dimanche 11 octobre 2020

Honoria, la reine des poupées

 



Dans un village miniature construit selon les plans d’un génial architecte, spécialiste du minde des poupées, régnait Honoria, soucieuse du bonheur des enfants.

De petits personnages qui semblaient échappés du royaume de Lilliput, s’activaient au lavoir, buvaient du café dans des mazagrans, feuilletaient des illustrés avant de choisir un ouvrage plus conséquent dans une bibliothèque décorée de personnages de contes de fée et de scènes de genre provenant de romans d’Agatha Christie.

Des enfants jouaient à la balle au prisonnier, au croquet comme dans Alice au Pays des Merveilles ou s’efforçaient de grimper sur le dos d’un jars pour s’élever dans les airs avec les oies sauvages de Nils Holgerson.

Honoria aimait toute cette bonne humeur ambiante et elle cherchait parmi tous les personnages du village un héros qui pourrait vivre à ses côtés, prince ou poète, mais elle ne décelait aucun signe particulier, couronne d’or ou de laurier.

Un enfant attira son attention par le fait qu’il ne participait à aucun jeu et qu’il ne lisait pas.

Il semblait mélancolique et prenait sa tête bouclée entre ses mains dans une attitude qui oscillait entre la méditation et la désespérance.

Honoria lui demanda son nom. L’enfant dit d’une voix ferme :

«  Je suis Thibault, le prince survivant d’un royaume voisin, détruit par d’implacables ennemis. Je m’en remets à vous, Reine Honoria, pour me rendre justice ».

Emue au plus haut point par la situation  de cet enfant, Honoria lui prit la main et l’emmena dans son palais, construit sur une hauteur, à l’extérieur du village.

Elle installa le petit prince dans un appartement qu’elle avait aménagé pour un enfant qu’elle pourrait mettre au monde.

On pénétrait dans un univers féerique avec des représentations charmantes des contes les plus célèbres, la plus belle part revenant au Petit Prince de Saint-Exupéry.

Comme le petit prince de l’histoire, Thibault semblait venir d’une autre planète : les oies sauvages, un renard et les roses faisaient partie de son univers.

Honoria avait beaucoup insisté sur ces détails et de jolies illustrations impulsaient des sensations de plaisir intense.

Thibault prit un bain relaxant, goûta une collation riche en fruits, laitages et petits pains de seigle aux raisins secs.

Des confitures maison complétaient le plateau vitaminé, prunes, framboises ou poires au miel.

Il reconnut n’avoir jamais rien mangé de tel, même dans le palais de ses parents avant le désastre.

Honoria l’aida à rev^tir un vêtement de nuit soyeux et borda son lit avec soin et tendresse.

Elle tint à lui lire une histoire et choisit un épisode de la vie de Peter Pan.

Lorsque Thibault se fut endormi, elle se retira discrètement, laissant sur une table de chevet, soigneusement mise hors de portée, une chandelle allumée que l’on se chargeait de changer au cours de la nuit.

« Il ne faut pas qu’il prenne peur s’il a des cauchemars et pour cela, rien de tel qu’une lueur pour le tranquilliser s’il se réveille en sursaut » dit Honoria à ses suivantes et toutes promirent d’entretenir la bénéfique veilleuse.

Prenant exemple sur les parents de Montaigne qui réveillaient l’enfant au son de la musique, Honoria demanda à ses musiciens d’interpréter un air de La Flûte Enchantée de Mozart au lever du jour.

Cet enchantement musical produisit son effet sur le prince qui, pour la première fois depuis longtemps, s’éveilla sans éprouver les affres de l’angoisse.

Le lendemain et les jours suivants, Thibault eut l’impression qu’une page noire de sa vie était tournée et il s’intéressa au royaume enchanteur d’Honoria, y prenant toute sa part.

Il savait monter à cheval.

Honoria lui offrit un bel alezan, Sabots de feu et le prince prit l’habitude de parcourir la campagne.

Se piquant au jeu, il poussa un jour jusqu’aux environs de son palais qu’il découvrit ouvert aux quatre vents et complètement abandonné et dévasté.

Il ne restait plus rien de ce qui avait fait le bonheur de son enfance.

Il s’ouvrit à Honoria de ce chagrin. La reine lui promit son aide pour remédier à cet état d’abandon.

Elle fit appel à l’architecte qui avait créé son village du bonheur.

Ce dernier donna libre cours à sa fantaisie et son talent et le palais redevint un modèle de splendeur qu’il fallut ensuite meubler et décorer.

Lorsque tout fut terminé, Honoria célébra la fin des travaux en organisant un banquet et en inaugurant un jardin à la française incluant un pavillon réservé aux douceurs de la vie.

On vint de partout et la fête fut des plus réussies.

Le temps avait passé et Honoria ne pensait plus au prince charmant.

Il vint pourtant, ses tempes grises et ses boucles argentées ajoutant à son charme qu’il avait naturel.

C’était un prince lettré, digne de Montaigne et de Ronsard. Honoria lui confia volontiers sa destinée.

Quant à Thibault, il n’eut que l’embarras du choix tant les princesses invitées rivalisaient de charme, beauté et esprit.

L’une d’elles toutefois retint son attention car elle ressemblait étrangement à une poupée qu’il avait vue dans le village miniature d’ Honoria.

Cette plongée dans l’enfance lui donna un frisson de plaisir : il se souvint que la seule vision de la poupée amoindrissait son chagrin.

La poupée se prénommait Andreska, elle avait un charme slave indéniable, jouait admirablement de la balalaïka d’après son entourage.

Elle avait une immense fortune qu’elle mit généreusement à la disposition de ceux qui étaient dénués du nécessaire.

Andreska et Thibault ouvrirent le bal sur la Valse d’ Eugène Onéguine et ils enchaînèrent les plus belles danses avec un sourire révélateur de leur bonheur.

Honoria et son prince lettré, Albert de Monségur s’éclipsèrent pour poursuivre leur idylle au palais de la reine. Ils y connurent les premières ivresses de l’amour.

Honoria ne délaissa pas pour autant son village miniature car elle avait reçu autant d’amour qu’elle en avait donné et les jours s’écoulèrent azurés et pleins d’espoir pour les ressources de la vie.

 

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