mardi 20 octobre 2020

Le prince inconnu

 



Jehan des Roselières avait hâte de connaître l’identité du chevalier noir mais il voulait s’en tenir aux lois de l’hospitalité et il confia à ses pages les plus fidèles le soin de veiller au bien-être de cet étrange personnage tout en le surveillant de près.

François de Malestroit, ami de Jehan, porta à l’énigmatique chevalier un costume  de velours, des chemises et des poulaines brodées pour paraître à un repas qui serait donné en son honneur.

François lui demanda simplement de venir masqué afin de ne pas perturber l’assistance pour son extraordinaire ressemblance avec le maître des lieux. Afin qu’il puisse manger, il serait plongé dans une pénombre artificielle qui ne concernerait que sa personne.

Doria et Capucine avaient fait preuve d’excellence. Le raffinement, le luxe, les fleurs donnaient un signal lumineux et incitaient les invités à partager des délices gourmands.

Les grands classiques, vol au vent de volaille dans une sauce forestière aux cèpes accompagnant une savoureuse truffade, gigue de chevreuil à la sauce grand veneur, rôtis de veau enrobés de moutarde et de sauge, servis avec un confit de cerises noires et une purée de topinambours, poulets fermiers  cuits à la manière de poulardes demi-deuil, civet de marcassin aux airelles, tous ces plats de fête ravirent les invités, chacun prenant ce qui lui était le plus agréable.

Filets de daurade, de saumon et soupières de bisque de homard et de fruits de mer variés plurent davantage aux dames qui apprécièrent également leur accompagnement de croûtons dorés et de gougères farcies au fromage de chèvre frais.

Des saladiers de cresson et de salade des quatre saisons, agréablement vinaigrés, offrirent une note de fraîcheur à tous ces mets nourrissants.

Quant au dessert, il consista en cygnes de pâte feuilletée garnis de pralines et en charlottes  à la crème d’amandes et aux dragées.

Les fruits furent servis dans des coupes, ciselés et tranchés.

Des pommes d’amour circulèrent à la ronde et chacun sentit renaître son âme d’enfant.

C’est d’ailleurs en mangeant l’une de ces pommes que le prince inconnu se dévoila.

Il prit un flambeau et l’approcha de son visage, révélant ainsi son extraordinaire ressemblance avec Jehan.

«  Chers amis à qui je dois cette magnifique hospitalité qui me touche profondément ainsi que ce merveilleux repas, je vous dois une révélation, celle du cours de ma vie.

Jehan et moi, Fleur des Genêts, sommes frères jumeaux.

Notre mère Guenièvre, retirée dans son couvent, devait protéger la vie de ses enfants nés d’une union passionnée avec Lancelot.

Il lui parut difficile de nourrir deux bébés sans trop se faire remarquer, c’est pourquoi elle confia l’un des enfants à l’écuyer du chevalier du Lac. Ce fut donc moi car je paraissais plus robuste que Jehan.

L’écuyer me trouva une nourrice dans les landes de Brocéliande, Violaine de Concoret, qui m’éleva avec tout l’amour dont elle était capable.

J’ai grandi en force et en beauté selon les dires de ma nourrice et lorsque j’ai appris que mon frère organisait un tournoi, je m’y suis présenté en respectant l’anonymat pour ne pas susciter de trouble, espérant gagner à la loyale.

Mais une fois de plus, le destin a choisi mon frère avec un brin de supériorité cette fois ».

On applaudit cette noble déclaration. Jehan donna l’accolade à son frère, heureux d’avoir pour lui l’étoile du destin mais décidé à rendre à Fleur des Genêts le rang qui était le sien.

Il l’accompagna dans sa suite et lui fit cadeau d’une armure et d’un écu portant son blason, affirmant qu’il siégerait à ses côtés à la Table Ronde.

«  Qu’il en soit fini du chevalier noir, que vive Fleur des Genêts, digne fils de Guenièvre et de Lancelot, mon frère » ! dit-il en le quittant, fier de pouvoir réparer l’injustice de ses premiers instants !

 

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