lundi 6 février 2023

Eugène, le dernier seigneur d' Audencourt Suite 3


«  La voilà, votre poupée » ! dit le médecin en me présentant et j’imagine que, l’espace d’un instant, ma mère connut un moment d’apaisement.

Les soucis ne lui avaient pas été épargnés.

Outre les difficultés liées à l’alimentation et les péripéties parfois dramatiques occasionnées par le statut administratif de mon père, sous la coupe allemande, un terrible événement se produisit.

Mon frère Daniel, enfant très éveillé, fut atteint par un mal mystérieux.

Maman le trouva en train de boire à longs traits l’eau de pluie contenue dans un seau. Pire encore, alors qu’il avait coutume de galoper dans la maison et le jardin, il s’affaissa comme une poupée de chiffon et fut incapable de marcher.

Le médecin du village hocha la tête sans mot dire et le bruit courut que le fils du secrétaire mourrait sous peu.

Dans la famille de ma mère, on s’inquiéta, Daniel passant pour le plus bel enfant de la terre et un cousin donna l’adresse d’un médecin dont la notoriété était reconnue. Ce dernier diagnostiqua le mal étrange : l’acrodynie. Par chance, il avait traité un cas similaire et avait réussi à guérir l’enfant. Mon frère devait être soumis à des rayons et recevoir des vitamines en quantité.

Pour les rayons, il fallait se rendre à la ville de Cambrai en taxi, mes parents ne possédant pas de voiture et ces déplacements obligatoires pour que la guérison se fasse nécessitaient une somme d’argent dont mes parents étaient démunis.

Un frère de Maman, l’oncle Paul dirigeait une banque à Walincourt et il prit sur lui le règlement de tous les frais.

Sa santé rétablie, Daniel redevint aux yeux de ma mère le dieu de la maison et tout rentra dans l’ordre, l’aura de l’oncle Paul s’étoilant du nom de sauveur.

Je n’ai gardé aucun souvenir de Maretz car peu de temps après la guerre, mon père fut heureux de se voir proposer un poste à Flines-Lez-Râches, près de Douai.

Cette commune plus conséquente que Maretz lui permettait d’être mieux rémunéré. De plus, mes parents laisseraient derrière eux les souvenirs mauvais unissant l’occupation allemande, les privations et la maladie de mon frère.

Par contre, Maretz avait été choisi par un oncle maternel en raison de sa proximité avec Audencourt, lieu de résidence de mes grands-parents. La succession d’événements douloureux avait empêché mon père de s’occuper activement de ses parents. Or, en choisissant un poste près de Douai, il s’éloignait considérablement du foyer familial originel.

Sans voiture, il fallut prendre le train, l’autobus et finalement parcourir des kilomètres a pied pour s’assurer que tout allait bien à Audencourt.

Je me souviens d’avoir marché, par temps glacial ; dans cette rue menant de Caudry à Audencourt. Tante Marie me réchauffait les pieds à l’aide d’une brique brûlante enveloppée dans un linge épais pour éviter les brûlures.

Du fait de ces difficultés, les déplacements se raréfièrent.

Ma mère n’avait jamais apprécié l’amour que son mari portait à sa mère et elle se livrait à des joutes oratoires dont elle sortait toujours vaincue, ma grand-mère, madrée et intelligente, ne s’en laissant pas conter facilement.

Papa acheta une voiture, une modeste 2 CV qui me sembla l’équivalent d’une Rolls Royce, mon amour des contes de fée ne m’ayant pas quittée.

La voiture était en principe destinée aux déplacements familiaux mais l’atmosphère devint irrespirable à Audencourt ce qui fut à l’origine d’une scission.

Mon père nous conduisait, Maman et moi chez sa sœur Lydie tandis qu’il voyait ses parents en toute quiétude.

La punie, c’était moi car de cette manière, j’étais privée de mes grands-parents et je devais subir le fiel de ma tante et d’une grand-tante, prénommée également Lydie, qui se déversait sur mon père et sa famille.

J’étais perçue comme une ennemie et lorsque l’on me désignait d’un coup de menton, Maman assurait : «  Elle ne dira rien ». Elle n’avait pas tort car je me taisais, gardant au fond de mon cœur mon chagrin et ma détresse.

Maman revenait avec de l’argent, une somme conséquente qui lui était donnée par sa tante à condition que mon père n’en bénéficie pas tandis que Papa laissait des billets à ses parents, le plus souvent démunis.

Ce clivage alourdissait l’atmosphère à la maison. Maman devenait de plus en plus dépressive et pour punir mon père, elle menaçait de se jeter dans le puits avec moi, sûre de lui porter un coup fatal.

Mon frère me faisait jurer de ne pas suivre Maman si elle m’entraînait vers le puits mais je n’en avais cure. J’étais certaine qu’au moment critique, une fée viendrait me sauver.

En fait, un jour, décidée à passer à l’acte, ma mère prit le chemin du puits avec moi mais, à mi-parcours, elle se mit à sangloter, me serra sur sa poitrine et me dit enfin avant de faire demi-tour : «  Viens, on va faire des gaufres » !

C’est un événement douloureux qui permit d’enterrer la hache de guerre. Mon grand-père eut un malaise cardiaque et fut atteint par un AVC. Le médecin lui donna un traitement et informa son entourage que, privé de la parole, il ne marcherait plus jamais.

Ce géant ne pourrait donc plus imprimer son mode de vie chez lui !

Pour la première fois, je vis mon grand-père dans un lit. Il fit comprendre par signes que ma mère et moi devions quitter la chambre. Il ne voulait pas que nous assistions à sa déchéance.

Grand-mère s’activait de mille et une manières, rehaussant ses oreillers et épongeant la salive qui s’écoulait au coin de sa bouche.

Ma tante Marie pria bientôt sa mère de la laisser faire car Grand-mère était devenue fragile au fil du temps.

Puis tout s’accéléra. Alors que Grand-père s’ingéniait à se redresser et à tenter ses premiers pas, Grand-mère dut subitement être hospitalisée : elle souffrait de graves troubles intestinaux. On l’opéra mais elle sombra dans le coma puis mourut après de longues journées de souffrance, veillée par ses enfants.

C’est ainsi que je la revis pour la dernière fois, couchée dans un cercueil, des fleurs parsemant joliment sa chemise de nuit blanche.

Grand-père était debout, en costume et il marcha derrière le corbillard pour accompagner son épouse jusqu’à se dernière demeure, une tombe ornée d’un marbre en Labrador, seul luxe qu’il put jamais s’offrir.

Ma tante Marie qui ne s’était jamais mariée pour veiller sur ses parents, quitta son emploi à l’usine pour travailler à domicile afin de subvenir aux besoins de son père.

Elle reprenait les motifs qui avaient été déchirés par la machine à la suite d’une maladresse.

Je la revois, assise près de la fenêtre pour y voir mieux, des flots de dentelle à ses pieds pour refaire la broderie abîmée à la main.

Des prétendants s’étaient présentés pour elle autrefois mais Grand-père avait toujours mis son veto.

L’un d’eux, certainement fort amoureux de ma tante, se maria finalement après avoir été éconduit à maintes reprises par l’élue de son cœur.

Il eut trois enfants et devenu veuf, il vint à nouveau demander la main de ma tante.

Mon grand-père était mort mais Marie demanda conseil à son frère qui lui dit : «  Reste tranquille ». De nouveau rejeté, le prétendant se le tint pour dit et ne revint jamais à la charge.

Je soupçonne mon grand-père d’avoir voulu garder sa fille pour lui. Il avait coutume de dire : «  C’est mon bras droit ».

Quant à mon père, il éprouvait pour sa sœur un sentiment particulier, similaire à celui qu’éprouva François-René de Chateaubriand envers sa sœur Lucile, l’inspiratrice de ses premiers écrits poétiques.

Ne parvenant pas à maîtriser la parole en dépit des exercices oraux initiés par ma tante, Grand-père retrouva le sens de la marche et parcourut la campagne, suscitant l’admiration des habitants d’ Audencourt . 


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