Le bal des sirènes
Pour fêter sa victoire sur la vouivre, Serena organisa un bal
où toutes les sirènes, océanes, fluviales et lacustres seraient conviées.
Il fallut trouver un espace suffisamment grand pour
accueillir toutes ces dames et leurs prétendants.
Serena usa de tous ses pouvoirs, donna des perles sans
compter et faute d’endroit convenable, elle créa une île où chacun se rendrait
pour la célébration de sa victoire.
Juliette, Anémone et Bruno furent naturellement conviés. Ils
embarquèrent sur un voilier affrété par Serena, attentive au moindre détail.
Le grand jour arriva.
Sirènes, dauphins, éléphants de mer étaient au rendez-vous.
Un orchestre attaqua Le Danube Bleu et tout le monde se mit à
danser.
Bruno valsait à tour de rôle avec Anémone et Juliette et il
arriva, une fois de plus, qu’elles se confondent et ne forment qu’une femme, à
deux facettes, l’une terrestre et l’autre ailée.
La confusion aurait perduré si un prince, semblable à un
cygne noir, n’était pas arrivé sur la piste de danse.
Il s’inclina devant Anémone, notre alouette et la symbiose du
couple devint si flagrante qu’un tonnerre d’applaudissements se fit entendre.
« A présent, vous êtes toute à moi, ma douce Juliette »
murmura Bruno en enlaçant tendrement sa compagne.
Serena donna l’ordre de la mise en place d’un ballet
aquatique.
Au son d’une composition de Mendelssohn, les sirènes
évoluèrent avec grâce et enchantèrent les invités.
Un nuage couleur de feu apparut à l’horizon et l’on vit avec
stupeur un vol de chauves-souris fondre sur la piste.
Parmi cette gent ailée figurait la vouivre, vêtue avec
ostentation d’un collant hérissé de pointes. Semblable à un dragon des eaux,
elle poussa un cri rauque et fondit sur Bruno qu’elle voulut emporter comme une
proie.
Serena s’opposa à cette destructrice. Secondée par sa garde d’éléphants
de mer, elle réussit à chasser l’intruse en lui subtilisant, au passage, l’escarboucle
qui lui permettait de piéger les jeunes gens.
L’horizon retrouva sa clarté et Serena promit à Bruno et à
Juliette de leur offrir l’escarboucle le jour de leur mariage.
Juliette et Bruno remercièrent chaleureusement la reine des
sirènes et se promenèrent, main dans la main, en échangeant des mots doux.
On n’entendit plus parler de la vouivre mais je gage qu’elle
a dû tout mettre en œuvre pour reconquérir l’équivalent de son escarboucle et
je suis certaine qu’elle ne renoncera jamais à s’emparer de beaux jeunes gens
sensibles à son charme.
Bruno et Juliette firent construire un atelier de peinture.
L’artiste conçut la fresque qu’il avait imaginée en voyant,
pour la première fois, Juliette et Anémone.
Il l’enrichit des épisodes de sa vie en compagnie de la
vouivre.
La fresque orna le palais de Serena. Toutes les personnalités
aquatiques vinrent admirer le chef d’œuvre et chantèrent les louanges de Bruno sur
toutes les mers et tous les océans du monde, sans oublier les fleuves, les
rivières, les lacs et les étangs.
On vint de partout acheter des toiles du peintre et Juliette
vendit bien ses esquisses.
Ils reçurent un jour la visite de Swany, le prince cygne noir
et d’Anémone qui tenait dans ses bras une ravissante petite fille prénommée
Ondine.
Elle devint par la suite une danseuse renommée.
Ses fouettés ressemblaient à des battements d’ailes « d’alouette,
bien sûr, dit Juliette » et les deux amies se retrouvèrent, une fois de
plus, en parfaite harmonie.