Si
l’on m’avait dit que je devrais à nouveau porter la cuirasse de ma jeunesse
pour chasser l’ennemi infiltré dans notre royaume, je ne l’aurais pas cru.
Mais
hélas ! les vents mauvais poussent dans nos villes, nos villages et nos
forêts des miasmes porteurs des germes de la guerre et nous voici, comme au temps
des croisades, en partance vers la reconquête d’un idéal perdu, celui de nos
rêves cristallisés dans un semis de roses.
Pour
mettre toutes les chances de son côté, la reine combattante fait un pèlerinage à
la forêt de Brocéliande où l’esprit des chevaliers flotte dans la brume
nocturne. Elle plonge son bouclier dans le miroir aux fées et la fontaine de Barenton,
se dirige ensuite vers le château de Ponthus qui, uniquement pour elle, renaît
de ses pierres éparses auprès du vieux hêtre, l’âme de la forêt. Elle demande
au maître forgeron qui vit dans les dépendances du château d’enduire son
bouclier d’une pellicule magique à base de pétales de roses d’orient et d’une
glace en provenance de Russie, près du lac Baïkal.
Ainsi
enduit, son bouclier reflètera l’âme de l’ennemi et les mauvais génies qui se
nichent dans les replis de barbes à l’imitation des écorcheurs d’un peuple
ancien adorateur des forces telluriques tomberont comme autant de serpents et
de dragons dont il suffira de trancher la tête pour s’en débarrasser à tout
jamais.
La
reine accepte ensuite l’invitation du chevalier de Ponthus, à l’armure noire
comme le jais.
Ils
devisent aimablement autour d’une ronde de tourtes variées, de préparations
gélifiées et de quenelles rondes cuites au bouillon.
Puis
un intermède musical s’offre à eux, chants de Gérard Lomenech et harpe celtique
de Nolwenn.
Ce
moment de grâce passé, les desserts arrivent, portés par de jolies jeunes
filles en toilettes bretonnes, des ananas surprise d’où s’échappent grains de
grenades et dés de mangues avec une farandole d’amandes ou caramélisés au sucre
roux.
Des
hanaps de cervoise circulent à la ronde car de nombreux jeunes gens, les futurs
chevaliers de la reine se sont joints à leur seigneur. Des jeunes filles de
haut lignage sont également présentes à ces festivités et c’est pour elles que
l’on sert en carafes des boissons aux mures, aux framboises et à l’orgeat.
La
soirée se termine en un bal de bonne tenue au son des binious et de la
cornemuse.
La
nuit fut excellente pour la reine et les habitants du château.
Son
séjour se prolongea jusqu’à ce que le maître de forge ait terminé l’ouvrage. Le
bouclier resplendissait de mille feux et son revêtement inédit permettrait de
distinguer l’ennemi du royaume d’un ermite à la longue barbe aux intentions
pures.
Après
avoir conclu un arrangement avec le seigneur de Ponthus, la reine s’en retourna
dans son palais et envoya des émissaires dans tout le royaume afin qu’on lui
envoie la fine fleur des guerriers. Elle exigeait notamment qu’ils soient
également de fins lettrés car ce n’est pas de brutes sanguinaires dont elle
avait besoin mais de nobles chevaliers capables de les combattre.
Un
afflux de jeunes gens, beaux, habiles à manier les armes et compétents dans l’art
des Belles Lettres renouvela les environs du palais.
Prévoyant
ces arrivées, la reine avait fait construire des pavillons dotés d’écuries car
la reconquête des terres perdues du royaume se ferait à cheval.
Des
maîtres d’armes furent réquisitionnés et donnèrent des leçons à en perdre le
souffle.
Enfin
lorsque tout fut en bonne voie, la reine commanda à tous les forgerons du
royaume des boucliers sur le modèle exclusif du sien et ce ne fut que
martèlement, souffle de forge et coulées de lave dans un bain de roses d’orient,
l’ingrédient magique qui opèrerait à la manière du bouclier de la Méduse.
Les
colonnes se déployèrent alors dans tout le territoire et dès qu’un individu
portant longue barbe ou arborant un regard et un sourire fuyants était en vue,
l’un des soldats de la reine, après l’avoir distrait en fichant une lance
au-dessus de sa tête, lui infligeait le test du bouclier. L’un de ces
misérables fut vite démasqué car une nichée de vipères et de reptiles
répugnants sortit de la barbe de l’ennemi du royaume. L’agresseur en devenir
fut mis en cage sans ménagement, un barbier se faisant fort de raser
impérativement tout système pileux en développement.
Quant
aux personnes qui arboraient la barbe par coquetterie ou souci d’allégeance à
Dieu, elles n’eurent aucun souci et passèrent leur chemin avec une pièce d’or
octroyée par la reine pour récompenser leur loyauté.
Cette
épreuve dura plusieurs mois et fut si efficace que les derniers ennemis du
royaume préférèrent s’enfuir plutôt que de terminer leurs jours dans une cage.
Les
félons étaient nombreux c’est pourquoi la reine, la mort dans l’âme, prit la
décision de mettre fin à leurs jours car il restait à chacun, au coin de l’œil,
la brillance du fanatisme.
Heureuse
d’avoir rendu à son royaume toute sa beauté et son éclat, la reine rentra dans
son palais et avant de se séparer de ses loyaux chevaliers, elle ordonna de
grandes fêtes qui restèrent dans les mémoires comme les signes avant-coureurs
de belles noces. De nombreux couples se formèrent en effet à cette occasion et
ce furent des noces qui renouvelèrent la génération Brocéliande aux couleurs de
la reine !
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