« Je veux jamais l’oublier
Ma blanche colombe ma blanche rade
O marguerite exfoliée
Mon île au loin ma Désirade
Ma rose mon giroflier ».
Accoudé sur le bastingage de leur caravelle, Fleur murmurait
des extraits de La Chanson du Mal Aimé de Guillaume Apollinaire et son cœur battait
follement à l’évocation du mot chéri « Désirade ».
De son côté, Narcisse sculptait une représentation du dieu
Amour.
Il entrelaça les ailes du dieu de baies pour envoyer un
signal à Myrtille, l’élue de son âme.
Ils finirent par arriver à la Désirade et les matelots à la manœuvre
pensèrent à leurs illustres prédécesseurs qui s’étaient écriés « O île
tant désirée » en découvrant une île après des heures de navigation sous
les ordres de Christophe Colomb.
La caravelle des princes baptisée Marguerites par discrétion
mouilla au large d’une crique qui semblait abordable.
Le lendemain, parés de leurs plus beaux atours, escortés par
leurs guerriers fidèles entreprirent une marche pour aller à la rencontre de leurs
dames de cœur.
Des porteurs les suivaient avec une cargaison de cadeaux les
plus divers destinés aux geôliers et à leurs belles.
Une jolie maison s’offrit à leurs yeux et ils ne doutèrent
pas qu’elle ne fût la villégiature des princesses.
Une jeune femme sémillante, vêtue d’un élégant costume
antillais en madras leur ouvrit la porte.
Les cadeaux déposés, les porteurs furent dirigés dans un
local destiné aux serviteurs.
Les princes et leur escorte furent introduits dans une vaste
pièce richement meublée.
Un prince noir se présenta et tout sourire leur enjoignit de
prendre place dans des fauteuils élégants.
« Quel bon vent vous amène, Messires » ? leur
dit-il dans un Français chantant.
Fleur se lança dans un discours courtois, énonçant le fait
que les élues de leur cœur résidaient dans cette demeure.
Le prince noir, Adonis, frappa dans ses mains chargées de
bagues et les princesses Myrtille et Myosotis firent leur entrée.
Vêtues à l’ancienne de soie et de dentelles, parées de fleurs,
elles n’avaient jamais été aussi resplendissantes.
Elles s’inclinèrent gracieusement devant leurs princes puis
prirent place à leurs côtés.
Après quelques propos anodins contenant parfois des allusions
à la Carte du Tendre, on passa à table.
Le prince Adonis avait voulu frapper les esprits en apportant
une note luxueuse et cristalline sur la table d’apparat.
Chacun prit place en respectant l’étiquette et l’on s’apprêta
à déguster un menu créole des plus savoureux.
Féroce d’avocats
Jambalaya à la créole
Chaudeau
Tourment d’amour
Des jus de goyave et autres fruits rafraîchissants
circulaient en carafes, apportant une note subtile.
Fleur saisit le prétexte du Tourment d’amour pour prendre la
parole et dire à quel point son frère et lui avaient souffert de la disparition
des princesses.
Le prince Adonis, désireux de s’exprimer à son tour, donna
enfin le motif de l’enlèvement de Myrtille et de Myosotis.
« Je voulais être sûr que vous les méritiez, c’est
pourquoi j’ai multiplié les embûches » conclut-il de manière surprenante.
« Mais ces fidèles dragons percés de flèches » s’exclama
Narcisse.
Adonis rétorqua que l’île avait subi les assauts d’ennemis
réels mais que ses hommes étaient arrivés à temps pour soustraire les
princesses à leurs velléités détestables.
« Une partie de mes hommes a emmené les dragons blessés
dans l’une de nos îles et je peux vous assurer qu’ils se portent bien à présent ».
Myrtille remercia le prince de ses directives puis elle passa
le relais à Myosotis.
« Nous demandons la permission de rester discrètes en
ce qui concerne nos sentiments. Cependant Narcisse et Fleur peuvent être
assurés de notre attachement, nous leur en avons d’ailleurs laissé des preuves
au cours de notre périple ».
Pour couper court à l’émotion qui commençait à submerger ses
hôtes, le prince Adonis conduisit les voyageurs et les princesses dans une
salle de bal où les attendait un orchestre.
De jolies créoles en costume coloré accompagnèrent les
messieurs qui n’avaient pas de cavalière et c’est ainsi que se termina l’odyssée
de nos princes.
Ils avaient retrouvé leurs amantes, elles les aimaient. Que demander
de plus ?
Nous refermons notre livre d’images sur une vue
resplendissante d’amour, d’océan et de mystère.