mercredi 11 janvier 2023

La chemise rose


«  Il ne lui manque que la chemise rose » disait abruptement Gilberte à son amie Olympe en désignant le mari de cette dernière, Alexandre qui avait, il est vrai, emprunté bien des travers au personnage central du film Alexandre le bienheureux : le travail, très peu pour lui et il comptait bien épingler chaque bonheur du jour à son tableau de chasse narcissique et dénué de morale.

Olympe revit en un éclair la scène qui l’avait conduite à cet absurde mariage voué à l’échec.

Le lieu de la rencontre était un grand café de la ville de Valenciennes, intitulé pompeusement Café de Paris où l’on mangeait d’excellents croque-monsieur à l’étage où elle aimait se détendre après sa journée de travail.

En ce temps-là, elle était accompagnée par deux amis ; l’un était un conteur poète et il adorait jouer les mentors à son égard et ne cessait de parler de mille riens dont il ferait par la suite l’essence de sa profession, intervenant à la télévision pour surprendre les spectateurs à l’aide de l’intrusion de lutins et autres créatures féeriques dans leur univers monotone. Par la suite, Pierre écrivit un dictionnaire de la féerie qui connut une grande vogue et se vendit fort bien en dépit de son prix onéreux.

L’autre ami était un peintre qui crayonnait de multiples esquisses de son visage : elle était sa muse du moment, son inspiratrice et il prétendait ne plus pouvoir peindre si elle n’était pas à ses côtés.

Soudain Olympe fut tirée de sa rêverie en apercevant un personnage dont elle se plut à dénombrer tous les travers ; il venait d’entrer dans le café et il était probablement en compagnie d’une femme bien qu’il ait pris la précaution de se démarquer du couple qu’il formait. C’était certainement une femme mariée et il tenait à ne pas la compromettre mais la ficelle était si grosse que l’on se rendait compte des liens charnels qui les avaient unis, l’espace de quelques heures.

Cet homme ruisselait de suffisance et de nullité spirituelle. Il appartenait à ce type d’homme reconnaissable entre tous à l’affichage de sa volonté conquérante de femmes appartenant à un profil interchangeable et monnayable.

Si Olympe le regardait avec un certain amusement ( je t’ai percé à jour et je ne tomberai pas dans tes filets ), il en allait de même pour le bellâtre qui vit en un éclair le profit qu’il comptait obtenir en s’adjuvant ses bonnes grâces.

Le feu croisé de leurs regards cessa immédiatement pour Olympe qui perçut la dangerosité de la situation et elle se tourna vers ses compagnons qui lui surent gré de son regain d’intérêt pour leurs personnes.

Par la suite, l’homme revint à différentes heures de la journée, seul cette fois et il établit, en bon chasseur, un calendrier des allées et venues du trio.

C’est avec une sorte de naturel qu’il vint à l’étage, commandant cafés et gourmandises comme tout un chacun.

Sous un prétexte fallacieux qui n’échappa à personne, il finit par se rapprocher du trio, feignant de s’intéresser aux esquisses de Francis.

Il ne regardait jamais Olympe mais se prétendait amoureux des dessins de Francis.

Enfin, un jour, il arriva au moment où Olympe était seule car il avait noté sur son calendrier personnel les rares moments où cela se produisait.

Il lui demanda fort poliment l’autorisation de prendre son café à ses côtés et révéla une facette inconnue de son talent en jouant les amoureux transis.

Par la suite, il multiplia les approches et un jour il déclara sa flamme à Olympe qui l’écouta sans sourciller car elle s’attendait à ce type de propos.

Cependant lorsqu’il évoqua la possibilité d’un mariage, elle devint songeuse car jusqu’à présent, on lui avait souvent conté fleurette sans jamais envisager une union en bonne et due forme.

Olympe demanda à réfléchir puis elle en vint à penser que l’aventure se présentait enfin à elle : la poursuite de son destin qui se devait de s’harmoniser avec sa personnalité s’avérait passionnée.

Elle accepta cette demande comme un dernier coup de poker et s’envola avec cet homme, Alexandre, vers la ville de Marrakech, la cité des Mille et une Nuits où elle avait toujours rêvé de se rendre.

Rendue au présent, elle se tourna vers Gilberte et lui sourit pour lui démontrer qu’elle ne lui en voulait pas de sa brutale franchise puis elle rejoignit Alexandre, son mari qui était à la fois son enfant, l’avatar de son ours en peluche et la caution d’une vie, la sienne, vouée à l’absurde et au déclin : cet homme l’avait en définitive sauvée d’une mort violente ou d’une dégradation lente et inexorable de sa destinée et lorsqu’elle mit au monde un enfant, elle sut qu’elle ne s’était pas trompée et se jura de défendre l’homme désarmé et honni de nombreuses personnes qui l’avait épousée, pour le meilleur et pour le pire.

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