jeudi 25 mai 2023

La lettre de Roxane


Après le petit déjeuner consistant en café et chicorée à la crème double, parts de pain perdu et brioches à la confiture maison, Ophélie se cala dans le rocking-chair de sa mamie et lut attentivement la lettre que le notaire lui avait transmise avec les clefs de la maison et le chèque du legs correspondant aux économies de Roxane.

«  Ma chère Ophélie, lorsque tu liras cette lettre, je ne serai plus de ce monde. Sache que je t’ai chérie comme la meilleure partie de mon être et que j’ai aimé ton choix de vie et les tours de chant qui cependant m’éloignaient de toi.

Tu as composé sans le savoir des paroles et de la musique que n’auraient pas désavouée la grande Taos Amrouche et le groupe Djurdjura.

Le sang de nos ancêtres coule dans tes veines.

Je me nomme Soraya en réalité ; le prénom de Roxane venu de la pièce de théâtre que j’avais étudiée en classe m’a servi à m’intégrer dans le village de ton grand-père Gabriel.

Je l’ai rencontré dans le maquis, en grande Kabylie où je vivais sans souci jusqu’à ce que nos colonisateurs s’acharnent à nous maintenir dans l’état de dépendance où nous étions depuis tant d’années et se livrent à une guerre sans merci sans oser lui donner ce nom.

Gabriel n’avait pas supporté cet état de fait, jugeant la guerre illégitime et il avait quitté son unité à l’aube.

Se débarrassant de son uniforme, il était en train de revêtir des vêtements civils lorsque je l’ai surpris.

Poignard à la main, il m’aurait été aisé de le tuer mais nos regards se sont croisés et ce fut un coup de foudre réciproque.

Nous ne nous sommes jamais quittés et lorsque la guerre fut terminée, Gabriel m’emmena dans son village Maroilles et j’y trouvai tout de suite mes marques.

Désormais j’y vécus, vêtue à l’européenne, avec un prénom emprunté au théâtre.

La naissance de ton père Raphael nous a emplis de joie. Nous formions une famille unie et sans histoire.

Ton grand-père avait repris son poste de professeur d’Histoire au lycée de Cambrai et de mon côté, je cousais, brodais, dessinais, vendant mes ouvrages à la commande. Nous étions aisés et avons pu donner à Raphael une éducation soignée.

Il avait hérité de mon don pour le dessin et nous l’avions inscrit dans un établissement renommé pour l’obtention de diplômes recherchés dans le domaine industriel.

C’est dans cet établissement, à Armentières, qu’il a rencontré ta jolie maman, Déborah au beau sourire et aux talents culinaires exceptionnels.

Ils ont été heureux et le point d’orgue de leur bonheur fut ta naissance.

Hélas, un jour funeste, ils ont croisé un conducteur qui avait perdu le contrôle de son véhicule. Ils ont été tués sur le coup et leur véhicule broyé fut l’élément clef de la collision.

Selon leurs volontés, tu m’as été confiée : tu n’avais que cinq ans !

Voilà, ma chère Ophélie, ce que tu dois savoir.

Je suis si lasse que je vais devoir poser la plume. Le reste, tu le découvriras au fil de tes recherches car l’âme de nos ancêtres s’est infiltrée dans ton être, te poussant sans cesse à aller au fond des choses.

Ta grand-mère qui t’aime plus que tout depuis le départ de son cher Gabriel, atteint par une longue maladie qui l’a bien fait souffrir.

Il me tarde de le retrouver dans les champs d’éternité où depuis longtemps il m’attend. Soraya ».

Après la lecture de cette longue missive, Ophélie se recueillit dans le jardin, cherchant, parmi les fleurs, l’âme de sa grand-mère chérie.

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