dimanche 30 septembre 2018

Les Grandes Manoeuvres


Les grandes manœuvres
Campé sur son véhicule militaire, à la manière d'un Jules César, le jour de son triomphe à Rome, entouré par la garde républicaine à cheval dont il percevait le martèlement des sabots sur les pavés et le bruissement des uniformes rutilants, le président allait vers son destin.
Quelques heures auparavant, il avait assisté au départ de son prédécesseur puis il avait salué une assistance venue le congratuler.
Il serrait les mains avec chaleur, embrassait des citoyennes et il lui arrivait d'avoir un geste affectueux vis à vis de tel ou tel fidèle.
Ce geste n'était pas sans rappeler celui que Napoléon réservait à ses grognards en leur tirant l'oreille.
Il y avait, bien sûr, les "Marcheurs" de la première heure, notamment le connétable de Lugdunum, ville qui plut aux Romains et dont l'histoire fut glorieuse et industrielle, mêlant la soie et les plaisirs gourmands.
Ayant eu pour théâtre principal la même capitale des Gaules jusqu’à la mort tragique de Max, alias Jean Moulin, l’extraordinaire Daniel Cordier qui fut son secrétaire, avait foulé le tapis rouge qui menait au château, magnifique et élégant en dépit de son âge sans que les commentateurs ne citent son nom. Sans doute ne le connaissaient-ils pas et préféraient-ils disserter sur des sujets anodins, tels que les toilettes de ces dames ou des comparaisons avec les quinquennats précédents.
Le Président manifesta son émotion en serrant ce brave des braves sur son cœur.
Daniel Cordier, échaudé par les péripéties politiciennes des lendemains de la Libération, avait souhaité rester dans l’ombre, celle qui lui avait permis de rester en vie durant l’occupation, de sinistre mémoire.
Il était si jeune alors, si « bon chic bon genre » durant les tristes jours de la collaboration qu’il passait inaperçu. Sans doute portait-il encore en lui les stigmates des penchants de sa famille pour la droite politicienne, dans son berceau palois, idéologie à laquelle il avait adhéré.
Il avait révélé ces penchants à Max lors de leur première entrevue et le chef de la Résistance s’était montré amusé et imperturbable. Sans lui donner le moindre cours de morale, il avait décidé de faire de lui son bras droit, pensant certainement que le visage et l’allure de ce tout jeune homme, façonnés par les coutumes de la haute bourgeoisie béarnaise étaient idéaux pour un passeport sans faille.
On le suit, pas à pas, dans un livre qu’il a écrit, Alias Caracalla, où l’on mesure l’extrême dangerosité de la tâche qui lui fut confiée.
Le maquis des personnalités de la Résistance, souvent en compétition et songeant surtout à soutirer des subsides conséquents pour s’imposer en leader incontesté était aussi dangereux que la forêt où se cachaient les combattants de l’ombre.
Dans ce livre précieux et documenté, on peut découvrir les arcanes de la reconquête politique d’un pays désemparé par la trahison d’un maréchal, adulé par une grande partie de la population, volontairement aveugle et amnésique.
Mais pour le Président, c’était jour de fête et le dernier air joué par l’orchestre de la garde républicaine fut un extrait d’un opéra de Mozart.
Sa foulée juvénile le propulsa au pupitre où il fit un discours qui entra dans l’Histoire.
Le soir de son élection, il avait offert au monde l’image d’un pays réconcilié avec son passé, marchant gravement et triomphalement sur l’esplanade de la pyramide du Louvre, aux accents de la neuvième symphonie de Beethoven.
Héros stendhalien, il était l’incarnation d’un Julien Sorel qui aurait réussi sa vie en politique et en amour.

samedi 29 septembre 2018

Philae


Philae
Dernière fidèle du Président honni par tous, Philae, la chienne Labrador gardienne du château, multipliait ses actes d'amour, donnant naissance à dix adorables chiots.
C'était une grande satisfaction pour les derniers adeptes de Culbuto. Rien ne pouvait l'abattre.
Si d'aventure, des forcenés franchissaient les grilles pour venir l'insulter, voire le mettre à mal, Philae viendrait à son secours, faisant face aux agresseurs potentiels.
Oui, le Président n'était pas seul et il attendait sereinement que son successeur vienne le relever de ses fonctions.
Il avait le sentiment de ne pas avoir failli et d'avoir toujours choisi le meilleur itinéraire possible, après avoir étudié de multiples chemins, tous contradictoires.
Il aimait l'atmosphère des labyrinthes et se faisait fort de discerner l'infime fil d' Ariane qui le conduirait vers la lueur de l'espoir et une issue convenable et acceptée par tous, digne d'un chef d'état, titre qu'il n'aimait guère mais dont il s'était paré comme s'il se fût agi d'un gilet pare-balles, en période de guerre.
Or c’était le cas : le pays était en guerre et les lois stipulant l’urgence s’étaient succédées au fil des attentats, perpétrés dans un beau pays qui se croyait à l’abri  des résurgences de stupides guerres de religion.
Le Pape lui-même, François le bien nommé, hésitait à honorer de sa présence la terre qui avait pourtant été considérée comme la fille aînée de l’Eglise. Ce beau titre dissimulait en réalité l’épée qui avait permis aux papes de se maintenir dans un pays où ils n’étaient pas forcément les bienvenus.
Le sang des chevaliers Français avait coulé sur cette terre étrangère, notamment celui de Bayard, chevalier sans peur et sans reproche comme le rappelait sa légende.
Il demanda à être adossé au tronc d’un arbre, face à la terre de France pour rendre son dernier soupir, selon les dires de ses écuyers.
Dédaignant ces faits d’armes douloureux, le Pape François eut la dent dure pour un pays qui se disait laïque, affront suprême à ses yeux et rien, pas même le martyre du père Jacques Hamel, honteusement assassiné, égorgé pour être exact, par deux jeunes gens, égarés en ce monde, ne put le ramener à une juste raison.
Que Saint François d’Assise dont il a pris le nom, sans oser le revendiquer par humilité, le guide de manière judicieuse et le conduise à reconnaître le glorieux passé d’un pays sans lequel il ne pourrait pas, aujourd’hui, exercer sa charge !
Mais revenons aux derniers jours du désormais ex-président :
Attendant la venue de son successeur sur le perron du château, son énigmatique sourire aux lèvres, il semblait serein.
En somme, les faits donnaient raison à son indéfectible foi en l’espérance : tout était pour le mieux !
Lorsqu’il partit définitivement, une fois les entretiens terminés, ce fut en toute quiétude.
Rien ne vint ternir son départ.
Pas de cris, pas de quolibets !
Il s’effaça sans faire de bruit et comme Philae n’était pas à ses côtés, on supposa qu’elle avait été exfiltrée les jours précédents.
Le rideau tomba et le Président, nouvellement nommé, se livra avec bonheur à l’exercice de sa fonction, respectant un protocole immuable et saluant les personnalités venues l’applaudir !

mardi 25 septembre 2018

Quatrième de couverture de La Tulipe d' Or


« Après de longues années de silence et de retrait au cœur de son palais de cristal inconnu de tous, la fée Viviane se décida à se promener sur les berges du lac pour y cueillir des fleurs blanches miraculeuses qui avaient vu le jour.
Ces mêmes fleurs attirèrent le regard de Kylian et il se vêtit promptement pour en faire la surprise à Nour, la dame de ses pensées. C’est ainsi qu’ils mirent la main tous les deux sur la même fleur. »

Amour, aventure, légendes tissent les fils d’une tapisserie médiévale semblable à celles de la Dame à la Licorne, terreau légendaire et artistique incomparable.
L’auteur a fait sienne une maxime héritée d’un idéologue qui se plongea dans l’origine des légendes épiques : « au commencement était la route »
C’est ainsi que l’on se déplace beaucoup dans ce recueil mi- chevaleresque, mi- courtois, à la façon des troubadours.
Les voyages ont le plus souvent une portée onirique mais le livre s’achève dans l’évocation du terroir où vit l’écrivain, l’Armagnac !

samedi 22 septembre 2018

Le prince qui venait du nord


Le Prince qui venait du Nord
Dans un royaume protégé par des barrières rocheuses aux neiges éternelles, vivait un prince dont l’édelweiss était l’emblème. Il aimait poursuivre les chamois et s’extasiait devant des edelweiss car ces fleurs étoilées, aux pétales de velours, le mettaient en émoi. Il aimait les dessiner sur place pour les peindre ensuite au palais : il ne voulait pas les arracher à la vie, au cœur de leur écrin de mousses et de rochers.
Aucune jeune fille ne lui paraissait avoir une beauté comparable et lorsqu’il effleurait la joue d’une personne fraîche et avenante, il regrettait de ne pas ressentir une émotion identique à celle qu’il éprouvait au toucher de cette fleur merveilleuse.
Poussé par son entourage inquiet de le voir s’enfoncer dans un mortel célibat, il suivit les conseils des notables du royaume et prit la route du sud afin de rencontrer la princesse ou la jeune roturière qui lui ferait oublier les edelweiss.
Après avoir fait garnir les fontes de son cheval Topaze, ainsi nommé pour la couleur feu de sa crinière, de mille et un objets utiles pour un voyageur et des bijoux destinés à sa belle, le prince Amédée jeta un dernier regard sur ses belles montagnes et partit, un edelweiss à la boutonnière, pour l’aventure.
Il traversa ainsi mille et une contrées aussi différentes et belles, les unes que les autres, et au terme d’une longue chevauchée comprenant des haltes chez l’habitant, il décida de s’arrêter dans un lieu qui lui parut avenant.
Il frappa à la porte d’un manoir joliment fleuri en actionnant un heurtoir ciselé en bouton de rose.
La porte s’ouvrit et il découvrit un hôte étrange : élégamment vêtu, il arborait une chevelure bouclée et un sourire félin.
Amédée se présenta et prétendit vouloir aller à la rencontre de mondes différents du sien.
Son hôte l’invita à prendre place dans une pièce meublée avec goût et il s’assit dans un fauteuil profond.
On leur servit un agréable repas : galettes de sarrasin garnies de fromage et de salaisons, pichet de cidre et enfin une tarte aux fruits.
Amédée voulait converser pour remercier son hôte d’un accueil aussi agréable mais ce dernier invoqua une fatigue subite et le fit conduire à ses appartements.
Charme campagnard et confort étaient de mise dans une jolie chambre où trônait un grand lit aux voilages brodés. Il y avait un piano, un secrétaire et naturellement dans une pièce adjacente, tout ce qui servait à la toilette.
Après avoir pris un bain parfumé à la lavande, le prince revêtit une longue chemise et il ne tarda pas à s’endormir.
Le lendemain, il n’eut affaire qu’aux serviteurs, le maître des lieux ayant dû partir régler des problèmes dans ses domaines étendus.
Le prince songeait à partir mais le personnel le supplia de n’en rien faire : le maître leur avait bien recommandé de garder son hôte et de lui faire connaître toutes les beautés de son domaine.
Par courtoisie, Amédée accepta de rester et il se fit conduire dans un lieu que chacun trouvait merveilleux. Elie, le majordome se fit un point d’honneur à l’accompagner.
Le cocher s’arrêta devant une grotte de quartz rose, baignée de lumière.
Les deux hommes progressèrent à l’intérieur, allant de sculptures en fresques murales.
Une ravissante créature, vêtue de soie couleur lilas, aux mains décorées d’arabesques grâce au henné, façonnait un miroir en le plongeant dans un bain groseille.
Le résultat fut des plus réussis.
Amédée songea que des edelweiss finaliseraient la parure. Il formula sa demande en suggérant d’ajouter à ce chef d’œuvre les fleurs magiques de son pays.
La créatrice s’émerveilla de la beauté de la fleur qu’il portait toujours à la boutonnière.
De retour au manoir, il entreprit de styliser la fleur de mille et une manières et fut étonné de constater que la journée passait comme un rêve.
Au souper, il y avait une surprise : un petit orchestre avec pianiste, violoniste et joueuse de flûte interpréta une charmante sonate tandis que des plats exquis étaient servis par des jeunes femmes en robe longue.
Au dessert, la créatrice de miroirs fit une apparition. Vêtue d’une tenue de soirée vaporeuse, turquoise filée or, elle fit honneur aux îles flottantes sur coulis de caramel et pavés de myrtilles.
Elle donna rendez-vous au prince le lendemain afin d’orner ses miroirs de ces fleurs de neige qui offriraient des rêves à mainte princesse en mal d’amour.
Le lendemain et les jours suivants passèrent à la vitesse impulsée par la création.
Amédée et Oriane, l’artiste aux mains d’or, étaient au diapason.
Une fois façonné, le miroir s’ornait de fleurs neigeuses et aucun objet ne ressemblait à un autre, le dessin de la fleur épousant à chaque fois la forme initiale du conseiller des  grâces.
Un jour, une princesse joliment nommée Fleur de Lin fit une apparition remarquée.
Elle allait, d’un miroir à un autre, ne sachant lequel prendre et c’est Oriane qui lui suggéra de s’en remettre au choix du rossignol. C’est un stratagème qu’elle avait mis au point pour départager les acheteuses qui se disputaient parfois la même création. Elle sifflait un rossignol qu’elle avait apprivoisé et le charmant volatile se posait finalement sur une œuvre d’art, ce qui charmait tout le monde.
Cette fois, le rossignol opta pour un miroir particulièrement élégant car on discernait une silhouette bleutée sur l’étoile des neiges.
La princesse partit en laissant des pièces d’or et elle offrit au prince l’une de ses bagues en gage d’amitié.
Par la suite, Oriane dut recruter deux jeunes apprenties car les commandes affluaient.
Elle invita Amédée à faire de même et bientôt l’atelier retentit de rires, de chants et de silences sacrés au moment du dernier bain d’un miroir ou du dernier coup de pinceau fin qui devait offrir à l’objet son âme ciselée.
De jolies dames se pressaient à heure fixe et bientôt le choix du rossignol ne devint plus nécessaire car chacune trouvait sans hésiter le miroir de ses rêves.
Sur ces entrefaites, le maître du domaine revint en son manoir.
Le prince prit congé de son aimable collaboratrice et s’en fut au logis prendre un repos bien mérité.
Stanislas, son hôte, fut heureux d’apprendre que le prince avait occupé ses journées à façonner des objets d’art en leur donnant la touche finale.
Pour récompenser Amédée de tous ses efforts, il décida d’organiser une fête dont chacun se souviendrait avec délices.
Parties de chasse, recrutement de personnel pour s’affairer à la cuisine ou décorer une immense salle de bal fut à l’ordre du jour.
Stanislas tenait à ce que le prince soit somptueusement vêtu et il fit venir un tailleur accompagné par ses petites mains pour confectionner une garde-robe royale.
« Vous voulez me marier »  dit le prince en souriant, ce à quoi son hôte rétorqua qu’il était temps, pour lui, de songer à cet événement capital dans la vie d’un homme.
Il ajouta qu’en ce qui le concernait, il n’était plus question de songer à prendre une nouvelle épouse dans la mesure où la seule femme de sa vie avait malheureusement péri dans un accident, au cœur de la forêt.
Depuis, il se consacrait à l’entretien de son domaine et il prenait plaisir à accueillir des hôtes de passage, se faisant une joie de pouvoir leur donner un peu de bonheur.
Attristé par cet état de fait, le prince eut à cœur de participer aux préparatifs de la fête qui se donnait en son honneur. A la demande de son hôte, il calligraphia de nombreux edelweiss sur des cartes d’invitation et composa un joli texte destiné à susciter le désir d’assister à une élégante soirée :
« Vous qui rêvez, dans un château ou une simple demeure, rejoignez, pour son plus grand bonheur, le comte Stanislas qui organise une belle fête où les musiciens seront à votre service pour vous faire danser. Préparez-vous, en famille ou avec des amis et sachez que le buffet sera bien garni ».
Le jour de la fête arriva enfin et ce fut une succession d’attelages pimpants, ornés de roses et de rubans.
Vêtus avec élégance, les invités s’empressèrent de gagner la salle de bal et l’orchestre attaqua avec brio une valse entraînante.
Les couples se formèrent.
Le comte Stanislas ouvrit le bal avec une beauté qui déclinait toutes les nuances de mauve et le prince invita une charmante jeune fille vêtue de rose, si timide que cette couleur lui montait aux joues, lui donnant un charme supplémentaire.
Toute la soirée se déroula sans incident et chacun fit honneur au buffet.
La jeune fille timide se prénommait Bella, ce qui lui convenait à merveille.
Le lendemain, le comte apprit au prince que cette jeune beauté était orpheline et qu’un lien de parenté lui avait conféré le bonheur d’être son tuteur.
Il ajouta que sa fortune était considérable et que si des liens amoureux devaient se tisser entre son hôte et sa pupille, il verrait cette union d’un bon œil car il tenait le prince en haute estime.
Le prince n’osa pas l’informer de son rêve, à savoir épouser celle qui lui ferait oublier les edelweiss, tant cette idée lui semblait absurde à présent.
Pour ne pas froisser un hôte aussi prévenant, il le remercia chaleureusement, invoqua le jeune âge de la jolie Bella et prit la décision de retourner dans son palais des neiges.
Il invita fermement le comte à venir chez lui, aux premiers rayons du soleil printanier et insista sur le fait que son hôte pourrait venir en compagnie de personnes choisies pour leur charme ou leur efficacité.
« Naturellement, si votre pupille n’a pas rencontré son prince charmant, je me ferai un devoir et le plaisir de l’accueillir avec tout l’éclat qu’elle mérite ».
Après ces belles paroles, Amédée regagna sa chambre et connut une nuit étoilée d’edelweiss.
Le lendemain, il quitta son hôte, le remercia avec effusion et prit la route du retour sur son cheval Topaze.
Il fit une halte chez son amie, lui offrit des rubis et des pièces d’or en échange de quelques miroirs, siffla le rossignol magique, baisa la main d’Oriane avec infiniment de délicatesse et l’invita à venir le voir au printemps.
Il chevaucha allègrement, songeant aux fêtes qu’il donnerait pour remercier ses amis de l’avoir si bien accueilli.
Il fit halte chez les personnes qui l’avaient reçu lors de l’aller et lorsque les tours de son palais se profilèrent à l’horizon, une nuée d’oiseaux noirs s’abattit sur lui et il eut fort à faire pour protéger ses yeux.
Malgré la bravoure de Topaze qui faisait front avec courage, il fut désarçonné, perdit connaissance et quand il retrouva ses esprits, il gisait au fond d’une grotte.
Les oiseaux noirs avaient disparu et des brigades de petites fées et de lutins s’affairaient autour de lui.
C’était une grotte marine en forme de coquillage et le roulis de la mer se faisait entendre.
Il était encore faible, c’est pourquoi il se laissa dorloter par ces esprits mutins qui lui apportèrent des plateaux de fruits de mer savoureux.
Ses forces revinrent grâce à ce régime iodé et il prit la direction de la grève.
Il apprécia les bains de mer et plongea avec délice dans ces eaux turquoise, rivalisant avec les dauphins.
Ses souvenirs avaient disparu et lorsqu’il trouva dans l’une de ses poches, un edelweiss, il fut surpris par la blancheur nacrée et veloutée de la fleur.
Pendant ce temps, l’arrivée de Topaze, sans son cavalier, stupéfia l’entourage du palais.
On examina les fontes et chacun fut ravi d’y trouver de merveilleux miroirs, décorés avec tant de délicatesse qu’on y vit la main du maître.
On fit des battues.
Topaze conduisit les notables jusqu’à l’endroit où les oiseaux funestes les avaient aveuglés mais il n’y avait plus de trace de leur passage, si ce n’est un piétinement évident, l’empreinte des sabots s’étant ancrée dans la terre meuble.
Au printemps, les invités arrivèrent et c’est avec consternation qu’ils apprirent l’étrange disparition du prince.
Oriane fut la seule personne qui put monter Topaze.
Tous deux firent de longues promenades dans les alentours et lorsque le moment du départ fut proche, le majordome prit l’initiative d’offrir le cheval du prince à celle qui l’avait sauvé du désespoir : Topaze était arrivé au palais en hennissant de douleur et depuis, il dépérissait !
Oriane fit provision d’edelweiss avant de partir, se promettant de reprendre les motifs floraux du prince.
Quant à Bella, elle chassa sa mélancolie en écrivant de jolis poèmes qu’elle réunit en un livre, enluminé par des chamois et des roses.
« Si d’aventure, tu reviens, prince de mon cœur, n’oublie pas que la petite Bella ne laisse pas s’effacer ta belle image de prince charmant.
Amédée, je te réserve un amour immense si tu parviens à revenir en ce monde de neige et de glace, nacré de ces beaux edelweiss que tu aimes tant ».
Elle écrivit ces mots à l’encre sympathique car elle craignait que l’on se moque d’elle en ce palais éloigné de son royaume.
Loin de se douter de tous ces événements, le prince qui ignorait jusqu’à son nom, se laissait bercer par le roulis des vagues.
Un jour, il aperçut, au loin, un voilier qui se dirigeait vers son paradis.
Les voiles arboraient des fleurs brodées qui firent battre son cœur. « Des edelweiss » balbutia-t-il et soudain, la mémoire lui revint.
Des images se bousculèrent dans son cerveau, son palais nordique, les chamois et les edelweiss, l’atelier d’Oriane et ses miroirs, son hôte et surtout, Bella dont la beauté était gravée au plus profond de son cœur.
Le voilier s’arrêta à bonne distance et une chaloupe se dirigea vers le rivage.
Une jeune femme, à la blondeur parfaite, illuminée par les edelweiss qu’elle portait par brassées, Bella elle-même, mit le pied sur la plage et courut se réfugier dans les bras de son fiancé.
Fées et lutins s’activèrent dans la grotte et préparèrent un véritable festin de fiançailles.
Un gâteau cuit à la broche aux senteurs de vanille clôtura ce repas digne d’un roi.
Bella et Amédée firent honneur à toutes ces merveilles et l’équipage y alla de si bon cœur qu’il n’en resta pas une miette.
Bella confia à son compagnon qu’elle n’avait jamais perdu l’espoir de le retrouver et qu’elle s’était servie des edelweiss comme d’un talisman et d’une boussole.
C’est ainsi que je suis venue jusqu’à vous, conclut-elle avec un charmant sourire et Amédée lui répondit par un baiser passionné.
La suite, vous la devinez, ce fut un retour triomphal au palais et le couple se maria en grandes pompes.
Ils décidèrent de rester au palais jusqu’à la naissance de leur premier enfant et lorsque la venue du prince Victor-Jean survint, les heureux parents se firent annoncer pour le printemps suivant dans les domaines de Bella et de son tuteur, à l’origine de leur rencontre.
Quant au souhait d’épouser la jeune fille qui lui ferait oublier l’incomparable beauté des edelweiss, il était réalisé puisque Bella incarnait à elle seule, cette divine splendeur en déclinant toutes les nuances de blancheur nacrée, voilée de rose, aux couleurs de l’aurore de la fleur unique des cimes.
Ainsi finit l’histoire du prince qui venait du nord et de sa quête éperdue du bonheur, à l’image veloutée des edelweiss qu’il portait en son cœur.