promit de lui envoyer un
collier de trois rangs de perles dès son retour en son fief.
Le chevalier passa une excellente
nuit dans une chambre parfumée à la lavande et à la rose.
Après un petit déjeuner complet
où les œufs à la coque faisaient bon ménage avec des crèmes et de la brioche
aux fruits confits ainsi qu’un grand bol chicorée au lait crémeux, il prit
congé de ses hôtes, retrouva sa monture guérie et partit, non sans avoir
dissimulé une bourse de louis d’or dans un bouquet de fleurs des champs où
figuraient des marguerites et des pavots. Il avait envoyé une petite fille du
domaine cueillir ces fleurs moyennant un
beau louis d’or.
Il traversa une forêt profonde.
Plongé dans ses pensées, il ne
vit pas que les fourrés devenaient de plus en plus épais et que la lumière se
faisait désirer. Les feux follets lui servaient de repères.
Craignant de voir sa monture
blessée à nouveau, il profita d’une clairière où l’on avait érigé une fontaine.
Il but de l’eau fraîche avec
bonheur et offrit la pareille à son étalon qui répondait au joli nom de
Prodige.
Il s’assit sur la margelle de la
fontaine, effeuilla une marguerite en rêvant et c’est à peine s’il fut surpris
de voir une ravissante jeune fille, une cruche à la main. Elle venait se
ravitailler en eau pour sa maisonnée lui dit-elle.
Elle portait précisément le nom
de Marguerite, ce qui apparut, aux yeux du chevalier, comme un magnifique
prélude à une romance étoilée.
Ils devisèrent aimablement.
La jeune fille lui apprit qu’elle
vivait non loin de là.
Comme le chevalier avait une
noble apparence et qu’il était soucieux des prévenances, elle l’invita à passer
la nuit à ses côtés.
Heureux de cette invitation en
terre poétique, le chevalier lui emboita le pas, tenant Prodige par ses guides.
Ils arrivèrent près d’une maison
en briques roses, pimpante et fleurie, des camélias couvrant le mur et le
parant de soieries florales.
Les parents de la jeune fille
étant partis pour la foire de Beaucaire, les jeunes gens se trouvèrent seuls.
Le chevalier s’occupa de Prodige
puis il coupa du bois pour faire une flambée dans la cheminée.
Marguerite alla chercher des œufs
dans le poulailler, de la salade dans le potager et elle fouetta une
préparation campagnarde additionnée de crème pour faire une omelette à laquelle
elle ajouta de la ciboulette.
Elle déposa des feuilles de
laitue romaine dans un grand saladier, y ajoutant des cerneaux de noix, des
amandes et des cubes de chèvre frais. Un vinaigre de cidre vieilli en fût de
chêne et des framboises, ajoutés à de l’huile de noisette agrémentèrent l’assaisonnement
de la salade.
Le chevalier félicita la jeune
fille pour ses talents de cuisinière et il se régala, au dessert, de fromage
frais agrémenté d’un coulis de fraises.
Ensuite, respectant les usages,
le chevalier voulut prendre congé car il se souciait de la réputation de son
hôtesse mais la charmante Marguerite le pria de rester en sa compagnie.
« Une amie viendra ce soir
en compagnie de son époux et ils se feront un plaisir de me prêter main forte
pour respecter les usages de l’hospitalité et de la courtoisie » dit-elle
enfin afin de briser la résistance du chevalier.
Le couple ne tarda pas à arriver.
Olivier était un troubadour doté
d’une voix chaude et il interpréta une romance qui semblait provenir du Roman
de la Rose.
Son épouse, Bérangère, dansait la
volte avec une remarquable légèreté et, en compagnie de son époux, elle exécuta
un très joli pas de danse qui transporta les jeunes gens dans un univers
féerique.
Ne voulant pas être en reste,
Bertrand prit sa mandoline et il chanta une ballade guerrière qui avait une
mélodie si particulière que chacun applaudit spontanément.
Marguerite s’adonna aux
préparatifs de la nuit et bientôt ceux qui se sentaient unis par les liens
amicaux se retirèrent pour goûter les effets d’un sommeil réparateur, riche en
rêves délicats.
Le lendemain, chacun reprit sa
route.
Bertrand remercia ses nouveaux
amis avec effusion et il leur demanda, comme une grâce, d’accepter une
invitation à venir quelques jours dans son château : il leur réserverait
un accueil chaleureux, plein de surprises avec un apparat digne d’eux.
Décidé à rejoindre le groupe des
chevaliers à la rose d’or, il offrit à chacun une magnifique création en or pur
qui symbolisait la rose chevaleresque de leur idéal.
Pressé de retrouver ses
compagnons, il poussa sa monture et finit par remonter son handicap.
Soulagé de les apercevoir au
détour du chemin, il éluda les questions, se contentant du récit réduit à son
minimum pour relater l’ensemble de ses aventures.
Leur randonnée touchait d’ailleurs
à sa fin.
Satisfaits de ne pas avoir
rencontré de bandits voire des assassins, les chevaliers rentrèrent dans leur
foyer.
Bertrand put alors se livrer à
des préparatifs soignés pour une réception digne de la jolie Marguerite et de
ses autres invités.
Lorsque tout fut prêt, il lança
les invitations, envoya son cocher avec le carrosse des fêtes et un attelage
flamboyant à destination de la maison où il s’était senti si heureux, n’oublia personne,
le couple d’artistes ainsi que le médecin et son épouse à qui il avait envoyé
un collier de perles d’une rare beauté comme il se l’était promis.
Le jour de la fête arriva.
Venue quelques jours auparavant
pour prendre ses marques, Marguerite découvrit avec ravissement une suite de
pièces qui lui étaient destinées.
Une armoire contenait de
magnifiques robes qui s’adaptaient à tous les événements de la journée et des
soirs de fête.
Des robes qui rivalisaient avec
les plus merveilleuses créations destinées à séduire une princesse dans le
conte Peau d’Ane auraient pu s’appeler robe couleur d’argent, couleur de feu ou
couleur de prairie avec un tapis de marguerites brodées d’or.
Marguerite ne put résister au
plaisir de revêtir la robe couleur de prairie et lorsqu’elle descendit dans la
salle à manger, elle fut frappée par la beauté du chevalier qui s’apparentait à
la légende de son enfance.
Vêtu d’un pourpoint de feu,
Bertrand avait l’allure d’un prince et c’est ainsi qu’elle accepta sa demande
en mariage, assortie d’un anneau d’or serti de pierreries.
Les fêtes se déroulèrent aux
accents d’une noce improvisée et lorsque tous les invités eurent pris congé,
Bertrand porta sa belle épousée dans le lit nuptial aux longs voiles brodés et
ils s’aimèrent jusqu’à la fin des temps.