Un voile de capucines

Lorsqu’elle fêta sa seizième année, Capucine décida de se vêtir désormais de robes à l’image de la fleur éponyme que ses parents avaient choisie pour célébrer sa venue au monde.

Cette jolie fleur délicate et utile pour repousser les insectes indésirables abondait dans son jardin.

Capucine en orna une tonnelle sous laquelle elle aimait se retirer pour lire et écrire.

La poésie faisait partie de sa personne et elle s’ingéniait à composer des élégies en l’honneur de cette fleur merveilleuse.

Un jour, elle eut la surprise de voir apparaître sur sa pelouse un jeune homme dont la tunique était ornée de muguet.

«  Je ne suis pas le prince Lily of the Valley, belle Capucine et je ne vous emmènerai pas au bal des fleurs car cette jolie coutume célébrée dans les contes n’existe pas chez nous » dit-il plaisamment à Capucine qui s’excusa sur le même ton de n’être pas la princesse Forget-me-Not ».

Elle invita ensuite le jeune Raphael à prendre le thé en sa compagnie.

Ils prirent place dans le boudoir et Eliane, la dame de compagnie de Capucine plaça sur un guéridon des tasses de thé au jasmin accompagnées de macarons.

Tout en conversant, les nouveaux amis dégustèrent le thé et les douceurs sucrées.

Raphael révéla qu’il était peintre paysagiste et portraitiste. Il proposa à Capucine de faire son portrait, ce qu’elle accepta avec enthousiasme.

Il installa son chevalet dans le jardin et la jeune modèle prit la pose près de la tonnelle où grimpaient les capucines gardiennes du potager.

Pour donner une note claire au tableau, Raphael plaça un bouquet de roses blanches dans les bras de Capucine et il brossa rapidement une ébauche, se réservant le loisir de peaufiner les détails ultérieurement afin de ne pas fatiguer la jeune fille avec des poses prolongées.

Il promit de revenir le lendemain avec un tableau soigné. Or le lendemain et les jours suivants, Capucine attendit en vain le retour du jeune peintre.

Raphael ne lui avait pas donné son adresse de sorte qu’elle ne put s’enquérir de son devenir.

Le temps passant, elle se résigna à rester seule. Elle demanda à son jardinier de planter des bulbes de lys noirs pour marquer son deuil et composa des toilettes imprégnées de ces fleurs royales à l’image de son cœur.

Un jour, en visitant la boutique d’un brocanteur, elle eut la surprise de voir son tableau. C’était bien son portrait. Pimpante dans ses voiles de capucines, portant sur son cœur un bouquet de roses blanches, elle semblait immortelle.

Elle acheta le tableau et interrogea le marchand sur sa provenance.

«  Il faisait partie d’un lot d’ameublement à la suite d’un sinistre ».

Capucine obtint l’adresse de la maison où s’était déroulée la vente aux enchères.

Elle rentra chez elle, plaça le tableau dans son boudoir en souvenir de sa rencontre avec Raphael puis elle prépara soigneusement son voyage vers La maison des roses, le domaine du peintre.

La maison des roses appartenait à un beau domaine soigneusement entretenu. Des rosiers y abondaient, justifiant le nom de la demeure.

Capucine se présenta à une jeune femme avenante qui l’invita tout de suite à prendre un rafraîchissement. Au cours de leur conversation, Capucine apprit que son hôtesse ne savait rien concernant le peintre qui l’habitait hormis le fait qu’il avait été laissé pour mort à la suite d’un cambriolage subi au moment même où il donnait la touche finale à un tableau, vraisemblablement son chef d’œuvre.

«  Savez-vous où il se trouve actuellement » demanda Capucine à la jeune femme. Ophélie, la maîtresse des lieux lui donna l’adresse d’un hôpital où la victime tentait de retrouver la mémoire avec des soins appropriés.

Capucine remercia Ophélie et s’en fut, sans plus tarder à l’adresse indiquée, un bouquet de roses blanches à la main en souvenir du matin de la pose.

Elle se présenta à l’hôpital comme la fiancée de Raphael et obtint l’autorisation de le rencontrer.

«  Capucine, mon aimée » s’exclama-t-il en la voyant et les brumes qui obscurcissaient sa mémoire s’évanouirent à l’instant même.

Le médecin ne put que constater la guérison de son patient et délivra son autorisation de sortie.

Dans la calèche personnelle de Capucine, Raphael ferma les yeux avec volupté et laissa son esprit le guider vers le jardin enchanteur de Capucine où il avait trouvé l’amour.

Capucine reprit avec bonheur ses robes en voiles colorés et son bouquet de mariée composé de roses porta en son cœur une éclatante collerette de ces modestes fleurs à l’image de son âme.