Jeune et emballée depuis toujours par la poésie, j’ai adhéré
à un cercle valenciennois baptisé pompeusement Cénacle Jehan Froissart, en
référence à l’illustre biographe historien natif de cette ville qui recèle un
immense trésor, La Cantilène de Sainte Eulalie, premier texte poétique écrit en
langue française, la coutume consistant, à l’époque , à utiliser le latin pour
tous les documents de qualité.
Le président du cercle, Jean Dauby, professeur émérite d’Anglais,
le créateur du groupe, succédait, pour la présidence, à l’ineffable Doris
Natali, poète classique maniant l’alexandrin avec une aisance fabuleuse.
Doris que je n’ai jamais vue mais qui est la personne avec
qui j’ai développé une immense correspondance, était partie vivre en Corse du
fait de la mutation de son mari.
Les réunions avaient lieu une fois par mois et Jean Dauby
avait instauré un rituel immuable.
Il nous lisait une longue lettre de Doris qui disait à quel
point nous lui manquions et elle se livrait à un panel d’anecdotes dans le style
de Madame de Sévigné.
Ensuite, il distribuait la parole et comme j’étais la
dernière venue, j’intervenais lorsque les stars, notamment Constant Ruffin et
sa fille Florence, remarquable poète, s’étaient exprimées.
Par la suite, j’eus droit à plus d’égards, Doris m’ayant
donné sa voix pour participer aux votes prépondérants.
Un jour, Jean nous présenta deux messieurs, fervents
adorateurs de la poésie qui, de surcroît avaient des titres ronflants. Ils ne
voulurent pas prendre la parole et semblèrent intéressés par notre réunion au
vu des notes qu’ils prenaient.
Or, le mois suivant, il y eut un coup de tonnerre :
sourcils froncés, Jean nous lut un article empoisonné écrit par les deux
traîtres qui était paru dans un journal régional de renom sous le titre de
Poudre de riz et vieilles dentelles.
Ils faisaient des gorges chaudes en évoquant la lecture
épistolaire de Doris, détournant ainsi ironiquement le titre de la pièce à
succès Arsenic et vieilles dentelles que ma mère affectionnait.
Leur style était corrosif mais excellent et je dus réprimer
un sourire car effectivement, un œil avisé pouvait nous voir ainsi, démodés et
un peu ridicules.
A dater de ce jour, Jean cessa de lire la lettre de Doris et
la fit passer pour une lecture silencieuse et avec notre accord, il changea le
mot cénacle en cercle, plus ouvert sur le monde.
Néanmoins la hiérarchie ne disparut pas.
Mon départ pour la Bretagne m’évita une rupture avec le
cercle.
Ce fut une belle rencontre qui me permit d’avancer dans la
recherche d’un style qui soit conforme à ma façon d’appréhender le monde.
Par la suite, J’eus la chance de rencontrer Eugène Guillevic
et de lui plaire.
J’ai gardé quelques-unes de ses lettres, des phrases
concises sur papier bleu avec un en-tête charmant : Madame Amie.
Aujourd’hui, je me contente d’écrire au jour le jour la saga
de ma vie qui s’effeuille comme les roses de Ronsard, avec feu ou en tapinois
mais toujours, du moins je l’espère, avec un parfum associé à l’amour !