samedi 1 août 2020

Chariot de Feu


Chariot de feu
Lorsque Lilian reçut la carte mystérieuse envoyée par mail, il l’examina attentivement puis jeta son dévolu sur Chariot de Feu.
Ce nom lui rappelait un film russe. Son amour pour les classiques de l’époque tsarine, Léon Tolstoï, Fédor Dostoïevski, Alexandre Pouchkine avec l’extraordinaire Dame de Pique éclata à la lecture de ce simple nom.
L’aventure était au rendez-vous de ce hameau, cela ne faisait aucun doute !
Il partit en hâte et lorsqu’il arriva à destination, il put constater qu’il ne s’était pas trompé.
Palais et isbas étaient répartis harmonieusement en étoile, autour d’un kiosque à l’ancienne où l’on n’attendait plus que des tsiganes.
Une grande maison bourgeoise avec un parc verdoyant lui était réservée.
Son nom, Lilian, ornait en effet la façade en spots lumineux.
Une jolie jeune fille, les tresses ornées de fleurs des champs, arborant une tenue pimpante, jupe et chemisier brodés, l’accueillit avec le sourire, s’étonna de le voir sans bagages et l’invita à entrer dans le salon.
Elle lui servit prestement des rafraichissements et des sandwiches à l’anglaise.
Ensuite, elle le conduisit à sa chambre qui était très spacieuse.
Un magnifique secrétaire en bois de rose, garni d’une écritoire choisie avec parchemins et encriers dotés de porte-plumes en ivoire, occupait le centre de la pièce, face à une immense fenêtre donnant sur le parc.
A nous deux Tolstoï se dit Lilian, mon Anna Karénine m’attend !
Elle est certainement juchée sur un chariot de feu et roulera jusqu’à moi dans un boucan d’enfer.
Maroussia, sa jolie hôtesse, dévoila le contenu de la penderie : des tenues élégantes étaient prévues pour chaque activité.
Une longue chemise et une robe de chambre d’inspiration balzacienne l’enchantèrent : ainsi vêtu, face à son écritoire, il ne manquerait pas de trouver l’inspiration !
Un bon bain le détendit. Ensuite il enfila une liquette de nuit brodée et plongea dans un lit douillet à baldaquin.
Le lendemain, après un copieux petit déjeuner, il se promena dans le parc, vêtu comme un personnage de Tchekhov, à la recherche de sa muse.
Bien lui en prit car elle lui apparut, sa muse, dans tout l’éclat de sa beauté.
Ses cheveux longs couvrant ses épaules à la manière d’une gerbe de blé, sa taille soulignée par une ceinture de pierres précieuses coulées dans l’or, couleur safran, ses pieds chaussés de sandales élégantes et argentées, son sourire enfantin et ses yeux de turquoise lui causèrent un choc émotionnel si heurté qu’il dut s’appuyer sur le tronc d’un arbre pour ne pas tomber.
L’apparition dit s’appeler Lauriane et elle effleura ses lèvres d’un baiser discret puis elle disparut comme elle était venue, tel un songe d’été.
Lilian regagna sa chambre, s’installa à son secrétaire et rêva un peu avant de trouver un titre qui lui plaise puis, muni d’un porte-plume en ivoire, il trempa la plume biseautée dans une encre turquoise, il écrivit en lettres gothiques sur un parchemin couleur sable : Rêve d’Amour.
Emporté par l’inspiration, enivré secrètement par la beauté de Lauriane, il écrivit plusieurs pages et ne s’interrompit que lorsque Maroussia l’informa que le repas était prêt.
Cailles farcies aux raisins, semoule fine alourdie par du beurre frais, pièce montée de choux pralinés aux dragées roses l’enchantèrent ainsi que des hanaps de limonade à l’eau de rose.
Cet excellent repas terminé, Lilian erra à nouveau dans le parc, espérant retrouver sa muse.
Ne voyant que des écureuils et des biches passant furtivement derrière les arbres, il s’imprégna de cette beauté forestière puis, pensant à l’intégrer dans son roman, il retrouva ses feuillets avec fièvre et brossa de magnifiques tableaux champêtres pour servir de toile de fond à l’idylle amoureuse qui se nouait entre la belle Lauriane et son amant Virgile qui ressemblait à s’y méprendre à son créateur, une certaine audace nuancée de romantisme en plus.
Se piquant au jeu de l’écriture, Lilian écrivit sans relâche, ne laissant reposer sa plume que sous l’insistance de Maroussia qui finit par se plier à ses nouvelles exigences alimentaires.
Faisant de sa muse une nouvelle Atala, la couvrant de feuillages et de fleurs dans ses descriptions haletantes, il voulut se régaler de plats du Nouveau Monde, à la mode de Chateaubriand.
Dindons mijotés et servis avec des épis de maïs grillés sur des braises, tartes aux pommes et chaussons fourrés au miel, caramélisés au sirop d’érable firent ses délices, fouettant son imagination au point de prolonger ses travaux d’écriture jusqu’à la tombée de la nuit.
Le soir, Maroussia lui apportait un plateau garni d’une tisanière et de plantes aromatiques facilitant le sommeil. Elle y ajoutait toujours de petites douceurs, calissons, berlingots ou noix enrobées de pâte d’amande.
Le temps passa au rythme de l’écriture et lorsque le roman fut achevé, Lilian se découvrit un cheveu blanc.
Cela ajoute à votre charme lui dit aimablement Maroussia.
Et lorsque les premiers flocons de neige se mirent à tomber, ensevelissant Chariot de feu d’une pèlerine d’hermine, Lauriane poussa la porte d’entrée, plus belle que lors de leur première entrevue et elle se laissa enlacer et embrasser par le romancier qui n’avait écrit que pour la magnifier et lui offrir le personnage de rêve de son roman d’amour.

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