dimanche 4 septembre 2022

L'île de l'enchanteresse

 

L’île de l’enchanteresse


Dans une île qui n’était répertoriée sur aucune carte du monde, vivait une enchanteresse.

On la nommait ainsi car ses actes bénéfiques étaient multiples.

Un pêcheur d’éponges ou de perles s’était-il blessé lors d’une plongée ? L’enchanteresse lui administrait un onguent qui cicatrisait ses plaies. Le pêcheur s’acquittait en lui offrant quelques perles dont elle faisait des colliers, des bracelets et des pendants d’oreille.

Des oiseleurs, des chasseurs, des amoureux de fleurs rares fréquentaient l’île et il arrivait parfois que l’un d’eux soit victime d’une blessure causée par un animal ou subisse les effets pervers et véniels provenant d’une fleur en apparence magnifique comme le datura par exemple.

L’enchanteresse trouvait alors l’antidote adéquat ou pansait la blessure qui pouvait être sérieuse.

Une fois guéries, ces personnes se montraient généreuses envers celle qui les avait sauvées. Coralie, l’enchanteresse prenait ces dons avec le sourire car ils lui permettaient de vivre.

Un chasseur organisa un banquet : des hures de sanglier préparées avec art, des gigots de marcassins et des barons d’agneau régalèrent les convives.

Sauvé d’une mort certaine à la suite d’un empoisonnement, Philéas, botaniste émérite fit appel au talent d’une artiste qui créait des bijoux en s’inspirant de fleurs pour offrir à Coralie des parures florales somptueuses.

Pour ses repas quotidiens, Coralie avait coutume de faire appel à un jeune pêcheur, Fabio, qui lui apportait les merveilles de la mer et des rivières.

Carpaccio de palourdes, crabes, brochets et saumons à la chair savoureuse figuraient parmi ses mets favoris.

Les fruits de mer faisaient également ses délices.

Par ailleurs, elle se fournissait en produits laitiers chez un couple qui tenait une ferme soignée où les animaux domestiques étaient traités royalement avant d’être sublimés par une préparation gastronomique digne de figurer sur la carte d’un aubergiste de renom.

Un maraîcher mettait à sa disposition les légumes et les fruits qui brillaient par leur excellence.

Bref, la vie de l’enchanteresse était rythmée par les offrandes dues à la pratique de son art de guérisseuse.

Chaque jour, les dauphins et les sirènes organisaient des jeux destinés aux enfants pour que leur épanouissement musical, culturel et sportif soit à son maximum.

Un jour, un voilier apparut à l’horizon. Il mouilla dans une crique réservée aux voyageurs.

Une jeune femme d’une grande beauté se tenait à la proue, véritable figure divine adorée par les matelots.

Elle débarqua dans l’île, escortée par des serviteurs qui installèrent à l’abri du vent et des embruns un magnifique piano et une harpe céleste.

Coralie invita la jeune artiste à prendre du repos en sa demeure et elle commanda à son intention et celle de sa maison, un repas composé de produits marins cuisinés avec raffinement.

Elle demanda aux menuisiers et aux charpentiers de l’île la création d’une maison des arts où l’on pourrait assister à de beaux spectacles.

En attendant cet édifice, le piano et la harpe trouveraient leur place dans une jolie maison où Coralie se retirait parfois pour se reposer.

« Chère Angélique des Embruns dit Coralie à la visiteuse, grâce à vos talents artistiques, notre île gagnera en notoriété. Je ne doute pas que des princes affluent sur nos rivages. Il nous faudra organiser des bals pour faciliter les rencontres ».

Angélique remercia son hôtesse et fit honneur au repas d’amitié qu’on lui servit en toute simplicité.

Le lendemain, elle se mit au piano et joua une sonate de sa composition. Perles, coraux, créatures marines et poissons prisés récompensèrent sa prestation.

Elle joua ensuite à la harpe un air à la fois mélancolique et plein de poésie.

Des enfants souhaitèrent prendre des cours et face à cet enthousiasme, Coralie commanda aux ébénistes et aux luthiers de l’île des harpes et des pianos.

Les jours s’écoulèrent ensuite au rythme des leçons et des concerts.

On préparait en sous-main un bal destiné à attirer princes, princesses, danseurs de toute origine, même très modeste et l’on mit en œuvre la préparation d’un généreux buffet.

L’orfèvre de l’île créa des rafraîchissoirs ciselés pour maintenir des boissons au frais grâce à une riche garniture de glace venue des cimes d’une montagne élevée.

Le grand jour arriva et l’on vit venir de tous les coins du globe des amateurs de danse, de musique et surtout des ardents chasseurs de rêves sentimentaux, à la recherche de l’âme-sœur.

Coralie présidait la haute salle d’un édifice construit pour la circonstance.

L’orchestre attaqua une valse entraînante et les couples se formèrent pour prétendre à la recherche de l’amour.

Les danses se succédèrent et l’on vit évoluer avec grâce et finesse des danseurs au talent quasi professionnel.

Un début d’idylle se noua çà et là et parfois une amorce de conclusion trouva un enrichissement gourmand au buffet.

Certains couples se dirigèrent vers les jardins pour profiter du clair de lune propice aux amoureux.

De nombreux princes, des plus avenants, firent une cour assidue à la belle Angélique mais la musicienne des anges ne se laissa charmer par aucun d’eux.

La pratique de son art la plaçait dans une bulle enchanteresse où l’amour se présentait comme un inaccessible point d’orgue.

De guerre lasse, quelques princes se consolèrent en offrant leur cœur à une jolie femme moins exigeante.

On entrevit des fiançailles et les heureux promus demandèrent l’hospitalité à Coralie pour ne pas briser le fil ténu de l’espérance qui reliait deux destinées.

Heureuse d’avoir participé à un bal de haute tenue, Angélique tint à remercier les participants, son hôtesse et toutes les personnes qui s’étaient activées pour faire de ce lieu de rencontre un enchantement.

Elle se mit au piano et interpréta divinement un air d’opéra.

Les princes éconduits éprouvèrent une sorte de soulagement.

« On n’épouse pas un ange » se disaient-ils avec philosophie et ils repartirent, le cœur léger, certains d’avoir connu un grand moment de bonheur.

Les mois passèrent et les deux enchanteresses, chacune à sa manière, devinrent inséparables.

Cependant il fallait mettre un terme à l’interrogation qui naîtrait nécessairement à l’esprit des habitants de l’île : Qui était l’enchanteresse ? Il ne pouvait y en avoir deux !

C’est alors qu’en observant le vol d’un colibri, Coralie trouva la solution : l’enchanteresse ne pouvait être qu’Angélique car son art était aussi rare et merveilleux que celui de cet oiseau capable de voler à reculons.

C’est pourquoi, elle décida que l’île de l’enchanteresse serait celle d’Angélique.

Quant à elle, elle garderait ses prérogatives et demeurerait la personne incontournable pour guérir les blessés et les malades.

Angélique soignerait l’âme et elle s’occuperait des corps, en retrait de l’artiste pour qui elle fit bâtir un manoir de marbre et de pierres précieuses.

Et l’on dit que la renommée de l’île fut telle que l’on vit venir de très loin des personnes qui éprouvaient le besoin de trouver de l’aide pour rechercher l’indispensable bonheur.

 

 

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