mercredi 8 février 2012

Pèlerinage



Le long des ruisselets gelés, des enfants s’interpellent en riant. C’est à qui trouvera la plus belle couche de glace que l’on fait craquer du bout de ses souliers.
Joues roses, gants et écharpes de laine vont de pair avec bonhomme de neige et joyeuse sarabande autour du mythique géant.
T’en souviens-tu, Annie, nous échappions à la vigilance de nos mères pour rejoindre le monde fascinant des guerriers, une épée de bois leur battant les flancs car il n’y avait pas de trêve hivernale.
Nous les admirions et parfois nous les servions, tenant l’une un cartable, l’autre un sac de billes, le trésor, avec agates comptées une à une et admirées le soir, avec le nom de celui à qui on l’avait prise d’un coup de doigt génial. Un garçon ayant perdu toute sa mise, plaça sa sœur au milieu de la cible en annonçant triomphalement : Sibylle (six billes). Tout le monde rit et on fit cadeau à l’humoriste en herbe de quelques billes pour relancer le match. Mais la pauvre Sybille resta inconsolable d’avoir ainsi servi de mise.
Sur la route de notre enfance, Annie, il y a le grand noyer d’Argiolas dont le propriétaire défendait les fruits avec une brutalité sans égale. Nous avons été poursuivies à coups de pierres pour avoir juste voulu ramasser une noix !
Édith Piaf chantait « la vie en rose » mais nous vivions dans notre rue au milieu de personnes peu aimables qui nous confortaient dans notre vision manichéenne du monde.
J’ai un jour fait demi-tour sur mon petit vélo en revenant de l’école pour proposer mes services à une dame âgée, vêtue de noir qui pédalait avec souffrance. Je lui portai quelques paquets qui alourdissaient son porte-bagages. Depuis cet épisode, cette dame prononçait mes louanges et félicitait ma mère d’avoir une petite fille aussi merveilleuse. J’étais gênée pour toutes les couronnes que l’on me mettait sur la tête car en vérité, je l’avoue, mon idée première, en portant secours à cette dame, avait été guidée par la pensée qu’elle était peut-être une fée venue tester ma sensibilité. Tout le monde a en mémoire l’histoire de cette fée déguisée en vieille dame qui demande de l’eau à une jeune fille persécutée par sa belle-mère et sa demi-sœur. Sa bonne grâce et sa serviabilité furent telles que la fée, souhaita que des perles et des pierreries sortent de sa bouche toutes les fois qu’elle parlait. La belle-mère jalouse de ce cadeau envoya sa fille à la fontaine mais la fée avait pris l’apparence d’une jeune femme à la beauté éclatante. La fille la traita insolemment et elle reçut ce cadeau empoisonné : cracher des grenouilles et des crapauds à chaque mot.
Que j’aie pu ainsi entrer de plain-pied dans le monde merveilleux et cruel  des contes de fées en dit long sur l’expérience de la vie que nous connaissions dans le caravansérail des turpitudes et des misères au quotidien de notre fameuse rue qui nous était tout à la fois enfer et paradis !
J’aimerais cependant revenir sur les hauts lieux de mon enfance, regarder si les saules protecteurs des combats de mon frère sont toujours debout. Il y en a un en particulier, énorme, ventru et creux qui abritait les armes du groupe guerrier dirigé par Daniel. Il m’avait confectionné une échelle de corde. Juchée au haut de l’arbre, coutelas à la main, j’étais chargée de surveiller les armes et il paraît qu’un jour j’ai coupé l’échelle alors que des ennemis de Daniel montaient pour me faire prisonnière. Chose étrange !
Je n’ai jamais pensé que je pouvais être punie par les fées dans ces moments belliqueux. J’avais sans doute établi une barrière entre les deux mondes, celui des fées et celui, pur et lumineux où gravitait mon frère, intouchable et immortel !   

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