dimanche 11 septembre 2022

La geste de Geneviève des faubourgs

 

La geste de Geneviève des faubourgs


« Ecoutez, braves gens, la complainte de Geneviève des faubourgs. Née sur les pavés de Paris, un soir d’orage, elle a été déposée sur le parvis d’une église, enveloppée dans un châle de gitane. Ces simples mots épinglés sur le châle : elle se prénomme Geneviève.

Recueillie par une bourgeoise en mal d’enfant, Geneviève a reçu une bonne éducation et sans doute aurait-elle pu prétendre à exercer une profession reconnue si le goût de l’aventure et de la bagarre pour défendre les orphelins ne lui était pas ancré dans une âme vagabonde, à l’image de sa naissance.

Voyous, petites frappes, malfrats, graine d’assassins, tremblez si Geneviève se trouve sur votre chemin car elle vous infligera une sévère correction si vous vous attaquez à plus faible que vous ».

Déroulant sa complainte au son d’un orgue de barbarie, un jeune homme dont la taille, les cheveux bouclés, le regard sombre et lumineux à la fois n’étaient pas sans rappeler les caractéristiques de Mouloudji, charmait son auditoire en psalmodiant ses mots comme autant de fleurs et les pièces tombaient dans le béret qu’il avait placé au pied de son instrument.

Geneviève glissa un billet et sourit hardiment à l’artiste qui ne sembla pas la reconnaître.

Charmée par ce moment d’émotion, Geneviève revint à la maison transformée depuis peu en salon de thé.

« Je crois avoir trouvé une attraction qui nous ramènera du monde dit-elle à Marguerite mais il faut que je peaufine ce projet » puis elle se mit gaiement au travail.

Elles avaient des habitués. Après avoir bu à petites gorgées du thé à la bergamote ou à la rose et dégusté les pâtisseries assorties, cornes de gazelle, gâteaux au miel, pets de nonne, merveilles et autres gâteaux traditionnels, les clients devenus des amis, jouaient aux échecs ou à des jeux de société associant la culture, le goût de l’énigme et l’amour des mots.

Les jours suivant la découverte de l’artiste, Geneviève s’ingénia à le retrouver afin de lui proposer un cachet destiné à un spectacle formel et quotidien.

En arpentant méthodiquement les rues et en jetant un œil sur les cafés, elle finit par le trouver.

Il chantait dans un bistrot populaire «  Chez Emile » et sa romance de Geneviève des faubourgs s’était enrichie de couplets exotiques.

La jeune fille s’assit à une table, commanda un cappuccino et se laissa bercer par la voix du chanteur.

C’était assez désopilant d’entendre sa propre vie se dérouler à la manière d’une geste populaire.

Elle songea alors qu’elle demanderait au jeune homme de remplacer le prénom de Geneviève par celui de Guenièvre, l’héroïne de la Table Ronde.

Lorsque le jeune homme eut terminé son tour de chant, il passa entre les tables, son chapeau à la main.

Les pièces sonnaient mais comme la première fois, Geneviève se fendit d’un beau billet et elle adressa une œillade à l’artiste, l’engageant à venir la rejoindre, son tour de table achevé.

Mario accepta la proposition avec enthousiasme car il n’était pas insensible au charme de l’héroïne de sa chanson.

Geneviève lui dit alors que son prénom était Guenièvre et qu’elle souhaitait l’engager dans le salon de thé qu’elle partageait avec une amie.

«  Si elle est aussi belle que vous, je suis votre homme » dit Mario en souriant puis il proposa à la jeune femme de se prénommer Lancelot, nom d’artiste pour s’harmoniser avec celui de Guenièvre.

Guenièvre, ainsi la nommerons nous désormais pour ne pas la confondre avec l’héroïne de la romance, lui dit en souriant que son amie était septuagénaire mais qu’elle faisait de délicieuses pâtisseries.

«  Va pour Lancelot mais juste le temps de la chanson car je vous signale au passage qu’il n’y a pas de Roi Arthur dans mon univers ».

Lancelot n’ayant pas de logement fixe, Guenièvre lui proposa de vivre dans la maison de Marguerite.

«  De cette manière, vous serez à pied d’œuvre pour vos tours de chant. Vous aurez le gîte et le couvert en plus du cachet dont nous débattrons demain après une bonne nuit de repos ».

Ils devisèrent gaiement en chemin et Marguerite accueillit Mario comme un fils.

«  Le bonheur est assuré » dit-elle en souriant et après avoir soupé avec entrain, ils allèrent se coucher pour se lever le lendemain frais et dispos.

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