samedi 31 octobre 2020

Le Saint Graal

 



Alors que Rose du Buisson Ardent régnait en maîtresse absolue sur le cœur de son époux Jehan des Roselières, acquérant une dimension altière qui n’était pas sans rappeler la magnificence de Dame Guenièvre, les chevaliers Jocelyn de Rohan, Perceval d’Audierne et Benoît des Forges s’approchaient de Fol Espoir en déployant leur bannière où apparaissaient nettement les contours du ciboire sacré, le Saint Graal.

En découvrant le symbole de la pérennité du royaume, les guetteurs furent si émus que certains en perdirent l’usage de la parole et c’est sous forme de message illustré que Jehan apprit la nouvelle.

Il ordonna immédiatement que l’on prépare des festivités hors du commun et que l’on décore l’oratoire de la chapelle qui attenait au château.

Fleurs, lys et roses notamment, amour en cage et pensées au cœur d’or, perles, rubis et diamants furent parsemés sur l’autel et les bancs seigneuriaux ou chevaleresques.

Les dames ne furent pas oubliées : des coussins brodés, dignes de la grande époque des cathédrales adoucirent la rugosité des chaises hautes et des bancs qui leur étaient réservés.

Follement épris de Rose du Buisson Ardent, Jehan des Roselières exigea un double capitonnage pour la chaise royale de son épouse car il ne voulait en aucune manière qu’un élément extérieur vienne ternir la rose intime et secrète de son corps, celle qui lui était exclusivement réservée.

Or, Rose du Buisson Ardent lui avait appris, dans un souffle, que dorénavant ils seraient deux et tandis que l’humeur jalouse du seigneur atteignait son paroxysme, elle ajouta bien vite qu’un fils habitait son corps et s’emparait d’une moitié de son cœur.

Se maudissant d’avoir pu douter de sa dame, Jehan célébra cette nouvelle en honorant la fleur de ses sources vives avec une infinie tendresse et une douceur exquise.

Il interdit à sa dame d’entrer dans les cuisines, sauf pour y choisir un aliment ou réclamer un plat dont elle pourrait avoir envie et il souhaita que la couture, la broderie et la tapisserie soient ses uniques occupations, comme il seyait aux dames de son rang.

« Finis les tourments d’amour à pâtisser, mon ange car vous êtes mon unique tourment et je me meurs d’amour lorsque je suis en vous !

Nous chercherons un nom qui soit le plus adapté à la beauté de ce fils que vous me donnerez, ô ma Dame d’amour et s’il s’agissait d’une fille, j’en serais tout autant enchanté et ému et nous lui offrirons le plus beau des prénoms ».

Après cet intermède tendre, passionné et ardent, Jehan des Roselières se prépara à recevoir les chevaliers du Saint Graal tandis que son épouse, doublement chérie, brodait les premiers points de la rose d’amour qu’elle destinait à leur premier enfant.

Jehan fit préparer la Table Ronde et convoqua les chevaliers présents au château pour entendre le récit des aventures se référant au Saint Graal.

Lorsque la petite troupe arriva au château, un voile de brume s’abattit sur les tours, dispersant des étoles de soie tandis qu’une musique céleste se faisait entendre.

Les hommes d’armes furent accueillis dans la salle qui leur était réservée et on les débarrassa de leurs cuirasses.

De jeunes pages les aidèrent à redevenir des hommes de cour en épargnant leurs corps meurtris et en leur apportant des vêtements agréables à porter et flatteurs pour  leur silhouette virile.

Une collation leur fut ensuite servie.

Pendant ce temps, les chevaliers prenaient un bain et revêtaient une tenue d’apparat.

Boissons et toasts leur permirent de trouver l’allant nécessaire à un exposé de leurs aventures.

En pénétrant dans la salle du conseil, ils déposèrent délicatement le ciboire sacré qui était enveloppé dans une mousseline brodée d’anges et de cœurs sacrés de Jésus.

Chacun eut l’impression de voir voler des chérubins ailés et l’on entendit à nouveau la musique céleste qui semblait provenir d’une harpe.

Jocelyn de Rohan félicita leur seigneur d’avoir eu l’idée de se faire passer pour des chevaliers proposant une thèse qui serait présentée à la Sorbonne, éliminant ainsi la méfiance inéluctable éprouvée par les dames notamment  à l’encontre des chevaliers.

Benoît des Forges qui avait dû faire réparer les fers de sa monture, était resté quelque temps dans un hameau et il y avait fait la connaissance d’une charmante jeune fille, Eglantine du Reposoir, ainsi nommée parce qu’on l’avait trouvée, bébé, enveloppée dans un lange de laine au cœur d’un buisson d’aubépines qui fleurissaient les murs d’un reposoir dédié à la Vierge Marie.

Eglantine du Reposoir avait une beauté céleste qui provoqua des ondes amoureuses dans le cœur du chevalier.

Il n’eut aucune peine à solliciter sa compagnie, prenant le prétexte de l’étude de Chrétien de Troyes pour s’attarder auprès d’elle.

Afin de la rassurer, il prenait des notes.

La jeune fille avait une solide éducation littéraire car elle avait été recueillie par le prêtre de la paroisse qui l’avait élevée avec l’aide de sa gouvernante.

Il s’était chargé de l’instruire et comme elle avait l’esprit vif, malléable et qu’elle aimait les études, il avait fait d’elle une véritable érudite.

Qu’est devenu votre mentor ? osa lui demander Benoît des Forges.

Hélas, mon pauvre ami, ce saint homme nous a quittés l’hiver dernier. Il avait tenu à donner son manteau à un pauvre et si ce brave nécessiteux survécut, ce ne fut pas le cas de mon bienfaiteur.

Benoît respecta le chagrin de la jeune fille et remit à plus tard les questions qui lui brulaient les lèvres.

Pendant ce temps, Perceval d’Audierne s’attarda dans un joli bourg cossu car le bourgmestre fit appel à ses services en sa qualité de lettré.

Ils avaient reçu un document en latin et personne n’avait pu le traduire.

Perceval se mit au travail et traduisit une page ont le contenu lui fit battre le cœur. Il y était question d’un ciboire sacré, tant recherché par le roi Arthur et ses chevaliers, que des moines avaient préservé en le plaçant dans leur abbaye, sous la protection de Saint Alexis.

Perceval exultait mais il n’en fit rien voir.

Le bourgmestre tint à lui offrir l’hospitalité pour le remercier.

On lui servit un excellent repas, des écrevisses en sauce, un filet mignon en pâte feuilletée garnie de champignons, de châtaignes cuites sous la cendre et épluchées finement, le tout parfumé à l’huile de noix et de piments doux, une purée de topinambours et de panets adoucissant le goût puissant de la viande.

Des ris de veau joliment accommodés finalisèrent la douceur de ce repas qui se termina par un panel de fromages et des pâtisseries dont la jeune fille de la maison, baptisée Violaine, était la spécialiste.

Elle vint présenter son chef d’œuvre, un gâteau dont les couches fines de pâte étirée en forme de voile de mariée, passées au pinceau d’un amalgame de beurre fondu, de sucre et de liqueur à la fleur d’oranger puis cuites délicatement et saupoudrées de perles d’amandes, offraient un rêve croustillant à la mode gasconne.

Perceval savoura cette délicieuse pâtisserie mais il ne put s’empêcher de s’attacher à la silhouette et au beau sourire de la charmante Violaine.

Rêvant d’en faire sa dame si elle l’acceptait pour époux, il s’endormit dans un lit bassiné à la lavande et le lendemain, après un petit déjeuner copieux et bon, servi par la belle Violaine, il prit congé de ses hôtes.

Il réussit à glisser un mot doux dans la main de Violaine et promit à tous de revenir promptement présenter ses respects et tenir la famille au courant de l’avancée de sa thèse.

«  Cher Perceval, votre mensonge vous sera pardonné lorsque la belle Violaine et sa famille découvriront que vous êtes l’un des chevaliers de la Table Ronde, dit Jehan. Mais venons-en au fait, voulez-vous » ?

Alors Jocelyn de Rohan raconta en peu de phrases la fin de leur expédition.

Le hasard ou le destin m’ont conduit à l’abbaye de Saint Alexis où des moines, épris des mystères du Saint Graal et admirateurs des exploits des chevaliers de la Table Ronde m’ont conduit jusqu’à la crypte où l’on gardait précieusement l’objet sacré.

Le père fondateur de l’abbaye promit de me remettre le Saint Graal car, me dit-il, nous vivons des temps si tourmentés que ce serait un péché de ne pas utiliser les dons sacrés du calice pour sauver le royaume.

Heureux de ce dénouement inattendu et inespéré, j’ai envoyé un message à mes deux compagnons et c’est ainsi que nous avons pris la route du retour, contents d’avoir mené si rondement la mission dont nous étions chargés.

La main de Dieu était sur vous, dit pensivement Jehan des Roselières mais cela ne diminue en rien vos mérites et chacun de vous a agi astucieusement.

J’enverrai une invitation à la jolie Violaine et à sa famille.

Quant à Eglantine du Reposoir, je la doterai et en ferai, si elle le souhaite, la dame de compagnie de ma reine, Rose du Buisson Ardent.

Elles nous donneront tout le bonheur que nous pouvons attendre d’elles, par leur seule présence, leur beauté et leur talent.

Chacun partit alors le cœur léger.

Jehan des Roselières rejoignit sa belle épouse, lui fit part de la décision qu’il avait prise, concernant la belle Eglantine du Reposoir.

Cette idée est excellente mon ami et nous ne serons pas trop de deux pour élever le petit seigneur qui repose en mon sein.

Je la traiterai comme une sœur, une égale et elle me fera part de ses lectures durant mes travaux de couture et de broderie.

Jehan des Roselières, au comble du bonheur d’avoir une épouse si belle et si sage, brossa ses beaux cheveux, l’aida à dégrafer sa robe d’apparat et ajusta sa chemise de nuit tout en caressant son beau corps, doublement sacré désormais.

 

 

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