vendredi 16 septembre 2022

Chez Marguerite

 

Chez Marguerite


Les affaires allant bon train, Marguerite fit construire un restaurant alliant le charme de l’art déco auquel elle était attachée et le confort moderne s’inspirant de Le Corbusier et de Jean Nouvel.

Elle attacha de l’importance à la cuisine, choisissant des appareils traditionnels et fonctionnels.

L’espace « au piano » était suffisamment vaste pour que les cuisiniers prennent leurs marques et évoluent avec efficacité.

Les salles et le bar étaient équipés d’un mobilier adapté à tous les profils. La décoration, riche, variée et harmonieuse incitait le client à s’attarder après le repas ou le thé servi l’après-midi.

Une salle de spectacle complétait l’ensemble professionnel de «  Chez Marguerite ».

Au nombre des habitués, on comptait les Bretons de la capitale qui n’avaient pas encore trouvé avant que naisse l’établissement à leur image, l’endroit idéal pour se sentir fouettés par les embruns et enivrés par les parfums de la lande.

De célèbres toreros et des amateurs de fandango venaient souvent se ressourcer et goûter les spécialités françaises les plus diverses.

Mario et son orgue de barbarie enchantaient les plus réticents à la poésie de rue.

La beauté de Geneviève planait dans les salles à la manière d’un feu follet, courant dans les bois, couronné de roses.

Honteux de sa dernière prestation auprès de cette légendaire reine de beauté, Oscar de La Vega n’avait pas osé réapparaître chez celle qu’il aurait pu aimer avec passion.

D’autres toreros, Javier Condé que l’on disait gitan, Swan Sotto et un torero landais, Thomas Dufau faisaient à présent partie des soupirants officiels de Geneviève.

Ils ne tarissaient pas d’éloges sur sa beauté, son charme et surtout, ce qui était si rare chez une femme, son art exercé du combat.

Afin de représenter la tauromachie à cheval, Léa Vicens dont on ne comptait plus les succès, prit place auprès de Dona Felicia, son idole.

Mario trouva chez un bouquiniste un livre où l’on chantait l’art de la belle torera.

Avec l’accord de l’auteur, il reprit le texte Hommage à Léa Vicens et en fit une nouvelle complainte ce qui ravit les spectateurs devenus amateurs d’art.

Hommage à Léa Vicens

 

Fière torera, tu apparais comme la reine des Amazones dans l'arène sablonneuse où la mort te guette.

Il s'agit, pour toi, de dompter un fils de Minos et lorsque tu le regardes, tu vois dans ses grands yeux cruels, le reflet de ta victoire car tu n'as aucun doute, Léa, et c'est là ta grande force.

Tu es belle, tes cheveux nattés brillent au soleil, ta tenue d'apparat étincelle et l'on se prend à rêver que tu aies choisi un autre destin.

La danse, le chant, la poésie seraient à ta portée. Pourquoi avoir choisi la mort, fût-ce celle d'un animal, comme privilège d'amour?

J'admire néanmoins ta prestance, ton savoir-faire et même si je redoute le moment où tu plantes des roses-poignards dans le corps du taureau, après ta folle chevauchée de femme-centaure, je retiens ma respiration car je sais que tu as pour objectif principal le maintien en vie de ton fidèle compagnon, ton cheval !

In Le Palais  des Délices Marguerite-Marie Roze Publibook Page 95

Le Tout-Paris voulut avoir sa table « Chez Marguerite ».

Des intrigues amoureuses se nouaient et se dénouaient au fil de soirées qui devenaient de plus en plus somptueuses.

Mais un jour, Marguerite, l’âme de la maison, ressentit un malaise. Il lui fut difficile d’articuler correctement une phrase simple.

Il fallut se rendre à l’évidence, la pauvre dame avait jeté ses derniers feux.

Geneviève l’accompagna dans un établissement où l’on soignait les personnes en fin de vie.

Elle resta à ses côtés jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle.

Marguerite s’endormit pour l’éternité dans un songe où Geneviève et son mari défunt se disputaient la première place.

Les obsèques furent émouvantes et aucun habitué ne fit défaut.

On ferma le restaurant durant trois jours.

On réorganisa le fonctionnement du restaurant, recrutant du personnel afin de pallier l’absence de Marguerite.

Heureux de pouvoir faire un geste qui assure les beaux jours de «  Chez Marguerite » dont on garda le nom, les toreros, Dona Felicia, le groupe des Bretons et des anonymes versèrent des sommes importantes pour assurer les finances de cet établissement chéri par les amateurs de bonne chère et de poésie.

L’âme de Marguerite s’intégra à celle de Geneviève et les deux femmes continuèrent à rayonner dans la belle maison où chacun se sentait chez lui.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire