mardi 6 septembre 2022

Le fleuve rose

 


Le fleuve rose

Dans un archipel proche des îles sous le vent, à la suite d’une tornade qui déracina des arbres centenaires et fit voler les fleurs des cerisiers et des rosiers, un fleuve prit une teinte rose qui étonna les riverains.

« Du moment que les poissons ne sont pas affectés » dirent les pêcheurs avant de constater avec effroi qu’il n’y avait plus un seul poisson dans les eaux profondes du fleuve.

Des diseuses de bonne aventure prétendirent que le fleuve retrouverait sa couleur initiale et ses poissons lorsqu’un vent de pourpre soufflerait sur l’archipel mais personne ne crut que cela fût possible.

«  Autant dire quand les poules auront des dents » disait-on en se cachant car la superstition allait bon train et l’on redoutait les mauvais sorts.

Or le vent de pourpre finit par souffler et chacun attendit la réalisation de la prophétie.

Le temps passait et le fleuve gardait toujours sa couleur rose. Les pêcheurs se tordaient les mains de désespoir et un petit nombre d’entre eux songea à se reconvertir pour gagner le pain de la maisonnée.

Un homme apparut un soir et les villageois se demandèrent s’il n’avait pas un lien avec leur malheur : il arborait une tenue florale et sur son chapeau de randonnée on pouvait lire l’inscription suivante  «  Prenez soin de la nature ».

Il demanda à se loger dans l’auberge du village et lors du repas pris en commun il commanda une truite fumée et une matelote d’anguilles.

«  C’est impossible, monsieur : il y a des jours que nous n’avons pas pris un seul poisson dans notre fleuve » lui dit l’aubergiste et il proposa une omelette au fromage pour tout souper.

Le voyageur mangea l’omelette avec appétit et il savoura des palets de dame et de la crème pâtissière au dessert.

Le lendemain, il se leva de bonne heure pour se promener sur les rives du fleuve.

Désespérément rose, le fleuve s’écoulait tranquillement sans se soucier du désespoir des pêcheurs qui voyaient leur gagne-pain s’effilocher au fil des eaux qui chantaient sur les pierres.

Le voyageur revint chargé de pierres dont il avait fait une sélection : «  Voyez ce trésor, les amis » dit-il à la cantonade « Il suffit de broyer ces galets anodins pour en extraire des pierres précieuses ».

Le trésor des Gaulois est de retour ajouta-t-il plein d’enthousiasme.

« Il parle pour lui dit un pêcheur ; qu’avons-nous à faire de pierres précieuses ? Nous ne sommes pas joailliers ».

Mais d’autres pêcheurs entrevirent un moyen de sortir de l’ornière.

Le surlendemain, alors que l’on se demandait ce que le voyageur allait encore découvrir, on apprit par la servante chargée de préparer la salle de réception qu’il avait demandé sa note et qu’il avait ensuite disparu, s’évaporant littéralement dans la brume du jour naissant.

L’aurore sembla à tous un indice précieux et c’est un enfant qui annonça la bonne nouvelle : le fleuve avait retrouvé sa belle couleur nacre et l’on voyait nager quelques poissons, pressés de s’alimenter avant leur course vagabonde.

«  Hurrah » criait-on en se tenant par la main et l’on se dit alors que le voyageur était sans doute l’incarnation du génie du fleuve venu rendre aux habitants de la région le fruit des eaux vives nourricières.

Personne ne chercha à se procurer des galets car pensa-t-on sagement ce ne sont pas des pierres, fussent-elles précieuses, qui peuvent nourrir les êtres humains et chacun pensa que le génie du fleuve était venu leur donner un avertissement.

On se soucia davantage du devenir du fleuve, on entretint ses rives.

Plus personne ne jeta dans l’eau du fleuve des déchets susceptibles de dégrader la clarté de ses eaux.

Et le village retrouva sa bonne humeur et son souci de vivre heureux au sein d’un échantillon paradisiaque qu’il fallait préserver !

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