jeudi 23 février 2012

Au royaume des Fleurs



Au royaume des fleurs, il y avait une charmille composée, selon la saison et le goût des maîtres jardiniers, de mimosas, de magnolias, de buissons ardents où se perchaient les chardonnerets avant de construire leurs nids, de clématites, de chèvrefeuilles et de camélias.
La reine des fleurs dont les robes reflétaient ses états d’âme entretenus par les poètes du royaume apparaissait comme la plus belle de toutes les productions florales du monde.
Après avoir lu de belles légendes africaines, elle avait décidé de boire du lait et de la bière de sorgho pour accompagner des filets de volailles marinés dans un jus d’oranges qui provenait de l’orangeraie du royaume. Cette orangeraie était sa fierté. Elle s’y promenait quotidiennement, faisant des pauses sous la pergola installée au plein cœur de ces arbres odorants. Elle lisait des œuvres d’Albert Camus dont une l’enchantait particulièrement. Il s’agissait de l’Été. En lisant ces pages, elle croyait sentir le parfum des amandiers et sentait sur ses lèvres le goût salé de la mer. Fermant les yeux, elle embarquait sur un voilier pour de fabuleux voyages.
Les chats couraient autour d’elle, rivalisant de charme. Les uns, angora, se cachaient car ils n’aimaient guère être caressés, les autres, plus ordinaires appréciaient les gentilles attentions à leur égard, prêts à s’échapper pour de belles escapades. Les promenades de la reine consistaient à explorer les confins de son petit royaume où des ruches productives offraient des promesses de miel.
Et puis un jour, il s’éleva une forte tempête qui détruisit le bel équilibre du royaume, jetant à bas charmilles, arbres à fleurs et à papillons, orangeraie et ruchers. La reine elle-même disparut pour se rendre sans doute sous des cieux plus hospitaliers.
Plus de fleurs, plus de livres, plus d’oiseaux, plus de royaume enchanteur… J’ai tâché de reconstituer l’ambiance de cet Éden perdu.
Retrouvez-le, en lisant mes livres, Mais où sont les roses d’antan ? notamment !

lundi 20 février 2012

La Reine Blanche



Il était une fois une reine blanche qui vivait en son palais entourée de fiers chevaliers à l’armure flamboyante. Sa devise était : « la rose percera la neige » et ses couleurs étaient celles de l’Orient.
Chacun se demandait quand elle se déciderait à choisir un époux mais la reine restait évasive et prétendait qu’elle était trop jeune pour accepter qu’on lui passe la bague au doigt. À sa nourrice qui craignait de ne pas vivre assez longtemps pour élever le premier né, elle disait gaiement que le dieu de l’amour lui enverrait peut-être une flèche sans l’avoir prévenue.
Afin de faciliter l’événement, le grand chambellan ordonnait bals, tournois, jeux de cour avec notamment l’usage du portrait énigmatique qui avait révélé tant d’inclinations réelles menant au mariage mais la reine assistait à tous ces plaisirs sans se dévoiler. On lui prêta une inclination pour un chevalier tant elle lui témoigna d’attentions, multipliant les recommandations mais on réalisa ensuite qu’elle avait agi de la sorte pour épargner un homme qu’elle savait malade.
Un jour, une petite escorte se présenta au palais entourant un homme fascinant à la beauté solaire, le regard criblé d’étoiles.
Il mit un genou à terre face à la reine et même dans cette position pleine d’humilité, la tête baissée, il avait un port royal, son long corps revêtu de tissus cousus et peints par des doigts de fée, pliant comme une belle fleur accablée par le soleil au zénith.
Quelques dames d’atour restèrent discrètement auprès de la reine tandis que l’assistance se retirait à reculons afin de ne pas gâcher une idylle naissante.
De fait, la reine éprouva un amour naissant pour ce beau prince venu de loin et au fil des jours, cet amour grandit tant il était plein de qualités, cultivé, modeste et prêt à jurer fidélité pour la dame de ses pensées.
Un grand tournoi fut organisé et le prince oriental insista pour y participer. La reine lui offrit ses couleurs, une écharpe blanche brodée de sa devise au fil d’or et le jeune homme valeureux, juste armé d’une lance et protégé par un bouclier s’élança au signal des trompettes pour affronter des hommes en armure, à cheval. Chacun s’attendait à le voir mordre la poussière tant les disparités étaient énormes mais l’incroyable se produisit : le prince les défit un à un avec une adresse qui relevait du prodige.
La foule l’acclama, la reine lui sourit tendrement tandis qu’une pluie de roses blanches jonchait la tribune royale.
Le soir, au souper, la reine annonça leurs fiançailles. On dégusta des volailles en vol-au-vent et l’on but du vin chaud épicé pour accompagner des pâtisseries au miel et au gingembre. Une pyramide de choux caramélisés fourrés de crème pâtissière clôtura le repas avec une coupe de champagne.
La nourrice ravie offrit au couple de belles pièces de linge brodées par ses soins et le chœur des chevaliers battus donna pour sa part une épée dont la poignée était d’or massif serti de pierreries au prince et un diadème d’argent et de turquoises à la reine qui avait fait le choix du meilleur des princes pour la stabilité de son royaume.
La reine accepta tous ces cadeaux en souriant et demanda que désormais elle ne soit plus désignée sous l’appellation de Reine Blanche. Mon prince m’a appris dit-elle que la couleur n’était qu’une nuance et que seul comptait l’élan du cœur !

dimanche 19 février 2012

Le Lion à l'ermitage



Un lion, taxé d’excessive cruauté par ses pareils et banni de son clan, s’était réfugié dans un ermitage après avoir rugi tout son soûl dans les forêts profondes.
Devenu végétarien par la force des choses, il avait dévoré des livres laissés par un moine penseur. Pleurant sur ses chasses effrénées, il alla jusqu’à couper ses griffes en signe de repentance.
Jugeant sa métamorphose complète, il décida de rentrer dans le rang et de concourir au sacre du roi léonin.
Il serait passé inaperçu si une vieille lionne qui lui avait servi de nourrice et qu’il avait défigurée d’un coup de patte magistral pour marquer son indépendance ne l’avait reconnu. Elle ameuta le clan de ses cris déchirants. « Comment oses-tu te présenter à nous, ô le plus détestable des lions ? » lui dit le roi lion qui remettait en jeu sa couronne de chêne, son pareil dans le monde végétal.
« Je me suis amendé, ô grand roi et je puis t’en donner l’irréfutable preuve que voilà » et ce disant il découvrit ses griffes fortement endommagées.
« Qu’avons-nous à faire d’un lion dépossédé de ses pouvoirs ? » dit le roi, plein de hargne.
« Retourne d’où tu viens et ne te présente jamais plus dans notre auguste assemblée ».
« Quelle ingratitude, roi de Carnaval ! Tu seras châtié de belle manière ! »
Sur ces mots, le lion repenti bondit sur le roi et lui sectionna, d’un coup de dent, son artère vitale. Puis, se tournant vers l’assemblée apeurée, la patte droite sur la dépouille du roi anéanti, proféra ces paroles définitives : « Un lion reste lion à jamais. Tenez le vous pour dit et tâchez de m’obéir en toutes circonstances, à moins d’être puni. »

Fable de notre temps



Sur les rives d’un étang vivait un roi soliveau.
Appuyé sur son tronc noué par les ans, un frivole narcisse chantait les louanges de son suzerain.
Survint un jour, venu de pays lointains, un prince caméléon qui devenait crapaud pour charmer les grenouilles. Prêtes à se faire gober par les hérons de sa suite qui se cachaient dans les roseaux, elles sautaient allègrement sur les feuilles des nénuphars, exhibant au soleil leur ventre rebondi.
Au moment même où l’armée de hérons se préparait à fondre sur leurs proies, apparut une bergère qui filait la laine en chantant. Les brebis l’escortaient avec grâce et amour tandis que quelques béliers bougons clamaient haut et fort leurs mérites de droit divin.
Le prince suspendit son geste vengeur.
La bergère était si belle qu’il en oublia sa métamorphose et apparut au grand jour, vêtu de fourberie inique et de drap noir.
Les grenouilles affolées se jetèrent sur le roi soliveau, piétinant le narcisse qui mourut en criant qu’il était beau et incompris.
Les hérons s’envolèrent vers une Egypte mythique pour se fondre dans l’or des sarcophages.
La bergère caressa délicatement les grenouilles et leur promit qu’on ne les mangerait jamais plus.
Quant au roi soliveau, il flotta, indécis, puis sombra dans l’étang qui renvoya, un instant, l’image d’un galion échoué sur les rives d’un autre temps.
Le sacre de la bergère fut royal. Le peuple du royaume s’endormit en rêvant qu’une ère de bonheur s’ouvrait enfin sur un infini blanc.

samedi 18 février 2012

Aux Hussards Noirs de la République



Ils sont venus de tous les horizons, les hussards noirs de la République, fermes et décidés à instruire les plus démunis comme autrefois, au temps où l’idéal était au rendez-vous. Une phrase à commenter était écrite sur le tableau noir, ensuite défilaient, sous forme de leçons et d’ ‘exercices le « gai savoir ». Rien n’était oublié, chant où la Marseillaise avait sa place, dessin, gymnastique et pour les filles, couture, broderie et tricot.
Les hussards noirs ne plaisantaient pas avec la discipline mais ils avaient le souci d’être justes et de respecter le principe d’Égalité inscrite au cœur de notre devise : Liberté, Égalité, Fraternité.
J’ai retrouvé l’ambiance studieuse et parfois déjantée dans la cour de récréation de ma jeunesse en lisant Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier, œuvre où l’on voit grandir, mûrir et parfois souffrir une âme d’enfant.
On aime poser une question embarrassante : Quel roman emporteriez-vous dans une île déserte ?
Plus jeune, j’aurais hésité entre Belle du Seigneur d’Albert Cohen et la Princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Aujourd’hui, je choisirais Le Grand Meaulnes tant les thèmes de ma propre vie s’entrecroisent dans ce livre plein de rêve, d’enfance et de réalisme campagnard, mon univers.
Par contre, je n’aimerais guère vivre dans une île déserte, même si elle était paradisiaque.
Le bruit des sabots dans les escaliers d’un collège à Concarneau m’est plus familier que celui des vagues ou des mouettes.
J’aimais l’odeur de la craie, des livres, des cahiers et le regard des élèves ouvert sur le monde que je leur proposais, poétique, rationnel, musical parfois hostile pour ceux que ma discipline n’enchantait pas. Le bruit du monde qui vient heurter les fenêtres d’une salle de classe, c’est le souvenir de ces humbles serviteurs de la République que l’on appelait Hussards Noirs en raison de leur zèle missionnaire à pourfendre l’ignorance et donner aux plus modestes l’étoile du Savoir.