samedi 10 octobre 2020

Madeleine des Merveilles

 



Experte dans l’art de mettre au jour après cuisson au four ou en friture Oublies ou Merveilles, beignets aux pommes ou aux fleurs d’acacia, selon les saisons, Madeleine s’était fait un nom et chacun, naturellement, établissait un lien entre son prénom, si doux et si beau, avec l’onctueuse douceur de ce gâteau ancestral qui nous renvoyait immanquablement à la légendaire page de Marcel Proust qui voyait surgir un pan de son enfance à partir d’une tasse de thé où l’on faisait délicatement tremper une madeleine dorée et dodue à souhait dans la chambre de sa tante Léonie.

« Moi, je m’occupe surtout du présent » disait Madeleine avec enjouement et elle repartait vers ses fourneaux.

De son côté, Léandre, jeune berger, descendait des alpages car son intuition lui présageait des orages violents et il tenait avant tout à la sécurité de son troupeau sous la garde de Cerbère, son chien fidèle, capable de garder les enfers tant il avait l’œil à tout incident prévisible.

De retour chez lui, Léandre mit le troupeau à l’abri, fit venir une jeune femme experte dans la traite des brebis et la confection des fromages et après avoir confié Cerbère à son grand-père qui se ferait un devoir de lui offrir beaucoup d’amour, il se reposa avant d’entreprendre des travaux d’embellissement de la demeure ancestrale, nommée La Jalousie, sans que l’on connaisse l’origine de ce nom étrange.

On disait dans le village que ses aïeux étaient les seigneurs des Alpilles et qu’ils n’avaient pas leurs pareils pour séduire les jeunes filles.

Ce sont là des contes pour enfants, se disait Léandre qui n’avait pas du tout envie de papillonner à l’envi et de jouer les séducteurs.

Cependant, lorsqu’il vit Madeleine au marché, vendant ses alléchants produits pâtissiers, il changea d’avis.

Loin de lui l’idée de la séduire et de l’abandonner ensuite pour passer à une autre : elle lui apparut divinement belle, simple et accueillante, parfaite pour le commerce et la vie au foyer.

Celui qui atteindra son cœur, se dit Léandre, aura assurément conquis l’assurance du bonheur.

Décidé à concourir pour une éventuelle participation à une épreuve éliminatoire, Léandre décida de mettre toutes les chances de son côté.

Prétextant l’organisation d’un banquet festif pour son retour des alpages, il acheta en nombre des merveilles et autres délices, des pains d’épices et bien entendu de belles madeleines qui fondaient sous le regard en exhalant des parfums de fleurs d’oranger.

«  Naturellement, chère demoiselle, vous serez mon invitée d’honneur car sans votre contribution, mon repas ne serait pas aussi prestigieux, si je réussis mes préparations culinaires, il va sans dire.

Appelez-moi Madeleine lui répondit la jeune fille en souriant et si vous le souhaitez, je suis prête à vous aider, pour que votre repas soit mémorable.

J’ai hérité de ma grand-mère une recette de ris de veau qui fait merveille et j’ai plusieurs pots de foie gras d’oie en réserve.

Pour une mise en bouche réussie, je suggère une garniture de foie gras sur une fleur de pains d’épices ainsi qu’une gelée de roses délicatement posée sur des blinis que j’apporterai tout chauds au sortir de la poêle.

Merci chère Madeleine, Léandre pour vous servir ! N’en ajoutez plus sinon je n’aurai aucun mérite auprès de mes invités dont vous serez la reine.

Pour le plat principal, j’appliquerai également une recette ancestrale, celle de l’agneau farci rôti à la broche.

Quelques tourtes de volaille, un plat de saumon à l’oseille et un vol-au-vent à la sauce financière et aux champignons complèteront ce menu princier ».

Les amoureux de la gastronomie se quittèrent sur de belles promesses et Léandre regagna La Jalousie, décidé à réussir le plus beau des repas.

Il envoya des invitations sur des cartes fleuries puis au retour des acceptations, il dressa un plan de table, enchaîna les préparatifs et comme promis, le jour de fête venu, Madeleine vint en char à bans car elle était chargée de délices gourmands, de vaisselle précieuse, de linge de table brodé et de compositions fleuries.

Les invités prirent place en se félicitant du choix judicieux du plan de table : l’harmonie était de mise et chaque personnalité avait son faire-valoir.

Les conversations allaient bon train tandis que la mise en bouche, à base de foie gras d’oie et de gelée de roses ravissaient les palais.

Tous les plats furent appréciés et l’on servit de la cervoise, du cidre et du vin liquoreux tandis que les carafes d’eau claire circulaient à la ronde.

Le dessert fut une apothéose.

Pour ne pas être de reste, des invitées avaient apporté des douceurs gourmandes qui avaient contribué au renom de leurs familles, en s’améliorant à chaque génération.

Gâteau cuit à la broche, gâteau basque à la crème et aux cerises noires, pastis landais et crème double à la vanille et au caramel, mousse au chocolat, tout fut à l’avenant !

Enfin repus et heureux, les participants à la fête s’apprêtaient à ôter le couvert et débarrasser la table pour danser lorsqu’un homme de belle taille, aussi brun que Léandre était blond, apparut dans l’embrasure de la porte, son accordéon finalisant sa tenue de velours noir à la Tyrolienne.

Il se présenta, Ludwig des Ménuires, se laissa tenter par un morceau de gâteau cuit à la broche, si extraordinaire et si fondant, savoura une coupe de crème à l’angélique, but un peu de cidre puis, avec l’assentiment de tous, il mit de l’ambiance en interprétant Roses de Picardie avec beaucoup de finesse et de brio.

Les airs se succédèrent, Perles de cristal, Les fiancés d’Auvergne, la java bleue, Les Triolets et enfin La valse de l’amour qui fut bissée tandis que les couples se laissaient aller aux joies de la rencontre passionnée.

Ludwig des Ménuires termina son récital en beauté avec La marche des cheminots et un morceau tout en finesse intitulé Aubade d’oiseaux.

Il envoya des baisers au public qui lui réclama un dernier morceau.

C’est alors qu’il s’inclina dans la direction de Madeleine et qu’il prononça ces paroles qui lui firent monter le rose aux joues :

«  Pour la plus belle jeune fille de la soirée, Madeleine des Merveilles, j’interprèterai Reine de Musette, un air qui me tient à cœur, où je mettrai toute ma flamme.

Divine beauté, je suis à vos genoux ».

Il joua et l’on eût dit qu’un ange était venu sur terre pour emmener avec lui l’amour de sa vie.

Beau joueur, Léandre s’éclipsa et laissa des consignes à son second pour clore la soirée, laissant la belle Madeleine au roi de l’accordéon qui avait su conquérir son cœur !

 

 

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