vendredi 9 octobre 2020

Pivoines, perles et parchemin

 



En procédant à des travaux d’embellissement de son palais, agrandissant l’aile sud grâce à un pavillon de marbre rose, plein de charme, la reine Eléonore se fit remettre par les artisans un parchemin ancien que l’on avait trouvé en creusant près des fondations.

C’était un parchemin orné d’églantines et d’aubépines. Le texte était court et énigmatique :

«  Porte, mon cœur, mon amour qui se veut immortel ! Eléonore, ma douce-aimée, je franchirai les mers, j’enjamberai les siècles pour poser mes lèvres sur les tiennes, dans un ultime acte passionné. Guillaume d’Aquitaine ».

Troublée par ce message dans la mesure où il s’adressait à une dame aimée portant son prénom, Eléonore étudia son arbre généalogique mais n’y trouva aucune trace d’un Guillaume d’ Aquitaine.

Elle interrogea sa nourrice qui connaissait toute l’histoire de sa famille et était la mémoire vivante des habitants des villages environnants.

Pas le moindre signalement d’un Guillaume d’Aquitaine ni même d’une Eléonore.

La reine décida de faire encadrer le parchemin après l’avoir mis sous verre puis de le placer dans le vestibule, espérant qu’un visiteur pourrait lui donner un indice et la mettre sur la voie d’une révélation de l’amour à travers les âges.

Elle organisa une fête et, sous prétexte de faire admirer une coupe sculptée qui ornait la table de son boudoir, fit passer les invités par le vestibule, avec l’ordre de ne presser personne et de placer des flambeaux près du parchemin.

Cette ruse porta ses fruits car un serviteur prit note de l’émotion et de la fébrilité d’un seigneur voisin, le comte Renaud de Lencouacq.

Bouleversé, il demanda la permission de s’asseoir près de l’objet d’art pour en admirer les contours et les ciselures.

Chacun put cependant constater que la coupe n’était pas l’objet principal de son émotion.

Eléonore, en parfaite maîtresse de maison, donna le signal des réjouissances en levant son hanap à la santé de tous ses invités.

Elle avait fait parvenir un plateau garni de douceurs, mets savoureux et boissons régionales à base de raisins ou de pommes voire de houblon.

Toujours sous le choc, Renaud de Lencouacq fit cependant honneur à cette part du festin qui lui permettait de rester à l’écart des autres convives et de vivre le scénario d’une histoire oubliée que l’on se transmettait de manière générationnelle sous le sceau du secret.

Une main fraîche se posa sur la sienne et une jolie voix mélodieuse lui murmura :

«  Si vous me donniez la clef de l’énigme, Monseigneur » ?

Alors le comte oublia son serment.

Eléonore était si belle qu’il ne pouvait pas taire cette page d’amour qui concernait sa famille et celle de son hôtesse.

Il parla et un scribe prit note de ses dires.

L’un de ses ancêtres tomba follement amoureux d’Eléonore la Pieuse, ainsi nommée pour son attachement à un ordre contemplatif qui devait lui ouvrir la porte des cieux.

Il réussit à séduire la jeune fille avant qu’elle ne prononce ses vœux mais les parents de la future religieuse à qui l’on avait déjà donné le nom de Sœur Clémence, s’ingénièrent à éloigner le seigneur amoureux, le désignant comme le commandant  d’une expédition lointaine vers Jérusalem, dans l’espoir qu’il perde la vie au combat.

Les deux amants eurent une dernière entrevue avant cette désignation fatale.

Certains d’être faits l’un pour l’autre, ils échafaudaient des plans pour leur avenir, Eléonore se portant garante de son renoncement au cloître.

Hélas ! De retour au château Guillaume d’ Aquitaine trouva son destrier prêt à être enfourché. Son écuyer lui présenta ses armes et l’ordre de partir en guerre.

La mort dans l’âme, le jeune homme écrivit la lettre d’amour à sa bien-aimée, l’assurant qu’il mettrait tout en œuvre pour lui revenir, confia le parchemin à sa tourterelle et partit vers l’Orient qui eut raison de sa vaillance.

On fit croire à Eléonore que Guillaume était parti pour une province du Nord afin de convoler avec une riche héritière et un proche dissimula la lettre entre deux briques d’un mur servant à édifier un oratoire pour l’usage de Sœur Clémence, future novice qui devint par la suite mère abbesse d’un cloître dédié à la Vierge Marie.

Le frère cadet de Guillaume, Louis de Roquebrune,  assura la descendance de la famille tandis que Marguerite des Bastides, sœur de Clémence, épousait un noble voisin, Thibault de Marquèze et donnait naissance à plusieurs enfants au nombre desquels figurait Victoire des Adrets, l’aïeule d’Eléonore.

Le nom des amants fut ainsi effacé des tablettes familiales afin de ne pas constituer une offense à Dieu.

La vérité courut néanmoins dans le feuillage du bois où les amants s’étaient rencontrés, se jurant un amour réciproque éternel car la tourterelle du seigneur confia à qui voulait l’entendre, la romance de Guillaume et d’Eléonore, ce qui devint un secret transmis de père en fils.

«  Si nous brisions cette omerta dit Eléonore à Renaud encore ému par son récit. Certes, ma reine, il est temps de rompre le silence, dit le jeune homme puis pour excuser son trouble, il ajouta : si je me suis comporté avec tant d’émotion c’est qu’en recevant ce récit des lèvres de mon père sur son lit de douleur, j’avais l’impression d’écouter une histoire certes émouvante mais dénuée de fondement.

La lecture du parchemin me l’a rendue terriblement vivante et dramatique ».

Et pour clore ce roman poignant, Renaud de Lencouacq posa délicatement ses lèvres sur celles d’Eléonore, rendant ainsi le serment de Guillaume authentique et  présent.

Le jour de leurs noces, une envolée de tourterelles se nicha dans les bosquets de pivoines et la plupart des invités firent cascader les perles, symbole la pureté et de l’amour, dans la corbeille de la mariée.

La jeune femme se promit de réhabiliter l’oratoire de son aïeule et c’est dans ce bel édifice que l’on baptisa les enfants nés de leur union qui devinrent ainsi la preuve vivante que l’amour triomphe toujours du mensonge et de la méprise.

Renaud et Eléonore portèrent à leur paroxysme la passion des amants malheureux et ils entrèrent dorénavant dans la légende des amours éternelles.

 

 

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