lundi 12 septembre 2022

Un châle de gitane

 

Un châle de gitane


Les trois chevaliers des temps nouveaux se relayaient à tour de rôle pour faire des incursions dans les faubourgs.

Guenièvre avait toujours en mémoire l’énigme de ses origines.

On l’avait déposée, bébé, sur le parvis d’une église, emmitouflée dans un grand châle noir avec un mot épinglé sur sa poitrine : Geneviève.

C’était un grand châle artisanal, fait au crochet, avec un motif cher aux gitans.

J’espère connaître un jour l’énigme de ma naissance se disait la jeune fille et elle aimait se perdre parfois dans des espaces réservés aux gitans.

Un jour, elle croisa le regard d’un jeune homme vêtu avec une certaine élégance.

Au pied de sa roulotte, il plaquait des accords sur une guitare décorée de roses sculptées.

Il se mit à chanter en voyant la belle Guenièvre.

Les yeux noirs provoquèrent en elle une saine émotion.

Il cessa de jouer lorsqu’une dame d’un certain âge, enveloppée dans un châle semblable à celui de sa naissance l’avertit que le repas était prêt.

« Puis-je vous accompagner ? J’ai de quoi payer » dit la jeune fille et Manuel, le chanteur s’empressa de la convier à prendre place près du feu où chauffait la crémaillère.

« Qu’il ne soit pas question d’argent, vous nous offenseriez. Les gitans aiment accorder l’hospitalité à qui la demande » lui dit Manuel en découvrant des dents nacrées par son sourire.

La dame, Maria, allait et venait, servant à la ronde des bols de soupe aux convives qui s’invitaient sans plus de façon.

Des grillades de viande aromatisées, enrobées dans des pains épicés furent ensuite proposées et Guenièvre félicita la cuisinière pour ce mets simple et délicieux.

Manuel ne cachait pas l’intérêt qu’il portait à l’invitée.

Il doit penser que je vais succomber à son charme se disait-elle, c’est parce qu’il ne me connaît pas.

Un cœur de glace dans une coque de feu, c’est ainsi que l’on m’a souvent définie !

Elle devait cependant s’avouer qu’elle n’était pas insensible à son charme et elle dut produire un effort pour ne pas succomber comme une midinette.

Des jattes de fromage frais et une compotée de rhubarbe clôturèrent le repas.

«  Assieds-toi près de notre invitée, mère » dit le jeune homme en remontant affectueusement un pan du châle qui avait glissé de son épaule droite.

Intimidée, le cœur battant, Guenièvre sentit la frêle silhouette frôler sa jambe en prenant place à ses côtés.

« Serais-je enfin en présence de ma mère et vais-je connaître le secret qui entoure mon enfance » se demandait Guenièvre, prête à tout entendre.

« Aimeriez-vous que je chante pour vous et acceptez-vous de danser  pour moi, belle enfant » dit Manuel d’une voix langoureuse.

Guenièvre releva le défi en posant une condition : «  Que Madame votre mère me prête son châle ! à propos, je me prénomme Geneviève ».

La mère de Manuel s’éclipsa pour revenir avec un châle de toute beauté, en cachemire.

«  C’est mon châle de fête dit-elle en souriant et il convient à merveille à une jolie jeune fille qui porte un aussi beau prénom ».

Guenièvre aurait aimé poursuivre la conversation mais Manuel lui désigna un emplacement réservé à la danse et elle eut à cœur de bondir à la mode gitane en se servant du châle comme un élixir d’amour.

La nuit tomba, on alluma des torches et la soirée se poursuivit jusqu’à l’aube, la danseuse aux pieds nus fascinant un auditoire suspendu aux accords d’un guitariste inspiré.

En voulant soutenir la cadence, Guenièvre finit par tomber d’épuisement.

On la transporta dans la roulotte de la reine des gitans qui n’était autre que la mère de Manuel.

Guenièvre ne retint de cet épisode final qu’une main fraîche caressant son front tandis qu’une voix chantante murmurait :

«  Geneviève, ma petite fille, te voilà enfin » !

Au réveil, elle ne vit à son chevet que le beau Manuel qui lui souriait de toutes ses dents blanches.

«  J’ai aussi une dent en or comme tout gitan qui se respecte » lui dit-il en effleurant ses lèvres avec amour.

Guenièvre but un bol de café chaud, mangea des tartines de pain beurré avec appétit et se mit en  marche pour rentrer chez elle, non sans avoir invité Manuel et sa mère à venir prendre le thé dans son salon.

«  Je vous y réserve une petite surprise » lui dit-elle.

« Dans cette attente, rétorqua Manuel, voici la nôtre » et il enveloppa les belles épaules de la jeune femme dans le châle de fête de sa mère.

« Elle y tient beaucoup, précisa-t-il  et elle vous révèlera le secret de vos origines lorsque nous viendrons chez vous ».

Guenièvre remercia Manuel pour le somptueux cadeau et elle reprit le chemin de la maison, le cœur léger.

 

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